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Basculement du schéma de croissance de la Chine et craintes politiques

Depuis le 1er trimestre 2011, la croissance chinoise est en baisse constante. En 4 ans, elle a perdu 4 points.

La période récente a été marquée par plusieurs informations directement liées entre elles : la confirmation du freinage de la croissance, une nouvelle réduction des taux d’intérêts (la 6e en un an qui porte le taux directeur à 4,35% alors qu’en novembre 2014, il était à 6%), accompagnée d’un nouveau desserrement (0,5%) du taux de réserve obligatoire, enfin et surtout, la Banque Centrale a levé le contrôle du taux de rémunération des dépôts, promise depuis longtemps, autorisant une compétition entre les établissements bancaires. Mais la mesure qui n’améliore pas la rémunération de l’épargne n’aura que peu d’effets.

Selon les statistiques chinoises, au 3e trimestre 2015, la croissance s’est contractée à 6,9%, une des plus faibles depuis 6 ans (1). La comparaison des réactions du Bureau Politique de cette époque à celles d’aujourd’hui, montre que le paradigme de la Chine, atelier de monde est en train de changer, bousculé par les vastes réformes engagées par le pouvoir.

S’il est vrai que celles-ci sont dans les tiroirs depuis longtemps, visant à des investissements publics plus ciblés et plus contrôlés, moins de gaspillages, moins de pollution, plus de compétitivité et à une hausse qualitative générale, force est de constater que la vigueur déterminée avec laquelle le réajustement socio-économique est conduit est nouvelle. Mais, en même temps il est impossible d’ignorer que cette très vaste entreprise assortie d’une redoutable chasse à la corruption appuyée par des délations, y compris contre des cibles comptant parmi les grands féodaux industriels du régime, recèle des risques politiques.

Depuis 2008, les réflexes macro-économiques ont changé.

En 2008, alors que le pays subissait le contrecoup de la crise américaine, le politburo avait réagi par une puissante relance financière, selon un réflexe conforme à l’ancien schéma de développement par l’investissement massif. Les informations disponibles indiquaient que près de 600 Mds de $ avaient été injectés dans l’économie en 2009 et 2010 (2), ce qui représentait le plus gros effort de relance jamais consenti par le pouvoir chinois. La manœuvre avait fonctionné. Entre le 2e trimestre 2009 et le 1er trimestre 2010, la croissance était passée de 7,9% à 11,9%.

Mais le redressement spectaculaire qui avait suscité l’admiration, alors que l’Europe et les États-Unis s’enfonçaient dans la crise, portait en lui d’importants effets pervers. Parmi ces derniers, la poursuite du gaspillage des ressources financières parfois allouées sans discernement, avec, en arrière plan, le retour du laxisme des administrations provinciales et des Banques connectées aux grands groupes publics, principaux responsables des dettes toxiques dont le bilan était reparti à la hausse.

Signe que les anciens pilotages macro-économiques ne fonctionnent plus aussi bien, après ce coup de fouet financier qui retarda l’ajustement de l’économie chinoise affaiblie par l’atonie des marchés d’exportation et une série de facteurs internes (3), la croissance est assez vite repartie à la baisse. Au 4e trimestre 2010, elle était à 9,8% et à l’arrivée au pouvoir de l’actuel Politburo, en novembre 2012, elle avait chuté à 7,8%.

Depuis elle n’a cessé de baisser. A 6,9% - et quoi qu’en dise le gouvernement -, le freinage n’induit pas seulement des inquiétudes économiques, il place le régime sous une tension politique qui le pousse à prendre des mesures de relance, dont la nature est cependant plus subtile qu’en 2008.

A cet égard, la Chine ne fait que suivre les exemples japonais et anglais ainsi que ceux de la Réserve Fédérale américaine dont le taux directeur est proche de zéro depuis 2008 (un retour à des taux américains plus élevés est probable d’ici décembre), tandis que la Banque Centrale européenne envisage de prolonger au-delà de 2016 les mesures de relance en cours depuis janvier 2015. (Dans l’espoir de relancer le crédit bancaire, la BCE a procédé à 1100 Mds d’€ de création monétaire qui lui permet d’acheter les obligations émises par les états européens à raison de 60 Mds par mois, ).

Baisse structurelle de la croissance et poursuite des réformes.

En Chine, après les corrections appliquées au marché boursier depuis l’été, le ralentissement est aussi l’effet de la transition vers une économie que le pouvoir accompagne en freinant l’investissement et en laissant planer la menace, il est vrai plus ou moins appliquée selon les secteurs et les entreprises, de ne plus voler au secours des entités industrielles ou commerciales en difficulté, suite à des stratégies d’endettement imprudentes.

A l’orée du 5e plenum dont l’une des épines dorsales sera la restructuration des groupes publics – grands féodaux conservateurs, rétifs aux réformes -, tout indique que les mesures de relance qui viennent d’être décidées seront accompagnées par des pressions accrues sur les ténors jusqu’ici intouchables de l’industrie d’État.

Les féodaux de l’aéronautique dans le collimateur.

Lin Zuomin, PDG d’AVIC (chasseur J-15, Avion de transport logistique Y-20, hélicoptère de combat WZ-10, avions furtifs, drones). Depuis juillet, son groupe est avec la COMAC, la CAAC et la China Eastern entré dans le collimateur de la Commission de discipline.

S’il fallait une preuve que, gardant un œil sur le baromètre de la croissance, mais ignorant (ou sous estimant) les risques politiques, le pouvoir tient fermement la barre des réformes qu’il poursuit sans faiblir, il suffirait de jeter un regard vers les dernières initiatives en date des « enquêteurs volants » (中央巡视组 zhongyang xunshi zu) de la Commission Centrale de Discipline du Parti qui viennent de cibler quelques grands groupes, États dans l’État et fleurons de l’aéronautique chinoise dont AVIC, COMAC, CAAC et China Eastern.

Tous sont accusés de manquements à la bonne gestion, de népotisme et de corruption. La COMAC étant en plus montrée du doigt parce qu’elle abrite une proportion importante de Luo Guan 裸官, « fonctionnaires nus », appellation triviale qui désigne des agents publics ayant envoyé leur famille et tout ou partie de leur fortune à l’étranger.

Lin Zuomin PDG d’AVIC, Jin Zhuanglong (COMAC), Liu Shaoyang (China Eastern) et Li Jiaxiang administrateur de la CAAC, ancien général d’aviation, également vice-ministre des transports et membre de la Commission de discipline depuis 2012, ont accepté les remarques de la Commission et promis de prendre des sanctions. Le 28 juillet, Yang Shengjun, le patron d’une filiale d’AVIC avait été relevé de son poste pour avoir vendu illégalement des actions d’une autre filiale. En même temps, Liu Dehua, n°2 du contrôle aérien chinois (CAAC) a été mis en examen pour violation de la discipline du Parti.

Alors que le ralentissement de la croissance est, à coup sûr, un effet de l’apathie économique globale, il est donc aussi une des conséquences des réformes en cours qui, en torpillant les anciennes habitudes des féodaux, grippent la routine des gaspillages et des mauvaises allocations de crédits. Assez souvent dirigées vers les secteurs les plus dépensiers, ces dernières entretiennent un taux d’une croissance en partie décalée des véritables besoins du pays, accumulant de vastes surproductions industrielles, soufflant une dangereuse bulle immobilière et retardant les mises à jours sociales attendues par la classe moyenne et les migrants.

La dernière attaque contre les parrains de l’aéronautique chinoise qui ciblait également le Quotidien du Peuple, est aussi un coup de semonce politique contre les mauvais gestionnaires et les réfractaires aux réformes, ainsi qu’un signal public signifiant que personne n’était à l’abri de la volonté réformiste du régime. Jusqu’à présent la manœuvre fonctionne. En dépit des nombreuses analyses pessimistes sur la lenteur des réformes dont la mise en œuvre réelle n’est engagée que depuis deux années, on observe que la bascule du schéma économique de la Chine est en cours.

La part de la consommation et des services dans le PIB augmente.

Les signes que le glissement tectonique du schéma de développement de la Chine a commencé, sont, en dépit des transes boursières de l’été, la vigueur du secteur financier ainsi que le dynamisme des services et de la consommation dont la part dans la croissance de l’économie augmente. Selon une étude du Congrès des États-Unis publiée en octobre, la consommation privée des ménages sera en 2015 et 2016, l’un des plus gros contributeurs au PIB chinois.

La même tendance est à l’œuvre avec la part des services. Alors que la production industrielle comptait en 2005 pour 46,9% du PIB, comparée à 41,4% pour les services, en 2012 la part des services dépassait pour la première fois celle de l’industrie. Les projections 2015 envisagent une part des services à 49,2% contre seulement 41,9% à l’industrie.

Ces prévisions macro économiques du Congrès des États-Unis, appuyées sur les recherches de « l’Economist Intelligence Unit (EIU) » centre de recherche économique indépendant, partie du groupe « The Economist » basé à Londres, sont confirmées par des données du magazine chinois Caixin.

L’hebdomadaire publie régulièrement un indicateur d’achat de l’activité des services. En juillet 2015, il était établi à 53,8%. Sa bonne santé contrastait avec les 47,8% de l’indicateur d’achat du secteur industriel. Un article de Caixin, publié le 5 août faisait le constat suivant : « les services qui, durant la première moitié de 2015 ont compté pour près de 50% du PIB, sont aujourd’hui la première source de l’emploi en Chine ».

Les mêmes observations valent pour le secteur des finances dont la réforme est menée par une équipe déterminée, orchestrée par Zhou Xiaochuan président de la Banque Centrale, Lou Jiwei, ministre des finances et Liu He, diplômé d’administration publique de Harvard, n°2 de la Commission pour la réforme et développement et patron du secrétariat attaché au groupe dirigeant en charge des Affaires économiques et financières, présidé par Xi Jinping lui-même.

En dépit des récentes secousses boursières, une série de chiffres révélés le 21 octobre par le Bureau National des statistiques montre que l’activité des services financiers a progressé de plus de 16% au 3e trimestre 2015 par rapport à la même époque 2014. La croissance ainsi mesurée était plus du double de celle de l’économie traditionnelle.

Selon les économistes, la planète finance chinoise a joué un rôle important dans le maintien de la croissance globale aux alentours de 7%. La tendance à la hausse est à l’œuvre depuis le 4e trimestre 2014 où la croissance est passée de 8% en juin à 14% en décembre. Depuis janvier 2015, elle est constamment au-dessus de 15%, alors que la croissance moyenne des industries primaires (agriculture, sylviculture, pêche, activités minières) et secondaires (activités manufacturières, construction) stagne à 5%.

Même s’il est peu probable que la croissance du secteur financier continue à ce rythme, il est clair que l’économie chinoise poussée par une hausse de la consommation, des services et un secteur financier de plus en plus dynamique, est en train de muter. La question est de savoir si, confrontée à de puissants vents politiques adverses, la réforme pourra être menée à terme.

Notes.

(1) Entre janvier et décembre 2008, la croissance avait déjà brutalement chuté de plus 3 points, de 10,1% début 2008 à 6,9% à la fin de l’année. Mais calculée à partir des statistiques du fret et de la consommation d’énergie, la croissance réelle pourrait bien plafonner à 3%.

(2) D’un montant de près de 40 fois le budget de la sécurité sociale français, la somme, rapportée au PIB, équivaudrait en France à une relance annuelle de 195 Mds d’€ pendant 2 ans, soit au total 390 Mds d’€. A noter cependant que son ampleur équivalait seulement à 50% de la relance de 1100 Mds d’€ décidée par la Banque Centrale Européenne en janvier 2015.

(3) Tensions sur le capital, essoufflement de l’ancien schéma de développement, hausse des salaires, baisse de la productivité, perte de compétitivité de « l’usine du monde », stagnation de la qualité et augmentation du coût des obligations sociales de l’État et transition économique.


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