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›› Editorial

一带 一路,le projet pharaonique des routes de la soie à 1700 milliards de $

Puissance bureaucratique entre rêve et réalités.

C’est peut-être là que le bât blesse. L’ampleur du projet, son volontarisme à la fois prosaïque, visionnaire et utopique qui, comme certains films de Kung Fu, mélange la réalité et les exploits fabuleux, portent peut-être sa plus grande fragilité. Celle de la confrontation entre une ambition bureaucratique idéale quasi mythique qu’en Chine même la puissance administrative aurait peut-être pu mener à bien sans encombres ou presque, mais qui, à l’extérieur, devra affronter le grand large de la réalité moins aisément domesticable qu’en Chine.

Nous sommes en effet en face d’une puissance dont l’arrière plan philosophique et même métaphysique, en tous cas légendaire (rappelons nous la légende de Yu Gong Yi Shan) s’est en partie articulée autour de l’idée de dompter la nature qui fut aussi une des arrière-pensées du Maoïsme [2].

Marcel Granet le dit dans des termes qui méritent attention : « La représentation que les Chinois se font de l’Univers repose sur une théorie du microcosme. (…) Elle dérive d’une croyance extrêmement tenace : l’Homme et la Nature ne forment pas deux règnes séparés, mais une société unique. (...) »

« Tel est le principe des diverses techniques qui réglementent les attitudes humaines. C’est grâce à une participation active des humains et par l’effet d’une sorte de discipline civilisatrice que se réalise l’Ordre universel. À la place d’une science ayant pour objet la connaissance du Monde, les Chinois ont conçu une étiquette de la vie qu’ils supposent efficace pour instaurer un ordre total ». La pensée chinoise. Marcel Granet. Albin Michel. 1934.

Or aujourd’hui, si tant est que toutes les hypothèques de la politique intérieure soient levées, ce qui est rien moins que certain alors que montent les rivalités du jeu de l’oie du XIXe Congrès, la situation internationale de la Chine est bien moins contrôlable que sa situation interne.

Le paysage extérieur est en effet traversé par des irritations avec l’Inde, le Japon, le Vietnam, le dilemme nord-coréen, des à-coups avec l’ASEAN et les États-Unis, l’insécurité en Asie Centrale et du sud, au Moyen Orient et en Afrique, cheminement des anciennes et nouvelles routes de la soie.

A quoi s’ajoute qu’aujourd’hui le monde est assez violemment mis sous tension par la carte sauvage et sans limites du terrorisme radical de l’Islam qui frappe aujourd’hui l’ouest de la Chine et dont les repères philosophiques et métaphysiques sont à des années lumières du concept d’apaisement international par le commerce, épine dorsale du grand projet chinois.

Risques sécuritaires et gouffres financiers.

Les facteurs perturbants sont, on l’a vu, exogènes. Mais ils sont aussi directement dérivés des méthodes invasives chinoises dont les effets pervers sont de nature à provoquer des réactions adverses. Déjà observées dans le passé contre les communautés chinoises en Indonésie (1965 et 1998) et plus récemment au Myanmar et au Vietnam, les mouvements antichinois ont des causes complexes et très diverses liées aux situations locales.

Mais ils ont un point commun. Leurs cibles sont les communautés d’affaires chinoises ayant réussi à se hisser jusqu’aux strates élevées des sociétés locales et dans des positions dominantes dans l’industrie et l’économie qu’ils contrôlent dans des proportions très supérieures à celles de leur importance démographique.

Pire encore, assez souvent la prévalence irrésistible des affaires chinoises se nourrit de spoliation des populations locales et d’infractions aux lois foncières, de trafics divers et de collusions avec les oligarchies locales impopulaires et corrompues. Une situation dont les risques sont pour l’instant seulement potentiels, mais dont il est facile de comprendre que leur aggravation menacerait directement les intérêts chinois et l’image positive des « nouvelle routes de la soie » que le régime s’est efforcé de promouvoir le week-end du 14 mai.

Considérer ces menaces locales nées de la profusion des envahissantes qualités commerciales chinoises ayant tendance à transgresser les lois qui s’ajoutent aux risques de sécurité terrestre des routes de la soie en Asie Centrale, au Pakistan occidental et sur les longs trajets vers le Moyen Orient, c’est aussi confronter l’ambition à la réalité également marquée par la difficulté de rassembler des fonds quand l’intérêt économique direct n’est pas avéré.

Nombre de commentateurs ont noté que l’opération de grande communication organisée à Pékin répondait aussi à la nécessité de relancer les projets dont l’élan financier a faibli. Xi Jinping lui-même s’y est attaché en promettant une plus grande implication directe des finances chinoises concrétisée par la promesse d’investir 142 Mds de $.

Selon David Dollar, l’ancien représentant de la Banque Mondiale en Chine, aujourd’hui chercheur à la Brookings, récemment les investissements chinois ne se sont pas dirigés vers les pays cibles des routes de la soie, mais le plus souvent vers les marchés des pays riches jugés plus sûrs.

Une étude ménée par Americain Enterprise Institute et Heritage Foundation montre que, depuis 2014, les groupes publics et privés chinois ont investi plus aux États-Unis que dans les 60 pays de la nébuleuse OBOR, tandis que ces derniers en mal de cash et d’infrastructures se laissent subjuguer par les finances et les prêts chinois, créant une dépendance financière irréversible.

*

Pour l’heure, quatre années après son lancement, le projet OBOR est encore dans sa phase de démarrage, marquée par les hésitations des banquiers. Les besoins financiers de la toile d’araignée chinoise de routes et d’infrastructures d’énergie sont estimés par la Banque Asiatique de développement à 1700 Mds de $, tandis que les organismes financiers qui accompagnent le projet comme la Banque d’infrastructure et le fond des routes de la soie n’ont mis sur la table que 240 Mds de $.

Le risque existe donc que, faute de perspectives de retours sur investissements substantiels, les projets restent l’affaire de financements publics ayant un arrière plan plus politique qu’économique.

Enfin, dernière fragilité du grand rêve global de Xi Jinping, les méthodes marquées par un fort activisme en faveur de l’influence stratégique et des intérêts commerciaux chinois s’écartent des règles de la transparence et de l’équité commerciale requises par l’OMC.

Renvoyant souvent à la conception chinoise très équivoque de l’économie de marché, elles font grincer des dents en Europe et aux États-Unis. C’est bien cette crainte d’une absence de transparence, s’ajoutant à celles sur la pérennité qui poussa les représentants de l’Union Européenne à ne pas signer la déclaration commune proposée par Pékin.

La manne chinoise pour les déshérités.

Pour autant, et telle est peut-être la vertu d’une vision globale volontariste massive, pragmatique et multiforme, même incomplètement réalisée, avec ses défauts intrusifs, son marquage étatique et malgré les vents adverses que l’insistance chinoise permet cependant le plus souvent de subjuger [3], l’ambition des routes de la soie, 3e volet de l’ouverture de la Chine au monde, après celle de Deng Xiaoping en 1980 et l’entrée dans l’OMC en 2001, pourrait bien confimer le glissement vers l’Asie des plaques tectoniques économiques mondiales.

Ce réajustement sera facilité par le fait que les économies occidentales traversées par des doutes et des faiblesses dont on ne voit pas la fin, n’ont rien à offrir pour contrebalancer la vision globale chinoise proposant des facilités financières et des savoir-faire d’infrastructure aux populations et aux États parfois situés dans les zones les plus déshérités, y compris celles peu rentables désertées par les Occidentaux pour des raisons économiques ou de sécurité.

Il reste que le chemin du rattrapage est encore long. Selon les statistiques de l’ONU, s’il est vrai que la Chine est devenue sans conteste la première puissance commerciale de la planète, sa capacité d’investissements extérieurs, objet des routes de la soie, est encore à la traîne. En 2015, c’était l’Europe qui était en tête des investissements internationaux calculés par la somme des IDE de 10 premiers pays européens avec 575 Mds de $. Suivaient les États-Unis avec 300 Mds de $. La Chine était, en comptant Hong Kong, à 183 Mds de $, juste avant le Japon à 130 Mds de $.

*

Quoi qu’il en soit, le grand projet enveloppant à la fois ouvert et inclusif de la Chine, grande oeuvre du mandat de Xi Jinping n’a pas dit son dernier mot. Il ne fait que commencer. Un autre séminaire aura lieu en 2019. Le slogan 一带 一路 n’a donc pas fini de résonner aux oreilles des cadres du Parti pour qui il est devenu un sésame politique et le commencement de toutes choses, confortant la position du Président à la tête du Parti.

Dessinant une résistance au recul du libre commerce par le pays qui fut si souvent accusé de ne pas s’y conformer, l’amplitude de la manoeuvre crée opportunément une fascinante inversion des rôles à un moment où l’économie chinoise pourrait souffrir d’un trop fort ralentissement du commerce global. Qu’ils le veuillent ou non, partout, les décideurs de la planète devront s’y ajuster.

Note(s) :

[2愚公移山 - Le vieil homme déplace les montagnes. Tiré d’un texte taoïste, la légende spécule sur les vertus de la persévérance de génération en génération que Mao avait utilisé dans un discours du 11 juin 1945.

[3La Birmanie est un exemple récent de la résilience chinoise aux vents adverses. Obligé en 2011 de reporter puis d’annuler la construction du barrage géant de Myitsone dans l’Etat de Kachin, Pékin après avoir longtemps tenté de forcer la main des Birmans, cherche maintenant à négocier avec Naypyidaw un projet de compensation. En attendant, la Chine a réussi à réaliser le projet hautement stratégique d’acheminement du gaz et du pétrole par deux pipelines reliant le golfe du bengale au Yunnan.


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