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Chine - Occident. Une guerre d’images

En dehors des facteurs concrets de compétition d’influence, de quête d’hydrocarbures, de guerre technologique dont l’affaire TikTok aux États-Unis est le dernier avatar, au milieu des sanctions et de l’embargo américains ; à côté des rivalités de souveraineté territoriale et des accusations d’empiètements et d’ingérence, une évidence saute aux yeux : l’antagonisme stratégique devenu systémique entre Washington et Pékin est aussi une bataille d’images.

Les représentations symboliques que l’un et l’autre offrent au reste du monde qui les contemple, s’expriment aux États-Unis et en Chine au travers d’une vaste somme d’analyses introspectives sur leur histoire et leurs relations avec le reste du monde.

Sans prétendre à la longue exhaustivité historique et culturelle, la réflexion qui suit tente d’éclairer le contraste récent des postures depuis l’avènement de Xi Jinping en 2012. Elle examine d’une part la trame des discours de l’appareil ainsi que ses initiatives internationales et, d’autre part, la manière dont les États-Unis se voient eux-mêmes au sein d’un monde où leur suprématie est aujourd’hui contestée.

Une récente synthèse de l’analyse des postures internationales de la Chine est proposée dans un article de Foreign Policy de mai-juin 2024 par Elisabeth Economy, Docteur en Sciences Politiques, experte de la Chine, enseignante de sensibilité politique démocrate et membre de l’Asia Society.

Pour l’image que les États-Unis ont d’eux-mêmes, objet de la plupart des critiques d’arrogance globale agressive qui leur sont adressées, notamment par l’appareil chinois et nombre de critiques occidentaux, on se réfèrera à la pensée de Robert Kagan, diplômé de Yale et Docteur en histoire américaine, l’un des symboles académiques les plus connus de la pensée néo-conservatrice.

L’Amérique. « Une Nation dangereuse. »

Les écrits de Robert Kagan, féroce opposant à Donald Trump dont les racines familiales plongent en Lituanie, expriment une pensée éclectique et mobile. Entre 2003 et 2006, depuis la date de l’invasion de l’Irak dont, à l’époque proche de la maison blanche, il fut un des promoteurs, jusqu’au sérieux déboires des troupes américaines, sa vision de l’Amérique et de ses relations avec le reste du monde a évolué.

Elle est passée d’une très arrogante assurance de la supériorité implacable sans partage de l’Amérique, teintée de mépris pour la « Vieille Europe » exprimée dans son livre « Of Paradise and Power » 2003 – en français : « La puissance et la faiblesse » ed. Pluriel - à un profond questionnement historique des relations de l’Amérique avec le reste du monde.

Analysée dans « Dangerous Nation America’s Place in the World, from it’s Earliest Days to the Dawn of the 20th Century » (2006), la prise de conscience constate que l’idéalisme prosélyte, partie intégrante de l’identité nationale des fondateurs, dont selon eux les principes idéologiques « transcendaient les liens du sang et les frontières nationales », fut à l’origine du sentiment que la nouvelle Nation serait à la fois porteuse de grands espoirs de ruptures politiques et en même temps, de troubles et conflits.

Ainsi, dit Kagan « dès 1776 » - au tout début de la guerre d’indépendance - « Les ambitions qui poussaient les Américains vers leur future puissance mondiale, devenue écrasante au fil du temps, étaient déjà en place » (…) Dans un contexte où « la politique étrangère et l’identité nationale étaient intimement liées, ces appétits furent renforcés par l’idéologie universaliste sur laquelle la république était fondée ».

Plus encore, dans l’histoire, la défiance des Européens s’est assez vite exprimée face à l’idéalisme intransigeant et œcuménique des élites de l’Amérique révoltées contre l’Angleterre.

John Quincy Adams, futur 5e Président des États-Unis de 1825 à 1829, qui fut Ambassadeur en Russie, en Prusse, au Portugal et au Royaume Uni, signalait déjà, dans ses rapports à Washington, qu’en Europe le sentiment montait que l’Amérique deviendrait un « membre très dangereux de la société des nations ».

Adams ajoutait qu’en Europe, l’appréhension se doublait d’un mépris pour l’hypocrisie de l’Amérique. Près d’un siècle après les rapports d’Adams, notant que l’attachement de Washington à ses idéaux n’a pas toujours été à la hauteur des discours, Kagan souscrit à l’idée des tartuferies américaines qu’il répète plusieurs fois dans son livre.

Aujourd’hui, dans les cercles du Sud Global, elle est résumée par le constat du « deux poids deux mesures » des stratégies internationales de la Maison Blanche.

En bref, l’image que dessine Kagan est celle d’une Amérique perçue par les autres comme idéaliste, donneuse de leçons politiques, souvent hypocrite, à la fois puissance, prosélyte et agressive dont les initiatives à l’étranger furent souvent portées par les mêmes valeurs de libertés publiques, de droit d’expression et d’indépendance de la justice qui, sur le sol américain, ont construit les armatures de la vie politique interne.

Pour toutes ces raisons, dit Kagan, depuis ses débuts, l’Amérique a été vue par le monde, non seulement comme la source de révolutions politiques, culturelles et sociales, mais aussi comme porteuse d’une ambition prosélyte globale appuyée par la puissance de ses armées, dessinant au fil du temps l’image d’une « Nation dangereuse ».

Principale critique stratégique adressée à Washington par la Chine de Xi Jinping, l’idée d’une Amérique aventureuse et agressive, uniquement tournée vers ses intérêts et ceux de ses alliés directs occidentaux fait son chemin dans le Sud global.

Tout en exprimant avec Moscou un nationalisme souverainiste et anti-occidental, passant sous silence ses agressivités en mer de Chine du sud et dans le détroit de Taïwan, l’appareil chinois se présente, par contraste avec l’Amérique, comme le parangon global et vertueux de la sécurité, de la paix et du développement.

Le projet mondial alternatif de Xi Jinping.

Dans son analyse publiée dans Foreign Policy, Elisabeth Economy note avec tous les observateurs de la Chine que, depuis 2012, Xi Jinping exprime de plus en plus dans ses discours l’ambition révisionniste de remodeler le monde.

S’appliquant à démanteler les alliances de Washington, il entreprend de « purger » les organisations internationales des valeurs occidentales, de chasser le Dollar de son piédestal et d’éliminer l’obstacle de la suprématie technologique américaine.

A écouter ses adresses à l’appareil, ces objectifs sont à portée de main.

Lors de la dernière Conférence Centrale sur la politique étrangère à la fin décembre 2023, l’image que Xi Jinping présentait de la Chine tranchait radicalement avec celle de « Nation dangereuse » que Robert Kagan proposait des États-Unis.

Pour Xi Jinping, la Chine était « Un grand pays confiant, autonome, ouvert et inclusif », ayant créé « la plus grande plate-forme de coopération internationale au monde », et de surcroît « ouvert la voie à la réforme du système international ».

Au passage, il affirmait que sa conception de l’ordre mondial d’une « communauté de destin pour l’humanité 人类命运共同体 » avait évolué d’une « initiative seulement chinoise » à un « projet international consensuel ».

Plus encore, sa réalisation était en cours par la mise en œuvre de quatre programmes chinois de portée mondiale : « Les Nouvelles routes de la soie ou Une ceinture une route 一带一路 – » ; et « Les initiatives globales de développement 全球发展倡议 ; de sécurité 全球 安全 倡议 et de civilisation 全球 文明 倡议- ».

Destinée à faire pièce à l’image d’une Amérique agressive, la représentation ainsi projetée par la propagande d’une Chine en tous points vertueuse, parangon de la concorde entre les peuples et du développement de l’humanité présente l’avantage de placer Pékin, non seulement au centre des affaires en cours et à venir du monde, mais surtout en position de les diriger.

Qu’au cours des dernières années, l’image d’une Chine vertueuse et infaillible [1] ait été brouillée par le recul de la croissance au milieu d’un marasme immobilier sans précèdent, battue en brèche par la diplomatie dite du « Loup guerrier » à l’origine d’une vaste défiance de l’Occident échaudé par une Chine devenue agressive ; altérée par quelques ratés des Nouvelles routes de la soie en Afrique ; et enfin radicalement contredite par le scepticisme anti-chinois récemment coagulé à l’Est de l’Europe, importe peu.

Pour l’appareil, l’essentiel semble articulé à la force de l’image, efficace levier de la contestation de l’Amérique construit par une stratégie à large spectre, financée par d’importantes ressources.

Coordonnée et systématique, visant à sensibiliser les gouvernements et les citoyens d’un nombre important de pays, elle construit l’apparence d’une Chine pacifique et généreuse, adepte du changement au profit des frustrés de la vaste mouvance du Sud global, quand les États-Unis apparaissent comme les adeptes conservateurs et agressifs du statuquo.

Mais l’image ainsi diffusée est incomplète.

S’il est exact que Pékin fait publiquement la promotion de sa générosité apaisée, le moteur idéologique de l’appareil reste son inflexible « souverainisme » autoritaire et sa capacité à défier les démocraties occidentales dont il juge aujourd’hui qu’ayant perdu leurs repères nationalistes, elles sont menacées de l’intérieur.

Mais, tout en ayant pris conscience des vulnérabilités de l’Occident, en fond de tableau surnage toujours l’obsession du Parti d’échapper à l’effondrement qui a disloqué l’URSS le 26 décembre 1991.

Note(s) :

[1En 2023, une étude du Pew Research Center menée dans 24 pays sur six continents révélait que seulement 28% des personnes interrogées avaient une opinion favorable de la Chine et que seulement 23% estimaient qu’elle contribuait à la paix mondiale. Par contraste près de 60% des personnes interrogées avaient une vision positive des États-Unis et 61% estimaient que Washington contribuait à la paix et à la stabilité.


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