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La trace brutale et révolutionnaire du Parti

Récemment Frank Dikötter, 61 ans, historien et universitaire néerlandais, professeur d’histoire moderne chinoise à l’Institut d’études africaines et orientales de l’Université de Londres, a répondu à une interview de Jeremy Gordon, Directeur de « The China project », plateforme en ligne d’information et d’analyse sur la politique, l’économie et la culture chinoises. L’objet de l’entretien était son livre « China after Mao » paru en octobre 2022.

Dans son essai politique sobre et factuel « Mao’s great famine - La grande famine de Mao » (Walker & Company, 2010.) pour lequel il a reçu le prix Samuel Johnson en 2011, Frank Dikötter établissait clairement, preuves et documents d’archives à l’appui, la responsabilité de Mao et du Parti pour les 45 millions de morts de l’expérience révolutionnaire de communisme total du « Grand bond en avant », dont au moins 2,5 millions de torturés à mort ou tués par la milice.

Composé de trente-sept chapitres succincts et denses, l’ouvrage décrit précisément le sort des catégories les plus vulnérables (enfants, femmes, vieillards), leurs stratégies de survie, les circonstances et le lieu de leur mort. Il ne passe pas sous silence les horreurs du cannibalisme, les cadavres récupérés dans les fosses d’aisance et le terrifiant pouvoir de vie et de mort que s’étaient arrogés les cadres locaux.

Selon Lucien Bianco, l’une des révélations les plus novatrices du travail de Dikötter est la prise de conscience par Liu Shaoqi lors d’une enquête dans son village natal du Hunan que le désastre n’était pas dû à la sècheresse comme le faisait croire Mao, mais bien aux hommes (人祸- renhuo -).

C’est avec cet arrière-plan de grande brutalité historique de l’appareil qu’il faut analyser le livre de Dikötter « China after Mao » dont l’idée maîtresse est qu’en dépit des apparences, le fond de férocité et de violence de l’appareil communiste chinois ne changera pas.

L’idée s’inscrit en contrepoint de l’analyse de Yuen Yuen Ang, professeur d’économie politique à l’Université privée Johns Hopkins de Baltimore, dont la recension par Jean-Paul Yacine est en ligne dans la rubrique « Politique Intérieure ».

Brutalité congénitale de l’appareil.

Alors que l’auteur de « How China escaped the poverty trap - Comment la Chine a échappé au piège de la pauvreté  » (Cornell University Press, 2016), spécule sur la capacité de souplesse pragmatique du régime capable de s’adapter aux circonstances, Frank Dikötter avance l’hypothèse contraire de la brutale rigidité congénitale de l’appareil, dont il est illusoire de croire qu’elle pourrait s’amender.

Retraçant les quarante ans de « réformes et d’ouverture » qui, en réalité ne furent qu’un succédané dont la portée a même manqué les indispensables réformes sociales (santé et retraites) et de structures de la croissance, conditions d’un meilleur partage de la richesse, « China after Mao » conclut à l’hostilité croissante du Parti envers l’ingérence occidentale.

Devenue une dictature invariablement enracinée dans l’histoire, dotée d’un appareil de sécurité tentaculaire et du système de surveillance le plus sophistiqué au monde, le régime chinois n’a jamais eu l’intention de rejoindre la sphère démocratique. En réalité son intention a toujours été de lui résister. Aujourd’hui, elle est de la vaincre.

*

Ce qui suit est la recension de l’interview accordée par Frank Dikötter à « China project ».

Se défendant d’être un « China Watcher  » examinant dans le détail les « chaises musicales » des rivalités de pouvoir au sommet de la machine politique, Dikötter affirme tirer ses conclusions à partir de l’histoire de l’appareil. En dehors de la résistance à l’Occident et à l’obsession de tenir à distance la menace d’une ouverture politique, il ne croît pas à « une grande stratégie » et constate que dans la liste des dirigeants s’étant succédé au pouvoir, rares sont ceux ayant eu une longue vision claire de l’avenir.

Avec l’idée maîtresse intangible de préserver la prévalence du Parti-État, la trajectoire est plutôt celle d’un opportunisme de circonstance qui n’est pas exempt d’erreurs ou de stupidité. Ainsi, quel que soit l’angle de vue, l’expulsion du Congrès de Hu Jintao le 22 octobre 2022 en présence de la presse internationale ne doit rien à la subtilité chinoise, mais tout à la brutalité sans intelligence de l’appareil.

Contrairement à nombre d’observateurs Dikötter ne pense pas que le 20e Congrès ait été un changement fondamental de la gouvernance. En réalité l’épisode n’a fait qu’exprimer le durcissement d’une tendance de fond de la machinerie en place depuis 1949.

Les tendances brutales que beaucoup font semblant d’ignorer, se sont exprimées tout au long de l’histoire récente après la disparition de Mao. Ainsi la répression militaire le 4 juin 1989 à Tian An-men, l’implantation des cellules du Parti imposée par Jiang Zemin au sein des entreprises privées ou le harcèlement permanent des avocats des droits. La constante de fond, rarement contestée, reste le monopole léniniste du pouvoir et la propriété des moyens de production contrôlés par l’État.

Même s’il est exact que le Parti peut se prévaloir du succès spectaculaire d’avoir hissé le pays au sommet de la hiérarchie mondiale des puissances, acteur important de l’aventure spatiale, deuxième économie de la planète, deuxième armée du monde, avec un nombre de navires de combat supérieur à celui des États-Unis ;

Il est également exact que d’authentiques élans démocratiques comme ceux de Li Rui et Ren Rongyi [1] se sont révélés au long de l’histoire post-maoïste.

Mais au cœur du régime les principes du maintien du socialisme, de la pensée marxiste-léniniste et celle de Mao, du maintien de la dictature du prolétariat et de la prévalence du parti-État sont toujours là, inchangés.

Note(s) :

[1Li Rui 李锐 (1917-1919), secrétaire de Mao, exclu du Parti en 1959 pour avoir critiqué le Grande Bond en avant, et emprisonné pendant 20 ans. Libéré en 1979, promu par Deng ministre de l’aménagement hydraulique et de l’électricité, il n’a cessé de se battre pour l’ouverture démocratique. Soutien des étudiants à Tian Anmen, il est déchu par Deng Xiaoping.

En 2010, à 93 ans, avec d’anciens cadres de l’appareil, il signe une lettre ouverte dénonçant la censure, dans laquelle il met en garde l’appareil contre les risques politiques portés par l’absence d’ouverture démocratique. En 2018, une année avant son décès, il critique ouvertement la réforme constitutionnelle supprimant la limitation à deux mandats de la fonction présidentielle.

Ren Zhongyi 任仲夷 (1914-2005), fonctionnaire du Parti, ancien n°1 au Heilongiang, il est écarté du pouvoir par la révolution culturelle avant d’être réhabilité et placé à la tête de la province de Canton par Deng Xiaoping en 1980. Resté en poste jusqu’en 1985, il se distingue par l’appui qu’il apporte aux réformes.

En 2000, à 86 ans, il publie un article dans 南方周末 Sud Magazine, où il réinterprète dans un sens réformiste les quatre principes cardinaux de l’appareil – maintien du socialisme et de la « dictature du prolétariat  » ; maintien de la prévalence politique du Parti , maintien du marxisme léninisme et de la pensée de Mao.

On peut y lire : « Le pouvoir absolu corrompt absolument et le Parti Communiste ne fait pas exception à cette règle. Le fait qu’il se contrôle lui-même, équivaut à contrôler sa main gauche par sa main droite ».


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