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›› Politique intérieure

« Le sabot de l’âne » des anciens du Parti

Le 3 novembre, dans le quotidien économique Nikkei, Katsuji Nakazawa qui fut correspondant en Chine durant sept années revient sur l’aboutissement du 20e Congrès. A rebours de la plupart des commentaires, il instille un doute sur la nature ambigüe du succès apparemment sans partage de Xi Jinping.

Le scepticisme est affiché dès les premières lignes de l’article : « Contrairement à la plupart des analyses, pour le secrétaire général Xi Jinping le congrès du parti récemment clôturé n’a peut-être pas été une victoire aussi complète qu’on le dit. ». Il est vrai que la liste du Comité Permanent reflète à première vue une systématique loyauté personnelle des six élus au pouvoir suprême. Mais sur d’autres aspects, il apparaît que Xi Jinping n’a pas obtenu tout ce qu’il souhaitait.

Voilà longtemps qu’une résistance des anciens fermente sous la surface et que Xi Jinping tente de la museler. En 2015, peu avant l’explosion de l’usine chimique de Tianjin, qui fit au moins 114 morts, et 674 hospitalisés dont 37 dans un état grave (lire : Feu sur les retraités du Parti et remises en question en série), le Quotidien du peuple avait publié un premier commentaire critiquant les responsables à la retraite qui continuaient à se mêler des affaires publiques.

L’auteur ajoutait que, quand des décisions officielles ne leur plaisaient pas, certains n’hésitaient pas à formuler ouvertement leurs avis contraires, mettant l’exécutif en position difficile.

Alors que la tradition de consensus inter-générations était initialement vue comme une garantie contre la résurgence du culte de la personnalité et de la lutte des clans portant des risques d’instabilité politique, l’exécutif considère aujourd’hui que les précautions sont devenues un prétexte. Certains retraités s’autorisent à peser sur le cours des affaires, y compris pour entraver l’élan réformiste du pouvoir et ses efforts de nettoyage éthique de la bureaucratie.

Il y a cinq mois, la mise au pas publique des anciens avait refait surface pour les sommer de ne plus discuter ouvertement des politiques générales du Comité Central par des remarques négatives avant le congrès. Le message avait été transmis par Ding Xuexiang, alors au Bureau Politique très proche de Xi Jinping qui vient d’entrer au Comité Permanent.

La nouvelle injonction politique a produit un agacement et une riposte dont la nature est publiquement apparue le 26 octobre, trois jours après la clôture de la « Grand-messe » de l’appareil, à la publication de la constitution révisée adoptée par acclamations.

A l’examen, l’amendement du texte manque quelques objectifs attendus par nombre de commentateurs anticipant que Xi Jinping serait, à l’orée de son troisième mandat, haussé par l’appareil à un niveau historique équivalent à celui de Mao, désignant sa personne et sa « pensée 习进平 思想 » [1] comme le « guide du peuple 人民领袖 » au cœur 核心 de l’appareil.

Un coup de frein à « l’hubris ».

Les statuts de « penseur national » et de « guide du peuple » auraient ouvert la voie à la désignation historique de Xi Jinping comme « Président du Parti 党主席 ». A l’instar de celui conféré à Mao le titre est incomparablement plus prestigieux que celui de « Secrétaire 党 书记 », à la fois subalterne et éphémère. Au fond, l’ambition de se placer à hauteur de l’épopée révolutionnaire maoïste est en réalité un défi du n°1 à quiconque s’opposerait à lui.

Après une suite de transgressions ayant d’abord bousculé l’exigence de collégialité politique, puis celle de la limitation des mandats et enfin celle de la limite d’âge à 68 ans à la tête du Parti, les revendications de Xi Jinping d’entrer de son vivant dans l’histoire sans rupture depuis Mao, parient sur sa longévité politique.

L’enjeu est attesté par le fait que depuis qu’il est au pouvoir en 2012, il ne s’est, contrairement à ses prédécesseurs, jamais préoccupé de désigner un héritier. Pour promouvoir la gloire historique de Xi Jinping, ses alliés politiques battent le rappel du Parti depuis 2018. A l’approche du Congrès la campagne s’est intensifiée.

Dès le sixième plenum du 19e Congrès en novembre 2021, un an avant le 20e Congrès, au sein de l’appareil, les proches du Président n’ont pas cessé d’appeler à ces deux « promotions statutaires » - les Chinois disent « 两个确立 liange queli » et « les deux assurances 两个维护 » pour garantir que Xi Jinping restera au pouvoir au-delà de 2022.

Relayés par les médias officiels, les harangues célébraient avec enthousiasme les thèmes politiques de Xi Jinping d’une « nouvelle épopée pour écrire une ère nouvelle. 开启新征程 谱写新史诗 » dont le but était, selon son discours de clôture du Congrès de « créer de nouveaux miracles qui impressionneront le monde. 我们完全有信心, 有能力在新时代的新征程上创造新的, 更大的奇迹, 创造让世界惊叹的奇迹. »

*

A la lecture des amendements de la constitution, il apparaît clairement que les anciens du parti tous héritiers de la prudence pragmatisme de l’ère Deng Xiaoping, ont bloqué le glissement du régime vers une dictature personnelle à durée illimitée. Promue par le « Petit timonier » lui-même qui, durant la révolution culturelle avait souffert de « l’hubris » révolutionnaire du pouvoir maoïste, la limite de la Constitution de 1982 que les vétérans n’ont pas oubliée, portait l’interdiction de « toute forme de culte de la personnalité 任何形式的个人崇拜 ».

Au bilan, la tentative de Xi Jinping qui télescopait de plein fouet l’héritage de Deng auquel toute la classe politique est attachée, a réussi à fomenter contre elle la cohésion des vétérans, pourtant anciens rivaux du « Groupe de Shanghai » de Jiang Zemin et de la « Ligue de la jeunesse » de Hu Jintao.

Alors que depuis 1997 les deux factions se disputaient le testament d’ouverture politique contrôlée de Deng, leur cohésion contre Xi Jinping, a sans doute reçu le renfort de Wen Jiabao (80 ans cette année), ancien premier ministre de Hu Jintao, admirateur de la pensée politique de Hu Yaobang, dont la personnalité, le style et l’action contrastent radicalement avec la conception politique sans nuance de Xi Jinping (lire : L’obsédant héritage de Hu Yaobang).

Incidence qui dans la Chine toujours animée de l’exigence rituelle de piété filiale et de respect des anciens, pèse lourdement sur les consciences, tous se réclament aussi de la figure tutélaire de Song Ping (105 ans), vétéran du mythe politique de Yan’an qui fut aussi le secrétaire personnel de Zhou Enlai.

Alors que les vétérans ignorés par Xi Jinping n’ont aucune prise sur les nominations personnelles des membres du Bureau Politique, ils sont en revanche en mesure de faire obstacle au reniement des principes qu’ils jugent essentiels pour la stabilité politique au sommet. Nikkei cite un ancien de l’appareil resté anonyme. Il explique que les exigences de notoriété historique personnelle de Xi Jinping ont dépassé les limites de l’admissible. En réaction, ajoute t-il avec emphase, les anciens « ont jeté leurs dernières forces dans la bataille ».

Note(s) :

[1« Le socialisme aux caractéristiques chinoises » a bien été intégré dans la constitution, mais il ne l’a pas été en tant que « pensée de Xi Jinping » comme celle de Mao. De même, en dépit de l’ardente campagne de ses courtisans, Xi n’a pas été élevé au rang de « dirigeant du peuple - 人民领袖 », dont la pensée aurait constitué l’armature intellectuelle de l’appareil. Un regard dans le rétroviseur de l’histoire chinoise traversée par de violentes rivalités politiques, peut faire craindre que cette ruade des vétérans n’est peut-être que le prologue de contestations plus lourdes.


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