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›› Politique intérieure

L’insistante rumeur d’une « fuite » au laboratoire P4 de Wuhan

Impossible d’y échapper. Les réseaux sociaux de la planète véhiculent depuis quelques semaines l’information délétère selon laquelle l’épidémie de Coronavirus baptisé « 2019-nCoV. » aurait été provoquée par une « fuite » au laboratoire biologique de haute sécurité « P4 » de Wuhan construit en coopération avec la France et situé à 280 m au sud du marché aux fruits de mer de Huanan à Wuhan – 华南 海鲜 批发 -.

Démentis.

Nombre d’experts ont dénoncé la nouvelle comme une intoxication. Cité par « 20 minutes », le Professeur Hervé Raoul directeur du laboratoire P4 Jean Mérieux-Inserm de Lyon qui s’était rendu sur le site de Wuhan durant la construction du laboratoire, avait rappelé la rigueur des mesures de protection prises dans les laboratoires de haute sécurité.

Entre autres, l’étanchéité du site et des scaphandre par surpression, le filtrage de l’atmosphère intérieure, les sas et douches de décontamination, les systèmes de sécurité redondants en cas de panne, les procédures de compte-rendu obligatoire et la réglementation stricte des sorties en cas de défaillance humaine ou technique.

En somme, le Professeur Raoul qui avait accompagné Bernard Cazeneuve à la cérémonie d’inauguration du laboratoire le 23 février 2017 à Wuhan, affirme : « Il est à peu près impossible qu’un technicien infecté sorte du laboratoire. » et « Il n’y a aucune raison de penser qu’à Wuhan, les chercheurs travaillent sur le coronavirus. ».

Le 7 février RFI citait le professeur Frédérick Keck, chercheur au CNRS : « La coïncidence entre l’émergence du coronavirus de Wuhan et la présence d’un laboratoire P4 à Wuhan s’explique par le fait que c’est dans cette région de Chine qu’émerge un grand nombre de nouveaux virus ».

Il ajoutait : « À chaque fois qu’un nouveau virus émerge, montent des rumeurs selon lesquelles il viendrait d’un laboratoire. Mais c’est très difficile de fabriquer un nouveau virus et encore plus difficile de le relâcher sans en être la première victime. (…)

« C’est la nature qui fabrique des nouveaux virus, ce ne sont pas les laboratoires. » Et, voulant indiquer que le virus n’était pas artificiel, « on voit maintenant que ce nouveau virus possède des séquences génétiques communes avec des virus de chauve-souris connus depuis longtemps. »

La fin de l’article de RFI citait une déclaration du sénateur républicain Tom Cotton du 30 janvier doutant de l’origine naturelle du virus « laissant entendre sans preuve » une fuite du laboratoire. Dans la foulée RFI accusait les « néo-conservateurs » américains de diffuser une vision biaisée de la fiabilité de la Chine.

Dans la même veine, le 15 février, le Financial Times faisait état des déclarations de Trevor Bedford de l’institut de recherche sur le cancer de Seattle. Elles évoquaient les « “informations-poubelle“ circulant sur les réseaux sociaux ».

La rumeur persiste.

Mais tous les chercheurs américains ne sont pas sur cette ligne. Dès le 24 janvier, la revue médicale « The Lancet » analysait dans le détail les origines des contaminations.

Au milieu d’un foisonnement d’observations cliniques, ses conclusions en partie rédigées par des chercheurs chinois restaient prudentes. Mais elles enfonçaient néanmoins un coin dans le discours officiel d’une systématique origine animale au marché de Wuhan. Sur 41 patients examinés, 13 (34%) n’avaient pas été exposés à une contamination au marché.

Au même moment, Kristian Andersen, immunologiste au Scripps Research Institute en Californie qui analysait des séquences de 2019-nCoV pour en clarifier l’origine, déclarait dans The Lancet. « Le scénario selon lequel une personne aurait été infectée en dehors du marché et aurait transmis l’infection au marché depuis l’extérieur est une des 3 hypothèses envisageables ».

Enfin, le 15 février, redonnant une énergie cinétique à la rumeur, le site Zero Hedge endossait la conclusion de deux chercheurs chinois, Botao Xiao de l’Université Technologique de Canton (Laboratoire de recherche biologique) et Lei Xiao de l’Université de Sciences et Technologies de Wuhan.

Leur communication évoquait l’utilisation expérimentale de chauves-souris – dont ils précisaient qu’elles sont absentes du marché de Wuhan - par un chercheur du laboratoire et les risques d’incidents infectieux liés à des manquements aux règles de sécurité ou à des projections de sang lors des opérations chirurgicales sur les animaux.

Après les descriptions des erreurs, fautes ou infractions qui dessinent une ambiance de négligences, mais n’apportent pas la preuve formelle de la fuite, leur conclusion cautionnée par la Fondation Nationale des Sciences Naturelles chinoise était pourtant sans équivoque. Pour eux, la trajectoire du virus échappé d’un laboratoire de Wuhan impliquait une intervention accidentelle humaine.

L’allusion non voilée aux problèmes de sécurité ajoutait à la psychose. « Il est peut-être nécessaire de renforcer le niveau de sécurité dans les laboratoires à haut risque biologique. De même, Il pourrait s’avérer utile de les déplacer loin des centres-villes et des zones densément peuplées. »

Le 16 février, le SCMP publiait un démenti de l’Institut de virologie de Wuhan – où se situe le laboratoire P4 de la coopération franco-chinoise -. Alors que son nom n’avait pas été cité, étrangement, il récusait la responsabilité de Huang Yanling, l’une de ses anciennes chercheuses ayant quitté l’Institut en 2015.

Niant catégoriquement que Huang serait à l’origine de l’épidémie, ce fameux « patient zéro » - première personne à avoir été contaminée hors du marché -, le démenti a été répété par plusieurs autres chercheurs de l’Institut.

Dans la conclusion de l’article, Jun Mai qui couvre la crise depuis Pékin, rappelle cependant que les laboratoires chinois avaient déjà fait l’expérience d’une contamination directe en 2004 qui infecta 10 personnes dont une était décédée. A l’époque les autorités avaient attribué l’incident à une négligence. 5 haut-responsables du Centre de contrôle et de prévention des maladies infectieuses avaient été sanctionnés.

Le fait que le 14 février la Direction de l’Institut de virologie de Wuhan ait été confiée au Major-général Chen Wei, 54 ans, première femme à la tête de l’appareil chinois de guerre biologique, a encore attisé les rumeurs d’une origine humaine accidentelle de l’épidémie.

Alors où est la vérité ?

On éliminera d’abord pour ne plus avoir à y revenir les théories complotistes farfelues des mythomanes infectant le net. Comme celle d’espions chinois chassés d’un laboratoire P4 à Winipeg après avoir envoyé des cultures pathogènes à Wuhan. Ou cette autre attribuant l’épidémie de Wuhan à une attaque bactériologique américaine. Celle encore d’un test super secret d’armes biologiques ayant mal tourné.

Lire : Online claims that Chinese scientists stole coronavirus from Winnipeg lab have ’no factual basis’

Restent les deux versions. L’une officielle d’une origine animale au marché de Wuhan. Et celle d’un accident, résultat d’un manquement aux règles de sécurité comme le laisserait entendre le rapport des 2 chercheurs chinois.

L’affaire prend un tour politique.

En dépit des démentis venant de toutes parts, la caution de la Fondation Nationale des Sciences Naturelles, directement liée au Conseil des Affaires d’État, confère une indéniable épaisseur aux accusations qui pourraient prendre une dimension politique.

Le commentaire de Zero Hedge était que Pékin se préparerait à modifier les boucs émissaires ou à en rajouter d’autres désignés à la vindicte publique.

Si on en croit la virulence des réseaux sociaux, la manœuvre serait risquée.

Au milieu des revendications pour plus de liberté, sont récemment apparues les références à Tchernobyl 切尔诺贝利 et à Soljenitsyne « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent et pourtant ils persistent à mentir. »

Dans ce contexte déjà échauffé par la rigidité d’un pouvoir suppressif et concentré jusqu’à la caricature, l’affabulation selon laquelle les seuls lampistes à blâmer seraient les chercheurs, pourrait faire l’effet d’un lance-flammes sur un incendie.

*

Une autre hypothèse, pure spéculation de QC confronté à l’opacité politique chinoise, au milieu d’une psychose tout de même entretenue par de graves dissimulations de l’appareil en janvier - y compris en faisant pression sur les médecins - spéculerait sur une manœuvre politique.

La caution apportée à des chercheurs dénonçant un faisceau de négligences par une institution ayant pignon sur rue, pourrait être une riposte politique à la manière dont, depuis 2013, le n°1 chinois traite les universités et les professeurs. Certes la capacité d’offensive politique directe de la Fondation Nationale des Sciences Naturelles est réduite.

Mais son président le Dr Li Jinghai (64 ans) a une surface nationale et internationale visible. Sans le rendre invulnérable, elle lui procure un parrainage le mettant à l’abri de représailles trop brutales.

Ancien Vice-Président de L’Académie des Sciences, il a été élu en juillet 2018 à Paris, un des Vice-présidents du Conseil International des Sciences (UNESCO) qui compte 31 unions scientifiques et 121 membres nationaux couvrant 141 pays.

Sur la manière dont le pouvoir traite le monde académique, lire QC :

- Feu sur les « excroissances méningées du Parti » et reprise en main idéologique.
- Le Parti omniprésent met aux normes le système éducatif et les professeurs.


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