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Aux Îles Salomon, Pékin perturbe la prévalence anglo-saxonne

Le 19 avril, l’agence Xinhua annonçait la signature d’un accord de sécurité avec l’archipel des îles Salomon (six grandes îles et 900 îlots sur 28 400 km2 où vivent 700 000 habitants), situé en Océanie, à 1000 nautiques au Nord-Est de l’Australie (2 jours et-demi de navigation) et à 800 nautiques à l’Est de Port-Moresby, capitale de la Papouasie Nouvelle-Guinée.

L’ampleur spectaculaire de l’accord dont les détails restés confidentiels, ont été rendus publics par une fuite, a touché un nerf sensible à Canberra qui considère l’archipel comme sa zone intérêt stratégique direct.

Dans ce qui fut le théâtre de la bataille de Guadalcanal entre août 1942 et février 1943, première offensive sérieuse contre le Japon durant la guerre du pacifique, à l’époque où les Îles étaient encore territoire britannique (elles le resteront jusqu’en 1978), l’avancée tire profit de l’insécurité latente du territoire.

Après la mer de Chine du sud que Pékin réclame en totalité, la projection à 6000 km des côtes chinoises précise les ambitions d’influence de Xi Jinping, au moment même où il prône la coexistence pacifique et s’insurge contre la politique univoque de Washington.

L’accord avec l’archipel a été officiellement annoncé deux jours avant la déclaration par vidéo conférence de Xi Jinping au forum de Boao (le Davos asiatique) sur sa vision de la sécurité globale. Évoquant la guerre en Ukraine, rappelant son refus des sanctions « gratuites » contre la Russie dont, dit-il, le droit à la sécurité devait être reconnu, il a mis en garde contre l’unilatéralisme américain et la poursuite d’intérêts particuliers qui ne prendraient pas en compte la sécurité globale.

Faisant référence à l’esprit de Bandung et aux récents votes à l’ONU à propos de l’agression russe contre l’Ukraine et à l’exclusion de Moscou du Conseil des droits de l’homme [1], il a, en filigrane, souligné les hésitations des pays du tiers-monde qui ne s’alignent plus sans réserve derrière l’Occident. Sa vision de l’harmonie globale, tout de même contredite par les circonstances de la percée chinoise dans l’archipel des Salomon, est articulée à l’idée westphalienne non interventionniste, respectueuse des souverainetés et des particularités de chacun.

En attendant, les spéculations inquiètes sur la portée de l’accord avec Honiara et le Premier Ministre Sogavare qui trouble les positions anglo-saxonnes dans la zone, vont bon train.

A Canberra, Wellington et Washington pris de court, on se demande si, à la possibilité d’envoyer sur place des forces de police et paramilitaires pour assister les forces de sécurité aux prises avec des troubles en partie dues au sentiment anti-chinois, Pékin n’aurait pas l’intention d’implanter une base navale [2].

Selon The Guardian, ces craintes sont étayées par la fuite d’une lettre du président d’Avic International Project Engineering Company – société d’État chinoise – à l’ancien gouverneur de la province d’Isabel, indiquant que le groupe allait « étudier l’opportunité de développer un projet d’infrastructure portuaire sur des terres louées par l’État chinois pour 75 ans. »

Pékin revendique l’ingérence pour protéger les intérêts chinois.

La Chine dément catégoriquement le projet d’installation d’une base militaire. Mais elle entérine l’ingérence. Pour Wang Wenbin porte-parole du MAE, « Le but de la coopération en matière de sécurité entre la Chine et les Îles Salomon est de promouvoir la stabilité sociale à long terme aux Îles Salomon, dans l’intérêt commun des Îles Salomon et de la région du Pacifique Sud. »

Sur les réseaux sociaux de l’archipel les militants d’opposition craignent que l’accord ne permette au gouvernement de faire appel à l’armée chinoise à des fins politiques pour écraser des manifestations.

De fait, l’augmentation de l’emprise chinoise qui multipliera la présence de cadres et de contractants chinois comme celui qui construit le stade dans la capitale, pourrait être à l’origine de heurts éventuellement attisés par l’opposition donnant à Pékin, au nom de l’accord, le prétexte à l’envoi de troupes.

Selon Richard Herr, professeur de droit à l’Université de Tasmanie qui a conseillé plusieurs gouvernements du Pacifique, la Chine chercherait à faire admettre le principe d’utilisation de la force militaire pour protéger sa présence économique dans des endroits où elle estimerait que le gouvernement local n’en pas la capacité. « Ce que l’accord des Salomon dit au monde c’est que la Chine pense que si ses grands projets sont menacés, elle veut avoir le droit d’intervenir pour les protéger. »

Pour Peter Kenilorea Jr., n°2 de l’opposition au Parlement et président de la commission des Affaires étrangères, l’ingérence politique contredisant le discours de Xi Jinping au forum de Boao, est flagrante. « L’accord n’est pas favorable aux Salomon. Il est surtout dans l’intérêt de Pékin et dans l’intérêt du gouvernement actuel qui cherche à se maintenir au pouvoir. »

Charles Edel, président australien du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS) basé à Washington, voit dans l’avancée de Pékin une menace plus large, d’ordre culturel et politique : « La leçon pour le reste du monde est que la Chine cherche à rééquilibrer l’ordre mondial en sa faveur ». (…) « Qu’il s’agisse d’ouvrir des routes commerciales, d’installer une base militaire ou de signer un accord de sécurité, Pékin agit pour promouvoir ses intérêts, au détriment de la démocratie et d’un monde ouvert et libre. »

En Nouvelle-Zélande la perception est la même. L’accord avec Pékin « change la donne », dit Anne-Marie Brady, professeur à l’Université de Canterbury à Christchurch qui analyse l’influence chinoise dans la région. « Alors que la tendance chinoise à la projection de puissance militaire se précise, l’accord donne un large mandat à la Chine pour potentiellement intervenir lorsque ses investissements étrangers et sa diaspora sont menacés ».

Nombre d’observateurs notent que depuis l’installation d’une base navale chinoise à Djibouti, l’attitude internationale de Pékin abandonne progressivement la prudence stratégique prônée par Deng Xiaoping pour, de plus en plus souvent se poser en rival global de l’influence occidentale, sur un mode qui ne rejette plus l’affichage de sa puissance militaire. Lire : L’armée populaire de libération à Djibouti : une évolution notable des stratégies chinoises.

Note(s) :

[1Le 2 mars, lors du vote à l’ONU pour condamner Moscou, 20% des pays dont la Chine et l’Inde s’étaient abstenus. L’adhésion s’est encore réduite un mois plus tard, quand le 7 avril l’exclusion de la Russie du Conseil des droits de l’homme a été marquée par l’abstention de 58 pays. Parmi eux la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique et plus d’une trentaine de pays africains dont le Sénégal, l’Afrique du Sud.

[2En novembre 2021, des manifestations ont eu lieu dans l’Île de Malaita (4000 km2, 140 000 habitants) à 800 nautiques à l’est de Port Moresby, où les dirigeants locaux ont tendance à être plus sceptiques à l’égard de la Chine.

Les racines des troubles sont aussi sociales et économiques, mais depuis la bascule de l’archipel qui, en septembre 2019, a abandonné sa coopération avec Taïwan en faveur de Pékin, le mécontentement se cristallise contre le Premier Ministre Sogavare promoteur du rapprochement avec la Chine. Prenant la forme d’un sentiment anti-asiatique qui s’ajoute aux ressentiments sociaux et politiques, les violences ont ciblé le quartier chinois de la capitale Honiara où on déplore quatre morts et la destruction de 70 entreprises chinoises.

Plus largement, un sondage réalisé à la fin de l’année dernière, a révélé que plus de 90% des Salomoniens souhaitaient que leur pays travaille en étroite collaboration avec les pays démocratiques libéraux au lieu de la Chine, et 79% ont déclaré qu’ils ne souhaitaient pas que leur pays reçoive une aide financière de Pékin.


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