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Formose trahie

Le dilemme américain.

Le deuxième grand intérêt de cet ouvrage exceptionnel par sa puissance historique et la scrupuleuse qualité de ses descriptions, est qu’il nous met en présence de la racine du grand dilemme américain dans le Pacifique occidental. Le sinologue Robert Scalapino le rappelle dans la préface du livre. Aujourd’hui encore, il agite la classe politique à Washington, d’autant que la montée en puissance de la Chine, devenue incontournable, réduit la marge politique de la Maison Blanche.

Les Etats-Unis doivent en effet concilier, d’une part la « realpolitik » de leurs intérêts stratégiques qui commandent, comme le suggère Zbigniew Brzezinski et beaucoup d’autres, de s’accorder avec le Parti communiste chinois sur le maximum de sujets possibles et, d’autre part, les valeurs de démocratie et de liberté affichées par Washington, et qui constituent toujours le marqueur de leur culture politique et de leur « puissance soft », en même temps que le principal facteur de leur audience en Asie de l’Est et dans la plupart des pays de l’ASEAN.

Tâche d’autant plus ardue que l’Ile de Taïwan, qu’ils soutiennent, a développé face à la Chine une identité propre, d’autant moins acceptée par Pékin qu’à côté du traditionnel schéma de la réunification sous l’égide d’un des deux héritiers de l’histoire chinoise post-dynastique, s’installe aujourd’hui, avec de plus en plus de force, une tendance politique indépendantiste qui trouble Washington presqu’autant que Pékin.

Ainsi revisitée, la préface de Scalapino, trouve sa complète pertinence à plus de 40 ans de distance. Le dilemme américain ne s’est pas allégé. Il s’est au contraire assez notablement compliqué.

En attendant, le livre de Georges Kerr fourmille d’épisodes, d’analyses et décryptages qui mettent à jour le malaise et les contradictions de la politique de Washington, en même temps que les hésitations, et aveuglements des diplomates qui là, comme ailleurs, accrochés à leurs éléments de langage et à la ligne politique officielle, refusent de voir les faits, qui pourtant leur crèvent les yeux, à moins qu’ils ne s’en désintéressent.

Pendant la période décrite par l’auteur, rares furent en effet les rapports officiels de l’administration américaine qui rendirent compte avec exactitude et objectivité de la situation dans laquelle se trouvait l’Ile aux prises avec les prédateurs indisciplinés de l’armée nationaliste. Et quand ce fut le cas, ils furent mis sous l’éteignoir.

Aucun, en tous cas, n’avait anticipé le drame de 1948, qui, pourtant, était inscrit dans la longue accumulation de forfaitures commises par l’armée de Chen Yi. La plupart donnaient dans l’édulcoration des faits quand ils ne conduisaient pas purement et simplement à une évaluation erronée de la situation et à la présentation de perspectives totalement opposées à la réalité.

Que Georges Kerr, décédé en 1992, ait eu une préférence pour placer Taïwan en 1945 sous l’égide des Nations Unies qui auraient mandaté les Etats-Unis, est une réalité. Mais cette préférence s’alimentait d’un constat que personne n’était prêt à accepter dans les hautes sphères, soit par cécité, soit par confort ou à cause d’arrières pensées stratégiques.

S’il est vrai que les Taïwanais avaient été traités par les Japonais comme des citoyens de seconde zone, l’Ile était développée, les habitants étaient instruits et parfaitement capables d’administrer Formose pour leur compte.

L’arrivée d’une bande de pillards incultes et méprisants ne pouvait que jeter le trouble dans ce paysage et provoquer des drames. C’est ce qui se produisit. Washington, abreuvé de rapports politiquement corrects et sibyllins n’a pas voulu le voir, ou à fermé les yeux par réflexe, aveuglé par deux chimères complètement irréalistes.

La première, véhiculée par les évangélistes américains, était celle d’une Chine émancipée et moderne, adepte des valeurs chrétiennes diffusées par l’exemple de la famille Chiang ; la deuxième voulait croire, contre la plus criante évidence, à une armée nationaliste puissante, capable, non seulement de défendre seule l’Ile contre une attaque communiste – ce qui aurait pu se produire si Mao n’avait pas décidé d’intervenir en Corée - ; mais également de reconquérir le Continent.

Finalement les Etats-Unis ont fait ce qu’ils font toujours pour tenter de donner corps à leurs rêves. Ils ont déversé sur l’Ile leurs conseillers et leur argent. Par là même, ils ont conforté les contrastes qui sont à la source de leur dilemme. Mais pour reprendre une phrase de la préface, « il n’y a pas de réponse facile à une question aussi délicate. Méfions nous de ceux qui proposent des solutions simples à des problèmes extrêmement complexes ».


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Par Anonyme Le 5/01/2013 à 16h53

Formose trahie.

Afin qu’une étude historique de valeur ne soit point entachée par une erreur minime, il convient de rectifier ceci : Jiang Jie shi n’appartenait pas à l’eglise catholique mais à la dénomination méthodiste, (张老 会) tout comme son épouse d’ailleurs et le père de celle ci qui avant de revenir en Chine vendait des bibles aux USA. Vers la fin de sa vie, Jiang Jie shi, résidant à Taipeh ( Shilin) aimait réunir autour de lui un auditoire auquel il infligeait ses sermons religieux ( Jay Taylor. The generalissimo. Chiang Kai Shek and the struggle for modern China . Havard university press 2009)

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