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La Chine resserre le nœud sur Taiwan, un an de gouvernance DPP marqué par une Chine à l’offensive

Vexations infligées à Taïwan.

Le raidissement chinois s’est manifesté de nombreuses fois depuis l’élection de Tsai Ing-wen. Plusieurs fois, les pressions chinoises ont pris la forme d’intimidation ou de faits accomplis. Ainsi, des criminels taïwanais arrêtés dans des pays reconnaissant la RPC ont été déportés sans ménagement en Chine où ils devraient être jugés comme des citoyens chinois. Il y a quelques semaines, le gouvernement chinois est intervenu auprès de la compagnie aérienne Emirates pour exiger que les membres d’équipage taïwanais portent des badges à l’effigie du drapeau de la RPC à la place de celui de la ROC, afin de respecter la politique d’une seule Chine.

Les équipages ont protesté vertement et ont obtenu la possibilité de ne pas porter le drapeau chinois à la condition d’éviter tout autre marqueur national. Une dernière brimade s’est déroulée dernièrement lorsque l’entrée du Bureau des Droits de l’Homme de l’ONU, à Genève, a été interdite à trois étudiants taïwanais et à leur professeure, sous le motif que ces personnes auraient dû montrer des documents d’identité chinois et non taïwanais.

Vis-à-vis des États-Unis, Tsai Ing-wen a été ébranlée par le brusque changement d’attitude de Donald Trump vis-à-vis de la Chine, et attend toujours que soient confirmées deux ventes d’armements. La première avait été décidée durant les derniers mois du mandat de Barack Obama qui avait transféré à l’administration suivante le soin d’approuver la transaction, ce qui est pour le moment resté lettre morte.

La seconde est promise par l’administration Trump depuis plusieurs mois mais subit toutes sortes de retards malgré l’appel de certains membres du Congrès américain à faire avancer les choses. Aux États-Unis et autour de Donald Trump, dont le très proche gendre Jared Kushner a des intérêts financiers en Chine, on s’accommode désormais mieux de l’Empire du Milieu et Taïwan est passé au second plan des préoccupations. De plus, les militaires et diplomates américains ne souhaitent pas prendre le risque de torpiller les négociations en cours sur la Corée du Nord.

Alors que Pékin ne semblait s’attaquer précédemment qu’aux alliés diplomatiques de Taïwan, il prend désormais pour cible les liens officieux que l’Île cultive bon an mal an avec les nations reconnaissant d’ores et déjà la RPC. Au Nigéria, le Bureau de représentation officieux de Taïwan a ainsi été prié de quitter la capitale pour s’installer à Lagos, sans quoi les autorités du pays ont déclaré qu’elles n’assureraient plus la sécurité du personnel taïwanais. Ce à quoi Taipei a répondu avec désarroi par une mesure similaire concernant le bureau nigérian à Taïwan, qui devrait être déplacé hors de la capitale.

La rebuffade de l’OMS.

Le blocage cette année de la participation de Taïwan en tant qu’observateur à l’Assemblée Mondiale de la Santé (AMS, organe décisionnel de l’OMS) est un autre coup dur. Sous prétexte que Tsai Ing-wen ne reconnaît pas le principe d’une seule Chine, les Chinois ont décidé de retirer la possibilité à Taïwan d’envoyer des observateurs (sans droit de vote évidemment) à l’Assemblée, possibilité que le pays avait depuis 2009 et le réchauffement opéré durant le mandat de Ma Ying-jeou avec la Chine.

En 2017, malgré un soutien très tiède de la part des États-Unis, de l’Allemagne, de quelques alliés diplomatiques et les protestations taïwanaises dans les médias, la Dr Margaret Chang, directrice générale de l’OMS n’a pas plié.

Dans une tribune publiée chez Asialyst, le représentant de Taïwan en France, son excellence Zhang Ming-zhong, rappelait sobrement que : « les questions sanitaires ignorent les frontières étatiques et il n’est pas normal que, pour des raisons politiques, Taïwan et ses 23 millions d’habitants soient absents de cette réunion internationale ». L’Île fut durement touchée par l’épidémie de SRAS en 2003 alors qu’exclue de l’OMS, elle n’avait pu recevoir à temps les informations sur le virus ou sur le contrôle de maladies associées.

Alors que la chasse aux alliés diplomatiques de Taïwan avait été momentanément stoppée pour ménager Ma Ying-jeou, elle a été rouverte avec le départ de la Gambie puis de Sao Tomé-et-Principe l’an dernier.

Très récemment, ce fut au tour de Panama de renverser son alliance avec Taipei pour embrasser Pékin. La photo de la Ministre des Affaires étrangères panaméenne et de Wang Yi tous sourires et coupe de champagne à la main sur fond d’investissements chinois massifs a marqué les esprits. La décision a ulcéré et attristé à Taipei, alors que Mme Tsai avait pourtant choisi Panama pour sa première visite à l’outre-mer après son élection.

Cette cinglante décision ne fut pas une surprise à Taïwan où l’on reconnaît que l’Île n’a pas les moyens de financer une diplomatie du chéquier et où l’on s’attend à ce que l’hémorragie continue dans les prochains mois. Certains commentaires à Taïwan relativisent cependant la réduction du nombre d’alliés diplomatiques et voient le bon côté de la fin d’une relation parasitaire avec des « alliés » diplomatiques vendant leur soutien à prix d’or.

On entend souvent dire à Taïwan que l’approfondissement des liens avec le Japon, l’Asie du Sud-Est et les grandes démocraties mondiales sont bien plus important que la sauvegarde de liens officiels de piètre qualité.

Malaise et impuissance.

Sur le fond, c’est pourtant le malaise et le sentiment d’impuissance qui l’emportent, les échecs se faisant dernièrement bien plus nombreux que les succès. La réalité est que Taïwan n’a aucune chance de remporter la bataille diplomatique contre Pékin. Taïwan peut encore se ranger derrière son unité nationale et jouer l’asymétrie en jouant sur son soft power, qui est bien souvent l’avancement de l’argument moral valorisant la nature démocratique du régime.

Dernièrement, Taïwan a de facto légalisé le mariage homosexuel et RSF a classé le pays numéro 1 en Asie dans le domaine de la liberté de la presse. Mais cela ne suffit pas pour arrêter la bourrasque.

La redondance de ces attaques exaspère les Taïwanais et en mars 2017, 80% d’entre eux jugeaient l’attitude de la Chine hostile à leur égard. Une certaine rancœur s’exprime dans les discussions. Un professeur confiait à l’auteur de ces lignes voici quelques jours : « Les Chinois peuvent nous prendre ce qu’ils souhaitent. Mais avec une telle politique, nous ne leur ouvrirons pas nos portes ».

Au niveau gouvernemental, le trouble se traduit par des discours désormais moins nuancés que d’habitude de la part de Tsai Ing-wen, accusant la Chine de mettre en danger l’équilibre du Détroit et la prévenant qu’elle ne « pliera pas sous la menace ». Humiliée à l’international mais soutenue à Taïwan, Tsai a promis qu’elle « réévaluerait » sa stratégie avec la Chine, tandis qu’elle semble avoir abandonné tout espoir d’accommoder Pékin sans revenir au fameux Consensus de 1992.

Vers des vues de plus en plus irréconciliables ?

Il est probable que le rameau d’olivier tendu vers Pékin par Mme Tsai depuis son élection était une manœuvre habile pour protéger l’Île dans la mesure où l’image de modération dont profite actuellement Taïwan à l’international tranche avec la dureté de la Chine à son égard.

Mais même dans ces conditions, il est surprenant que Pékin ignore les appels à la négociation pour choisir une attitude belliqueuse qui traduit autant son impatience qu’une incapacité à faire rentrer Taïwan dans le rang. Au lieu de jouer le même jeu que Tsai et d’exploiter la diplomatie pour arriver à ses fins, Pékin a fermé la porte à des pourparlers au moment même où le DPP semblait y être le plus disposé.

En refusant de négocier, la Chine, même si elle transforme Taïwan en État assiégé, prend le risque de s’enfermer dans une impasse stratégique.
De fait, elle s’aliène déjà la population taïwanaise dans son ensemble, tandis que son intransigeance décrédibilise les derniers soutiens sur lesquels elle aurait pu compter à Taïwan, le KMT et le PFP ne pouvant pas cautionner les brimades chinoises alors que Tsai joue en apparence la carte du dialogue. A la différence de son attitude envers Chen Shui-bian, le précédent président DPP entre 2000 et 2008, la population taïwanaise fait maintenant bloc derrière sa présidente.

La consolidation du consensus souverainiste à Taïwan est à la fois une tendance structurelle et un défi implacable pour Pékin. Et la Chine semble ignorer de nouveau le mécanisme qui veut que sur l’Île, toute augmentation de la pression continentale conduise à un durcissement de la conscience nationale. Les Chinois en avaient pourtant déjà fait les frais en 1996 en tentant de dissuader les Taïwanais d’élire Lee Teng-hui par un tir de missile.

L’expérience se répéta juste en amont des élections de 2016 quand l’Internet chinois s’est déchaîné contre une chanteuse taïwanaise de 16 ans qui s’était montrée drapeau national à la main sur un clip de K-pop. Par deux fois, la vexation s’était traduite sur l’île par l’élection d’un gouvernement hostile au rapprochement inter-détroit.

Cette année, il semble improbable que des procédés similaires rencontrent du succès. La Chine prend le risque de compromettre les chances de construire avec Taïwan le compromis qu’elle désire. Mais est-ce que Pékin cherche vraiment toujours à construire un compromis ?


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Par hai Le 26/06/2017 à 05h29

La Chine resserre le nœud sur Taiwan, un an de gouvernance DPP marqué par une Chine à l’offensive

Résidant à Taiwan je peux vous confirmer que les taiwanais sont effectivement furieux de l attitude des communistes chinois, on fait ainsi perdre la face aux taiwanais (alors que la plupart des chinois ne se soucient pas du tout de Taiwan... ceci m a ete confirme par un etudiant qui a appris le mandarin avec moi a shida (taipei, Taiwan).

L’attidude de la Chine est contre productive à 100 pourcents.
Les difficultés économiques de la Chine pourraient effectivement expliquer cela, une crise est attendue, elle pourrait bien venir de ce pays, mais Taiwan n’a pas a etre instrumentalisé aussi maladroitement, il y a des blessures que le temps n effacera pas.

Par Catoneo Le 26/06/2017 à 09h36

La Chine avait sa Crimée, elle ne l’a plus.

Les défis gigantesques auquels est affrontée la Chine continentale en résultat de sa propre gouvernance devraient susciter un peu d’humilité à Zhongnanhai, mais c’est une vertu non communiste !
Pollution de l’air, des sols, des eaux irrémédiable avant deux générations au moins, captation des terres arables pour la promotion immobilière des caciques locaux, système bancaire en péril permanent, gaspillages monstrueux, corruption généralisée du PCC, bridage des libertés individuelles, asservissement des convictions, fossilisation de la classe dirigeante etc... tout indique que Taïwan soit devenue séparatiste de coeur, même dans le milieu « continental ».

Un pays, deux systèmes, plus personne n’y croit et Hong Kong est là pour le prouver en cet anniversaire de la rétrocession. De plus l’accueil des touristes continentaux sur l’île a confronté la population locale avec des bataillons incultes obsédés par l’argent et le clinquant, ce qui n’est pas la nature profonde du Tawaïnais. Rejoindre cette sous-culture plébéienne n’emballe plus personne, sauf quelques théoriciens d’une Chine unique qui est devenue une chimère.

De nombreux amis ont tourné la page. Demeure néanmoins la crainte d’une évolution brutale provoquée par des luttes de pouvoir internes à Pékin et une moindre confiance dans l’US Navy de M. Trump.

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