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Grands travaux et réforme des groupes publics. Une ambition immense et complexe

Les grands travaux d’infrastructure : un « New Deal » chinois.

La Chine est le pays des grands travaux. Imposer la marque de l’homme à la nature souvent hostile est inscrite dans l’ADN politique du régime.

Il y a trois semaines, la Commission pour la Réforme et le Développement a rendu publique une liste impressionnante de plus de 1000 projets d’infrastructure et d’aménagement du territoire dont elle a estimé le coût à près de 280 Mds d’€ d’investissements publics et privés. Pour l’essentiel ces derniers comprennent des autoroutes, des voies de chemin de fer, des tunnels et des métros urbains. Ces infrastructures de transport qui couvrent tout le territoire s’ajoutent aux projets de conservation de l’eau et à ceux déjà en cours visant à augmenter la densité des hôpitaux dans les zones périurbaines et rurales financés par les régions et les municipalités.

Planifiés par les provinces selon les nouvelles directives de classification des projets visant à éviter le gonflement des dettes locales (voir notre article Point sur les réformes récentes. Essai d’analyse de la méthode) et en théorie financés par des partenariats public-privés, ces grands travaux modifient sous nos yeux le visage de la Chine rurale et urbaine.

Parmi les plus spectaculaires et les plus chers figurent le tunnel sous la mer reliant Yantai à Dalian dont le coût est estimé à 36 Mds d’€, trois nouvelles lignes de métro à Pékin pour un coût total de 18 Mds d’€ et l’extension du métro de Hangzhou qui répond au développement rapide de la ville, désormais parmi les 15 plus vastes concentrations urbaines du pays avec plus de 10 millions d’habitants. Son coût est estimé à plus de 7 Mds d’€. D’autres métros sont en cours de construction, la plupart à l’Est mais pas seulement. Urumqi, Lanzhou, Guiyang, auront également leur métro urbain.

Dans la seule province de l’Anhui on compte pas moins de 27 projets d’infrastructures de transport, voies ferrées et routes, reliant les métropoles de Hefei, Anqing et Jiujiang dont le coût total atteindra 8 Mds d’€. En Mongolie intérieure 43 projets d’infrastructure, en partie financés par des prêts de la Banque Mondiale planifiés, désenclaveront les régions les plus pauvres, les zones industrielles et d’extraction minières qui seront connectées à Baotou, Hohhot et Jining.

Aux infrastructures de transports s’ajoutent des projets d’irrigation et de captation de l’eau comme le canal du Gansu long de 110 km, estimé à 1 Md d’€ comportant 18 tunnels et destiné à dévier la rivière Tao, un affluent du Fleuve Jaune, vers le centre désertique de la province ; des barrages au Sichuan ; un champ d’éoliennes au Gansu ; les nouveaux aéroports à Pékin – Daxing et Kunming qui complètent d’autres projets déjà lancés ou achevés comme les grands canaux de déviation de l’eau du Changjiang vers le nord (voir Projet de diversion sud-nord : mise en service du canal central) dont le canal central a été mis en service en décembre 2014, le port en eau profonde de Shanghai ou le spectaculaire pont de la baie de Jiaozhou à Qingdao long de plus de 26 km.

Mais la boulimie des projets ne s’arrête pas aux infrastructures de transport. L’aménagement du territoire comptera un centre de « cloud computing » d’une valeur de 900 millions d’€, planifié à Karamay au Xinjiang à 300 km au nord-ouest d’Urumqi, la capitale de la province qui sera elle-même dotée d’un nouvel hôpital d’une valeur 800 millions d’€.

Au passage, l’attention portée à l’ancien Turkestan oriental par la Commission de développement répond à deux soucis du régime : celui d’inscrire dans la modernité le Xinjiang, l’un des maillons des nouvelles routes de la soie vers l’Eurasie ; et celui de réagir par le développement high-tech et une infrastructure de santé de qualité aux tendances irrédentistes d’une partie de la population ouïghoure.

Le difficile assainissement du secteur industriel public.

La publication des projets d’aménagement du territoire coïncide avec un vent de réformes du tissu industriel qui souffle depuis l’automne 2014. Là aussi les contradictions ne sont pas minces, articulées d’une part autour des intérêts des grands groupes publics à la fois très endettés et difficiles à réformer, mais dont certains, qui opèrent dans des secteurs stratégiques et de ce fait politiquement puissants, doivent être secourus par les finances publiques, et d’autre part la volonté du pouvoir de dynamiser le secteur productif par plus d’attention accordée au privé et aux petites entreprises.

A cette contradiction s’ajoute un élément qui parasite la rationalité du processus d’assouplissement du tissu industriel pour moins de lourdeur bureaucratique et plus d’efficacité innovante : le nationalisme du pouvoir exprimé par l’ambition de rattrapage de puissance, une des épines dorsales des stratégies de Xi Jinping qui semble vouloir donner naissance, à l’instar du Japon, à des grands groupes à la renommée internationale, mais dont la création, si elle n’est pas soigneusement bridée, risque de créer de puissantes féodalités industrielles rétives aux réformes.

Ces deux tendances : sauvetage des grands conglomérats qui furent à la racine du tissu industriel traditionnel à quoi s’ajoutent les fusions dont les intentions cumulent l’ambition de puissance et le souci d’assainissement, cohabitent depuis janvier 2015.

Sauvetage de Sinosteel

En septembre 2014, le China Daily révélait que Jia Baojun PDG de Sinosteel, qui était en poste depuis 3 ans, avait été démis de ses fonctions par la SASAC. Selon Xu Zhongbo, PDG de Beijing Metal Consulting Ltd, des erreurs de gestions ont empêché le groupe de se redresser.

En mai dernier le magazine Caixin rendait compte du sauvetage d’un « grand corps malade » de l’industrie historique chinoise : le très endetté groupe public Sinosteel. Alors que le président du groupe, Jia Baojun, avait été démis de ses fonctions à l’automne dernier, la publication du plan de sauvetage du géant chinois de l’acier est attendue pour fin juin 2015.

Plus gros importateur de minerai de fer, 中国中钢集团 – Zhong Guo Zhong Gang Jituan – qui emploie 46 000 personnes et compte 72 filiales, fut, en 2004, le premier groupe chinois a se projeter à l’extérieur, en Australie, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Aujourd’hui il a accumulé plus d’un milliard d’€ de dettes auprès des banques chinoises et étrangères, dans un contexte où tout le secteur souffre, plombé par de lourdes surcapacités.

A l’origine de la crise : la baisse du prix du minerai de fer qui pèse durablement sur le rachat en 2008 pour 9 Mds de Yuans (1 Mds d’€) du groupe australien Midwest Corp. Mais les administrations locales qui craignent la montée du chômage et protègent leurs intérêts corporatistes liés à ceux des groupes, avaient jusqu’à présent rechigné à mettre en œuvre les réformes préconisées par le pouvoir. La Chine étant la source de 50% de l’acier produit dans le monde, l’affaire a une résonance globale.

Le sauvetage comprendrait une restructuration de la dette ordonnée par le gouvernement qui, en janvier dernier, chargea la Commission de régulation bancaire d’arranger des négociations avec les banques. En 2014 ces dernières avaient déjà refusé de se plier aux injonctions de la Commission des Actifs de l’État (SASAC) qui demandait purement et simplement d’annuler les dettes du groupe, tandis que certaines banques avaient même retiré leurs capitaux. En même temps, Sinosteel qui bénéficie de solides appuis au sommet avait refusé de se déclarer en cessation de paiement.

Pour l’instant, la stratégie paye puisque ICBC, la plus grande banque de Chine, bras armé du pouvoir chinois pour les opérations en Renminbi à l’étranger, a accepté d’accorder un nouveau prêt au groupe qui porte le total des crédits consentis par la banque à 11 Mds de RMB (1,5 Mds d’€). Ce renflouement s’ajoute aux 12 Mds de RMB (1,7 Mds de d’€) de la Banque de l’agriculture et montre la détermination du gouvernement à ne pas abandonner le groupe à son sort. De son côté, ce dernier a pris de mesures pour restructurer ses effectifs, réduire le personnel de direction et améliorer la formation de ses personnels.

Les mesures sortiront Sinosteel du rouge mais elles ne résoudront pas les déficiences de gestion, ni les mauvaises pratiques. Des sources citées par Caixin indiquent que le gouvernement avait accusé la direction d’avoir falsifié des informations financières pour obtenir des crédits, utilisé des prêts à court terme pour des investissements immobiliers qui s’avérèrent catastrophiques et développé une stratégie d’expansion imprudente.

Un mythe de Sisyphe : la réduction du nombre des groupes publics.

Depuis janvier 2015 la fusion de CSR et CNR les deux équipementiers du rail est à l’ordre du jour, contre leur volonté. A la clé : la création d’un champion national dont la valeur des actifs atteint 23 Mds d’€.

A côté du sauvetage des géants industriels qui cumulent 70% de la dette chinoise, dont Sinosteel est un exemple, le pouvoir est en train d’en créer de nouveaux par la fusion des deux acteurs du rail chinois CNR 中国北车 et CSR 中国 南车 (fabricants de matériels ferroviaires), créant un immense conglomérat dont les actifs approchent les 23 Mds d’€. Sur la table également le rapprochement des géants de l’énergie : China Power International (centrales au charbon, hydrauliques et éoliennes) et Sate Nuclear Power Technology (champion du nucléaire de 3e génération et de l’AP 1000) qui donnera naissance à un autre monstre dont les actifs sont évalués à près de 90 Mds d’€.

Des rumeurs non confirmées courent aussi sur les mariages de Dongfeng et Faw, deux champions de l’automobile et des géants des hydrocarbures Sinopec et CNPC. Toutes ont été démenties par les intéressés. Ce qui ne prouve rien.

La nouvelle stratégie de regroupements qui vise à assainir le secteur productif public a été annoncée par le pouvoir au printemps 2015 et rapportée par Reuters qui citait le Quotidien de l’économie. D’une ampleur inédite, elle vise à réduire à seulement 40 le nombre de conglomérats qui sont aujourd’hui plus de 1500 – dont 277 sont cotés aux bourses de Shanghai et Shenzhen, capitalisant 1400 Mds d’€ d’actifs -. L’intention est louable, puisque réduisant la jungle des groupes connectés au pouvoir, elle diminuera les opportunités de corruption et de mauvaise gestion. Elle réduira aussi les très sévères compétitions sino-chinoises sur les coûts qui tirent les bénéfices vers le bas et handicapent la R&D chinoise.

Mais l’ampleur de la tâche tient du mythe de Sisyphe tandis que la réussite de l’opération repose sur la mise en place à la tête des nouveaux géants d’une gouvernance irréprochable en phase avec les intentions politiques du pouvoir. C’est probablement la raison pour laquelle la Commission Centrale de discipline a augmenté ses inspections dans les entrailles des groupes publics.

Le défi est de taille. Touchant à un des plus formidables bastions conservateurs du régime chinois où se croisent les intérêts d’affaires et les batailles entre clans politiques rivaux, il n’a pas que des incidences industrielles. Il prétend en effet aussi ponctionner la richesses des entreprises d’État pour la redistribuer sous la forme d’une contribution aux pensions.


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