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Mémoires d’outre tombe de Zhao Ziyang

Voilà un livre en français qui intéressera ceux qui se préoccupent des arcanes compliqués de la politique chinoise et cherchent à mettre les situations en perspective.

Il s’agit des mémoires posthumes de Zhao Ziyang, réformateur emblématique de la Chine sous l’ombre portée de Deng, d’abord Premier Ministre de 1980 à 1987, puis Secrétaire Général du Parti de 1987 à 1989, avant d’être destitué et placé en résidence surveillée jusqu’à son décès. Elles furent publiées en Anglais et en Chinois en 2009 – 4 ans après sa mort -, sous le titre « Prisoner of the State, the secret journal of Zhao Ziyang ». Elles sont aujourd’hui traduites en français et publiées aux éditions du Seuil sous le titre « Zhao Ziyang, Mémoires ».

L’éternel dilemme entre réaction et ouverture.

Fermement opposé à la répression de Tian An Men, Zhao fut limogé par Deng Xiaoping quelques jours avant l’intervention de l’armée, le 4 juin 1989. Il est important de noter que Deng, présenté par Zhao Ziyang, non pas comme un acteur direct, mais comme un parrain bienveillant tenté par la répression, et qu’il n’hésite pas à fustiger pour son inertie face aux conservateurs, avait déjà limogé Hu Yaobang en 1987, un autre réformateur convaincu.

Ces péripéties, souvent oubliées, renvoient à la fois aux hésitations et au pragmatisme du Petit Timonier. Ce dernier savait bien – il l’avait d’ailleurs écrit sans cependant aller trop loin dans cette analyse – que le Parti, s’il voulait survivre, serait contraint d’accepter des réformes politiques. C’est peut-être la raison pour laquelle, il avait coup sur coup désigné deux réformateurs pour occuper le pouvoir suprême.

Mais la souplesse et le discernement de Deng, qui fut lui-même victime du chaos de la révolution culturelle ayant failli détruire le Parti, étaient contrebalancés par sa crainte des désordres, son obsession de stabilité, et son penchant pour la dictature. Sur ce terrain, il bénéficiait de l’appui des conservateurs qui pesèrent de manière déterminante pour mettre un terme à l’ouverture politique, dans un environnement international très menaçant, marqué par les inquiétantes prémisses de la chute du mur de Berlin, puis du Parti Communiste de l’Union Soviétique.

La photo de couverture archi-connue de l’édition française, prise alors que le Secrétaire Général négociait avec les étudiants à Tian An Men, mérite attention car, à la gauche de Zhao Ziyang, on aperçoit l’actuel Premier Ministre Wen Jiabao, alors secrétaire de Zhao. Wen Jiabao, dont le discours réformiste a jalonné la scène politique pendant toute l’année 2010, a en effet ceci de particulier qu’il était proche des deux grandes figures de la réforme politique limogées par Deng Xiaoping : Hu Yaobang (destitué en 1987) et Zhao Ziyang, placé en résidence surveillée en 1989.

Que Wen Jiabao soit resté en lice après l’éviction de Hu Yaobang, son mentor, et qu’il ait également survécu à l’élimination de Zhao Ziyang est d’abord la preuve d’une longévité politique exceptionnelle. Il fut en effet le seul Directeur du Bureau des Affaires générales du Parti à avoir servi trois Secrétaires Généraux aussi différents que Hu Yaobang et Zhao Ziyang, deux réformateurs audacieux et Jiang Zemin l’apparatchik autoritaire qui, avec Zhu Rongji, entreprit de rénover l’économie en bloquant toute ouverture politique.

La présence de Wen Jiabao au poste de Premier Ministre pendant 10 ans (2002 – 2012) est aussi le signe de la tendance dichotomique du Parti et de la pérennité des idées réformatrices, dans un contexte aujourd’hui de plus en plus marqué par la tentation d’un repli conservateur.

La nomenklatura est en réalité partagée entre, d’une part la conviction que les réformes politiques sont nécessaires, et d’autre part la crainte que les désordres internes qui pourraient en résulter finiraient par mettre à bas le Parti. Il n’en reste pas moins, comme le souligne Cheng Li, sino-américain, Docteur en Sciences Politiques, spécialiste du système chinois, l’un des observateurs les plus subtils de la politique intérieure, que la scène politique chinoise est constamment travaillée en sous main par les forces du changement.

Un message politique posthume toujours pertinent.

Après sa destitution, Zhao Ziyang fut placé en résidence surveillée pendant 16 ans, jusqu’à sa mort à Pékin en 2005. Quant celle-ci survint, le Parti, inquiet des possibles réactions des intellectuels, se réunit pour étudier les éventuelles conséquences politiques de son décès, craignant qu’il ne mobilise les étudiants contestataires et les partisans de la démocratie, comme ce fut le cas lors du décès de Hu Yaobang en 1989.

L’ancien Secrétaire Général iconoclaste n’eut pas droit aux funérailles officielles, et la censure contrôla tous les articles le concernant, tandis que les médias ne furent autorisés à mentionner sa mort que de manière édulcorée et sous le seul nom de « camarade Zhao ». La direction du régime autorisa cependant les hommages publics à sa dépouille qui fut tout de même inhumée à Baboashan, où reposent tous les dignitaires de la Chine communiste.

C’est pendant les cinq dernières années de résidence surveillée que Zhao Ziyang, fils d’un propriétaire terrien du Henan assassiné par le Parti au début des années 40, a secrètement enregistré ses mémoires qu’il fit ensuite passer clandestinement à un éditeur de Hong Kong, par le truchement de Bao Pu, activiste des droits de l’homme lié au monde de l’édition et fils de Bao Tong. Ce dernier ancien secrétaire de Zhao Ziyang et ancien chef du Bureau de la réforme politique du Comité Central du Parti, fut emprisonné pendant sept ans après Tian An Men. Il est toujours en résidence surveillée.

Le document est exceptionnel car il offre une radiographie de la haute direction du Régime en période de crise, tout en exprimant les critiques directes contre la mouvance conservatrice par un de ses plus hauts dignitaires, convaincu, contre tous les autres caciques, de la nécessité des réformes. A bien des égards la situation qui prévalait à l’époque, est homothétique de celle d’aujourd’hui.

Dans le paysage incertain de 2011, marqué par les contradictions d’un schéma de développement dont l’efficacité faiblit, mais dont l’ajustement, pourtant nécessaire, se heurte à des blocages conservateurs, la voix d’outre tombe de l’ancien Secrétaire Général, disparu il y a sept ans, résonne toujours comme un rappel de la nécessité d’une ouverture politique, dont le thème revient de manière lancinante dans les débats en amont du 18e Congrès.


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