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L’ASEAN, otage de la rivalité sino-américaine

Les grandes querelles des hommes, fussent-elles de civilisation, de culture, ou stratégiques, ou simplement économiques et commerciales, qui expriment une quête d’influence souvent proche de l’aspiration hégémonique, se traduisent parfois par des incidents dont la petite dimension prosaïque contraste avec l’ampleur des projets, dont on veut croire qu’ils revêtent une dimension historique.

Le 20 novembre, alors que venait de prendre fin à Phnom-Penh le 21e sommet de l’ASEAN émaillé par les indices discrets et contenus, mais non moins réels, de la rivalité entre Pékin et Washington, dont la compétition d’influence en Asie du Sud-est ne cesse de s’affirmer, pour les droits de l’homme, la liberté de navigation en mer de Chine et le rayonnement économique et commercial, Khieu Kanharit, ministre de l’information du gouvernement cambodgien, hôte du sommet, postait sur son compte Facebook, un commentaire étrange.

« Les délégations chinoise et américaine quittant Phnom-Penh ([NDLR] : la première à bord d’un appareil de la China Southern, avec le Premier Ministre Wen Jiabao, la deuxième à bord d’Air Force One, avec le président Obama), ont eu un différend au moment du décollage à l’aéroport de Phnom-Penh. Les américains ont placé leur avion pour bloquer le passage de l’appareil chinois. Ce fut un casse-tête pour les Cambodgiens ».

L’incident serait risible s’il ne traduisait pas une querelle de plus en plus acerbe entre Washington et Pékin qui prend en étau les pays de l’ASEAN, et si en même temps, il n’était pas aussi l’expression de la faiblesse des autorités de l’aéroport, impressionnées par l’enjeu et incapables de faire respecter une discipline et un ordre de départ aux pilotes. Selon le patron de la police des frontières à Phnom-Penh, il était entendu que les premiers prêts partiraient d’abord.

Air Force One ayant terminé sa procédure avant le Chinois, s’apprêtait à décoller quand l’appareil de la Southern, croyant peut-être bénéficier d’un passe droit dans ce pays inondé de cadeaux par Pékin, a fait mouvement pour se placer en tête. Ce que l’équipage du B 747 américain n’a apparemment pas apprécié. D’où l’incident qui fait des gorges chaudes à Phnom-Penh. Il est difficile d’imaginer un meilleur symbole des rivalités à l’œuvre dans la zone.

Le Cambodge, dans l’orbite de Pékin, cible de l’administration Obama.

Venu à Phnom-Penh pour assister au sommet de l’ASEAN, Obama arrivait de Thaïlande et de Birmanie. A Naypyidaw, il a félicité les nouveaux dirigeants du Myanmar qui viennent de tourner le dos à la dictature et chaleureusement serré dans ses bras Aung Song Suu Kyi devant une foule de journalistes ravis. Il faut dire que le pays vient tout juste de prendre ses distances par rapport à Pékin, après plus de 20 ans de relations privilégiées, facilitées par l’ostracisme dans lequel les Etats-Unis et l’UE tenaient le régime birman pour ses graves violations des droits humains.

A Phnom-Penh, l’ambiance était à l’inverse, tendue à l’extrême. Le Premier Ministre Hun Sen, sous l’influence politique lourde de la Chine, qui vient encore d’attribuer au Cambodge un don de 50 millions de $ et de prendre en charge les frais des funérailles du Roi Sihanouk, décédé à Pékin le 14 novembre dernier, est dans le collimateur du Parlement européen, du Congrès des Etats-Unis, du Sénat australien et de plusieurs ONG internationales pour ses atteintes répétées aux droits des personnes.

Du coup, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC), à la fois hériter des Khmers Rouges dont il est une dissidence et du Vietnam qui l’a placé aux affaires à Phnom-Penh en janvier 1979, où, depuis, il est resté sans interruption – hormis une brève période de 1992 à 1997 –, est devenu la cible de l’administration Obama.

Celle-ci fait désormais dépendre sa relation avec le Cambodge d’un rétablissement de quelques principes démocratiques, tels que la liberté d’expression, la liberté de vote et l’indépendance de la justice, aujourd’hui bafoués par le Royaume. Tandis que le PPC a depuis 1992 perpétré plus de 300 assassinats politiques, dénoncés par un récent rapport de l’ONG Human Right Watch, dont l’un des responsables avait tenté de faire pression sur la Maison Blanche pour que le Président Obama ne se rende pas à Phnom-Penh.

Contre offensive américaine en Asie du Sud-est.

Le très net raidissement des Etats-Unis exprimé à Phnom-Penh, qui du temps de l’administration Bush était considéré comme un allié contre le terrorisme, s’inscrit dans une vaste réaction de Washington dans les arrières cours chinoises que sont les pays de l’Asie du Sud-est. Depuis la fin 2011, la Maison Blanche a en effet entrepris de faire pièce aux politiques chinoises dans la zone. Tandis que, pendant toute l’année 2012, ces dernières ont été appuyées par l’allégeance sans faille de Phnom-Penh, qui préside l’ASEAN, pour promouvoir la vision de Pékin du règlement des contentieux en Mer de Chine du Sud.

Alors que Manille, Hanoi et Washington prônent une négociation menée au nom de l’ASEAN, Pékin, dont la stratégie a été systématiquement défendue par le gouvernement de Hun Sen au cours de la présidence cambodgienne, articule un discours qui condamne l’entrisme stratégique de Washington, considéré comme un intrus, et prône des négociations de point à point.

Mais leur caractère asymétrique du fort au faible saute aux yeux, compte tenu des écarts de puissance et des capacités de pressions économiques, commerciales et militaires que la Chine est en mesure d’exercer sur chaque pays pris séparément.

Au cours de son bref passage dans la capitale Khmère, Obama a pris soin de se tenir à distance du premier Ministre Hun Sen et de ne pas sourire sur les photos prises avec lui, dans un contraste cinglant avec les embrassades dont il avait gratifié Aung San Suu Kyi quelques jours plus tôt et dont les images ont fait le tour du monde.

L’aigreur s’est exprimée avec force lors d’une conversation en tête à tête, entre le président américain et Hun Sen, qui devait rester confidentielle, mais révélée à dessein à la presse par Ben Rhodes, adjoint au conseiller de la Maison Blanche pour la communication.

Il est clair qu’aux yeux de l’administration américaine, le Cambodge, devenu le mouton noir de l’ASEAN, s’est placé lui-même sur une trajectoire inverse de celle de la Birmanie. Le premier engagé dans un processus de raidissement politique fermé, bénéficiant des largesses de la Chine ; le deuxième, ayant pris ses distances par rapport à son ancien mentor chinois, et animé d’un frisson d’ouverture politique qui reste cependant encore à confirmer et qu’Obama est venu encourager.


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