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›› Politique intérieure

De la toute puissance à la crise politique. L’itinéraire de l’affaiblissement de Xi Jinping

Un enchaînement catastrophique.

Début novembre 2022, à Lanzhou (4 millions d’habitants) dans le Gansu 1200 km à l’ouest de Pékin, un père dévasté se plaignit à un journaliste de la BBC que son fils de trois ans, intoxiqué par une fuite de gaz était mort parce qu’il n’avait pu être transporté à l’hôpital. Son évacuation, dit-il, avait été bloquée par la rigidité implacable du confinement qui enfermait sans considération pour les cas particuliers, les résidents dans leurs appartements. Malgré les dénégations des autorités locales, l’affaire devint virale sur les réseaux sociaux.

Le 3 novembre, une foule de résidents excédés se répandit dans les rues, dénonçant la « cruauté » du Parti, au milieu des unités de police qui tentaient de les faire taire. Après 48 heures de silence, la municipalité de Lanzhou recommandait « plus de souplesse dans la mise en œuvre des confinements ».

Deux semaines plus tard, à Zhengzhou (10 millions d’habitants), capitale du Henan, 700 km au sud de Pékin, siège d’une des gigantesques usines d’assemblage du Taïwanais Foxconn, employant 300 000 ouvriers, fabriquant des produits électroniques dont les « iPhone » d’Apple, des parents accusèrent les soins d’urgence restés sourds à leurs appels, d’être responsables de la mort de leur fille de quatre mois atteints de vomissements et de diarrhée.

Le dysfonctionnement bureaucratique se lit dans les détails du drame. Ils traduisent une paranoïa diffusée par la radicalité politique de la tête du régime. Au moment où les symptômes de vomissements apparurent, la victime était isolée dans un hôtel de confinement depuis 48 heures avec sa mère, testée « positif  ».

Quand le père, séparé de sa famille a appelé à l’aide, les ambulanciers exigèrent que l’hôtel effectue des tests d’antigène avant d’accepter d’évacuer sa fille. Puis celle-ci ayant été testée « négatif », les secours décrétèrent que le bébé n’était pas gravement malade.

Alors que, dans la soirée les symptômes s’aggravaient, le père a appelé une deuxième équipe d’ambulanciers. Mais plutôt que de les emmener dans un hôpital proche de l’hôtel, ils évacuèrent la mère et la fille vers la ville de Dengfeng, « à près de 100 km de Zhengzhou  ». A l’arrivée sur place, après au moins deux heures de route, la température du bébé a soudain baissé et il est décédé.

Le père et la mère ont aussitôt été isolés dans une chambre de l’hôpital de Dengfeng, mais des dizaines de millions de Chinois avaient déjà eu connaissance du drame avant que la censure ne l’efface. Il courait, véhiculé par des milliers de messages sur les réseaux sociaux que la censure tentait de faire disparaître.

Une bonne partie des critiques dénonçaient la stratégie sans nuance de la lutte contre la pandémie de l’appareil, incapable de gérer les cas particuliers. D’autres lui attribuaient plus de décès qu’à la maladie elle-même. « Ce n’est pas le virus qui tue » dit un internaute, « mais l’excès de prévention ».

Le 23 novembre encore Zhengzhou, dans l’usine du Taïwanais Foxconn, une partie des 200 000 ouvriers travaillant à la chaîne s’est révoltée contre la brutalité du confinement. Transmises malgré la censure par les réseaux sociaux, les images ont, avant d’être effacées, montré de sévères affrontements avec la police antiémeute.

Enfin le lendemain, 24 novembre, à Urumqi, la capitale de la province ouïghour du Xinjiang, le retard des pompiers, gênés par le confinement, était rendu responsable de la mort de dix personnes dans l’incendie aux 16e et 17e étages d’un immeuble qui n’a été maîtrisé qu’au bout de trois heures.

Peu après, des protestations ont éclaté à travers le pays, à une échelle jamais vue depuis des décennies. Sur les campus universitaires et dans les rues des grandes villes, des foules se sont rassemblées pour demander la fin des tests et des confinements répétés. Certains décriaient la censure et, d’autres plus rares, exigeaient de plus grandes libertés politiques.

À Shanghai, les manifestants ont même appelé à la démission de Xi Jinping. Renvoyant à la banderole déployée par Peng Lifa le 13 octobre, il s’agissait d’un défi politique envers un dirigeant dont nombre d’observateurs notaient pourtant qu’il était le plus puissant et le plus autoritaire du pays depuis des décennies.

*

Même si les tumultes qui eurent lieu dans une quinzaine de villes ont été rapidement étouffés par l’engagement d’une considérable foule de policiers et une longue suite d’arrestations qui durent toujours, ils ont sévèrement affaibli la position de Xi Jinping dans le Parti. La suite marquée par la précipitation et l’incohérence d’une levée des mesures de confinement sans précautions montre en tous cas qu’il n’est plus seul aux commandes.

Aussitôt après les protestations, quelques villes prirent elles-mêmes l’initiative d’alléger les mesures de fermeture. Puis, le 7 décembre, l’exécutif débordé annonçait une volte-face radicale de sa politique pandémique. Les confinements, les tests systématiques et les quarantaines collectives dans les gymnases étaient abandonnés.

Signifiant sans le dire clairement, que la stratégie paranoïaque du « zéro-covid » était abandonnée, les médias aux ordres et les responsables de santé publique changèrent leur narratif. La menace virale était soudain relativisée et considérée comme plus anodine. Alors que beaucoup ont accueilli avec soulagement l’assouplissement des restrictions étouffantes, sa brutalité et son caractère aléatoire ont désarçonné un public non préparé.

La foule des Chinois venus acheter des médicaments contre le rhume et la fièvre soudain à nouveau en vente libre, alors qu’il étaient sévèrement contrôlés sous la stratégie zéro-Covid, a provoqué d’interminables files d’attente devant les pharmacies.

A nouveau, comme au printemps 2020, les urgences des hôpitaux sont débordées, tandis qu’en l’absence d’informations publiques, les réseaux sociaux font circuler des vidéos que la censure ne parvient pas à effacer assez vite, montrant que les crématoriums ont du mal à faire face à l’afflux des corps.

*

Trois ans après l’apparition de l’épidémie à Wuhan, la scène politique chinoise offre une image contrastée. Celle de la cohésion sans nuance mise en scène par le 20e Congrès autour de Xi Jinping. Et, derrière cette façade, celle où le n°1 chinois subit un préoccupant ébranlement de son autorité mise à mal, à l’intérieur, par des contestations publiques de son magistère érodé par sa gestion erratique de la pandémie. Le malaise de l’appareil se perçoit également face aux ripostes suscitées en Occident par sa politique étrangère agressive d’affirmation de puissance et de défi à l’Amérique.

Les réserves à l’égard de la Chine, parfois l’hostilité, se manifestent au Canada, en Australie, en Corée du sud et au Japon auxquels s’associent les alliés de Washington en Asie du sud-est, parfois rejoints par l’Inde, pour freiner l’élargissement de l’empreinte de chinoise en Asie-Pacifique en Asie du sud. En riposte à ces contrefeux, Pékin dispose encore de l’arme toujours très efficace de son vaste marché intérieur, principale destination des exportations de la majorité de son réseau de relations internationales.

Il reste que le durcissement du régime chinois et les errements de sa politique pandémique créent une répulsion, cristallisant une défiance à la personne même de Xi Jinping.

Quelle responsabilité de Xi Jinping ?

Cai Xia, 70 ans, Docteur en droit, plusieurs fois citée par QC, aujourd’hui chassée du Parti et réfugiée aux États-Unis, a connu Xi Jinping depuis l’intérieur du sérail à l’époque où il était Président de l’École Centrale du Parti (2007 – 2012) quand elle-même y était professeur de sciences politiques de 1998 à 2012.

Au fil de ses articles rédigés dans Foreign Policy, elle construit une critique soigneusement argumentée du n°1 chinois qu’elle rend responsable de la rupture de confiance entre la tête de l’exécutif et toutes les nuances politiques de l’Appareil.

Les Marxistes orthodoxes toujours adeptes de la lutte des classes et de la planification rigide verticale de haut en bas lui reprochent de n’être pas allé assez loin dans la résurrection de l’économie étatique.

Le Centre, courant de pensée aujourd’hui majoritaire dans la bureaucratie dominée par les fidèles héritiers de Deng Xiaoping avec les variantes Jiang Zemin et Hu Jintao, l’accusent d’avoir défait les réformes de Deng. Quant à la droite, adepte de l’économie libérale de marché et d’une forme adoucie de dirigisme ouvrant la voie à des réformes politiques, elle a été purement et simplement réduite au silence.

Sa dernière analyse en date intitulée « The weakness of Xi Jinping » (payant) a été publié dans le n° de septembre – octobre 2022, de Foreign Policy peu avant les contestations publiques contre le Président qui demandaient sa démission en fustigeaient son obsession d’éradication complète du virus.

Au milieu des critiques bien connues, accusant Xi Jinping d’avoir en 2018, supprimé la limitation à deux mandats présidentiels et tourné le dos à l’héritage de prudence stratégique de Deng Xiaoping ; puis d’avoir utilisé la lutte contre la corruption pour éliminer ses opposants, Cai Xia formule une critique remontant à l’origine de la pandémie en 2019 et 2020.

En substance, elle analyse que l’idéologie de perfection irréfutable du Parti, seul capable de gouverner la Chine, épine dorsale de la pensée de Xi Jinping et de l’appareil, a conduit l’exécutif chinois et son administration à occulter l’émergence du virus, vue d’abord comme un symptôme de faiblesse pouvant être exploité par l’Occident.

A l’appui de son assertion, elle cite le maire de Wuhan Zhou Xianwang qui, en février 2020, avait révélé à la télévision d’État que l’appareil lui avait interdit de faire état de l’épidémie. En même temps, venue des experts américains du Centre de Contrôle des maladies virales d’Atlanta, flottait l’information préoccupante qu’en pleine montée des contaminations, la tête de l’exécutif avait interdit tout contact avec les États-Unis et leurs experts qui proposaient leur aide.

Dès lors, la suite de la politique chinoise de rédemption internationale par une vaste distribution de vaccins et de masques assortie à un raidissement sourcilleux de Pékin, s’interprète comme une manœuvre de réhabilitation du n°1 à usage interne. Commencée en mars 2020 par la mise en scène d’une déclaration de victoire, elle s’est dilatée dans le monde jusqu’à provoquer un agacement international.

Les derniers actes de l’affaiblissement de l’aura autocrate de Xi Jinping, toujours articulé à la volonté de prouver la supériorité du système chinois, auront été les errements brutaux de sa politique de « zéro-covid » à l’origine d’un sérieuse secousse politique interne.

Alors que la réflexion de Xi Jinping fait depuis 2013 systématiquement référence au « rêve chinois 中国梦 » nourrissant une utopie de puissance, Cai Xia, rappelle l’essentiel.

« Dans tout système politique, un pouvoir incontrôlé est dangereux. Détaché de la réalité et libéré de la contrainte du consensus, un dirigeant peut agir à la légère, mettre en œuvre des politiques imprudentes, impopulaires ou les deux. » (...)

« Il n’est donc pas étonnant que le style de gouvernement “je-sais-tout“ de Xi Jinping ait conduit à un certain nombre de décisions désastreuses. Le thème commun (NDLR qui renvoie à la propension à confondre un rêve et un objectif concret réalisable), en est une incapacité à saisir l’effet pratique de ses directives. »


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