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« Double Dix », les discours croisés des héritiers de Sun Yat-sen

Alors même que l’armée de l’air de l’APL se livrait à des démonstrations de force répétées depuis le 6 septembre, dernier épisode en date d’une longue suite de gesticulations militaires récurrentes depuis le début des années 50, le 9 octobre, la veille du « Double dix » la fête nationale taïwanaise, Xi Jinping célébrait lui aussi la révolution de 1911, dans un discours au Grand Palais du Peuple, en appelant à une réunification pacifique.

Pour autant, ayant stigmatisé « Le séparatisme indépendantiste » comme « le plus grand obstacle à la réunification de la patrie et au renouveau national », il reprit le ton de la mise en garde. « Personne ne devrait sous-estimer la détermination inébranlable du peuple chinois, sa ferme volonté et sa forte capacité à défendre la souveraineté nationale et l’intégrité de son territoire » (…).

Puis, imperturbable, il répéta que le destin des vingt-quatre millions de Taïwanais était fatalement scellé par l’histoire, quel que soit l’avis qu’ils expriment dans les urnes : « La tâche historique de la réunification complète de la patrie doit être accomplie et le sera certainement. »

A Taïwan, Tsai affiche la souveraineté démocratique de l’Île.

C’est peu dire que dans l’Île, l’offre de réunification pacifique, assortie de menaces et d’une injonction aux Taïwanais de se résigner à un déterminisme historique inéluctable, n’a pas soulevé d’enthousiasme.

Le jour même, la Présidence déclarait que l’Île était « un pays souverain et indépendant, séparé de la République populaire, dont l’avenir était dans les mains du peuple taïwanais ».

Le lendemain, Tsai Ing-wen prononçait son discours de la fête nationale, dans lequel elle s’engageait à défendre la souveraineté et la démocratie face aux « défis sans précédents posés par les pressions militaires croissantes de la Chine. »

Son adresse comportait certes des développements traitant de sujets domestiques, comme la question de l’énergie. Éludant cependant la controverse sur le nucléaire, elle a préféré commenter les performances de l’Île en matière d’émission carbone.

Elle a aussi souligné le retour du dynamisme économique de l’époque des « quatre tigres asiatiques » ; ou encore, ayant probablement en tête la menace posée par la fuite d’au moins 3000 ingénieurs des nouvelles technologies séduits par l’offre chinoise, elle s’est félicitée que son gouvernement ait mis en œuvre une efficace politique de retour dans l’Île des talents expatriés.

Le succès de la politique de rapatriement des talents, argument pour célébrer la cohésion patriotique des élites, lui a offert un exemple de la solidarité nationale qu’elle appelle aussi de ses vœux à propos des réformes constitutionnelles proposées par le DPP. A ce sujet, et face au rejet du KMT, elle a, sans prendre parti ni aller dans les détails très explosifs des amendements proposés, incité ses compatriotes à faire bloc en période de menace existentielle.

Il est un fait que les réformes proposées à l’automne 2020, qui toutes agitent le spectre d’une rupture avec le passé continental de l’Île, sentent le souffre en cette période où Pékin exprime à l’extrême son projet de réunification.

Elles envisageant notamment de supprimer les institutions périmées des Yuan de Contrôle et des Examens ; de modifier l’hymne national qui, en niant l’évolution démocratique, prône toujours la loyauté « au Parti » ; d’effacer de la loi fondamentale la référence à la « Province de Taïwan » et à la réunification, en même temps qu’on supprimerait le symbole de Sun Yat-sen, ainsi que toute allusion aux territoires du Continent ne faisant pas partie stricto-sensu de la République de Chine.

Mais l’épine dorsale de ses déclarations de la fête nationale était clairement le contraste entre le comportement autocrate d’un régime non élu et la souplesse démocratique de l’Île capable de rassembler une majorité de la population sur l’essentiel.

Aux élans patriotiques de Xi Jinping, Tsai a opposé une version taïwanaise du nationalisme insulaire en faisant référence au drapeau de l’Île, aux médailles d’or au JO, aux succès du secteur des microprocesseurs.

Enfin, relevant la présence aux célébrations d’Eric Chu, le nouveau président du KMT, de Ko Wen-je, le président du Parti du peuple taïwanais et de Chen Jiau-hua, du Parti du Nouveau Pouvoir, elle a, à la fois, salué le multipartisme démocratique et la détermination de tous à se battre pour la liberté.

La liberté et la démocratie qui tranchent avec l’autocratisme vertical exerçant sans nuance des pressions militaires sur l’Île, sont probablement les deux valeurs ayant récemment rallié à l’Île plusieurs soutiens de la communauté internationale venus visiter Taïwan et rencontrer Tsai Ing-wen en dépit des menaces de représailles de Pékin.

Au nom de la liberté, les amis de Taïwan défient Pékin.

Répétant qu’ils respectaient « la politique d’une seule Chine », récemment quatre Sénateurs français sous la conduite d’Alain Richard ancien ministre de la Défense et Président du Groupe d’information et d’échanges entre le Sénat et Taïwan, ont exprimé cette solidarité en effectuant une visite officielle dans l’Île au nom de la Chambre Haute.

Alors qu’une visite politique de ce niveau est un irritant de première grandeur pour Pékin dont le nationalisme ré-unificateur est de plus en plus sourcilleux, sa préparation avait donné lieu à plusieurs « sorties de route » de l’Ambassadeur de Chine en France Lu Shaye.

Elles sont connues, mais il faut les rappeler, tant elles sont le symbole à la fois de la nouvelle attitude internationale de Pékin et de sa susceptibilité taïwanaise exacerbée par la présence dans l’Île d’un pouvoir qui rejette le « Consensus d’une seule chine » de 1992. Pour cette raison il est considéré comme illégitime par Pékin qui l’ostracise depuis 2016.

Après avoir mis en garde Alain Richard en amont de son voyage, suggérant que Pékin exercerait des représailles sur les affaires françaises en Chine, l’Ambassadeur de Chine avait traité le chercheur Antoine Bondaz de la FRS de « hyène folle », de « petite frappe » et de « troll », après que dans une note, il avait fait remarquer qu’il n’était pas d’usage qu’un Ambassadeur commente publiquement le voyage de sénateurs français. Sur le voyage d’Alain Richard, voir la vidéo d’Europe n°1.

Pour ne fâcher personne, dit le commentaire, Alain Richard a quitté l’Île avant les fêtes du « Double Dix. »

La remarque qui renvoie à la fête nationale taïwanaise est l’occasion de rappeller qu’à Taïwan comme sur le Continent les élites politiques au pouvoir se voient toujours comme les héritiers de Sun Yat-sen, le fondateur du Kuomintang (KMT). Rival historique du Parti Communiste Chinois et premier président de la République de Chine (ROC) en 1912, puis de 1917 à 1925, à Taïwan, Sun reste 110 ans après la révolution de 1911, une référence historique.

Même si elle est contestée par la mouvance de rupture de plus en plus audible dans l’Île, sa figure symbolique continue à traverser les Partis, tandis que le nom qu’il avait donné au régime chinois en 1912, reste toujours le nom officiel de Taïwan. Enfin, c’est face au portrait de Sun Yat-sen que Tsai Ing-wen, élue à la tête de l’Île en 2016 et 2020, contre des candidats du KMT, a prêté serment à chacune de ses deux cérémonies d’investiture.


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