›› Politique intérieure
Le 19 avril, peu après avoir dissout la Force de Soutien Stratégique, le président Xi Jinping a présidé la cérémonie de création de la nouvelle composante stratégique dite “Force de soutien à l’information 信息 支援 部队”. A sa gauche le Général Bi Yi 毕毅 (ancien nº2 de la FFS dissoute). Le maintien du Général Bi Yi promu commandant de la nouvelle composante suggère que la lutte contre la corruption n’était pas le premier motif de la dissolution de la Force de Soutien Stratégique dont il était le nº2. Tout indique en revanche que l’ajustement des structures avait pour but de renforcer la prise directe de nº1 sur une composante essentielle des forces (photo Xinhua).
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Le 19 avril, lors d’une cérémonie officielle, Xi Jinping a présidé à une spectaculaire restructuration de l’appareil militaire chinois en créant la nouvelle composante stratégique de « soutien à l’information 信息支援部队- FSI - ».
En même temps, il a supprimé la « Force de soutien stratégique – FSS : 战略支援部队- » dont il avait lui-même annoncé la mise sur pied en 2015.
Destinée à intégrer à la fois les outils de la guerre de l’espace, ceux numériques de la cyber-guerre et de la guerre électronique, ainsi que ceux multifaces de la guerre psychologique, la FSS aujourd’hui dissoute, visait à supprimer les anciens cloisonnements pour améliorer la capacité de l’APL à combattre à l’ère des nouvelles technologies de l’information « 信息化战争 ».
Contredisant l’intention d’une meilleure coordination par le regroupement sous un même commandement, les annonces du 19 avril signalent une volte-face.
La FFS est à nouveau éclatée en trois structures séparées : 1) La composante spatiale 航天部队 ; 2) La composante de cyberguerre 网络空间部队 et 3) La nouvelle composante dite de soutien à l’information 信息支援部队, ayant une mission d’appui opérationnel au commandement englobant le renseignement humain et technique ainsi que la guerre électronique.
Ses nouveaux chefs, les généraux Bi Yi 毕毅 (ancien nº2 de la FFS promu commandant opérationnel de la FSI ) et Li Wei 李伟 (ancien Commissaire Politique de la FFS qui garde ses fonctions au sein de la nouvelle structure) viennent d’être officiellement investis par Xi Jinping.
Reprise en main et ajustement des structures.
Nombre d’observateurs ont noté la brutalité du tête-à-queue et la durée de vie relativement éphémère de la FFS. Ils suggèrent à la fois un « recadrage » disciplinaire et un réajustement pour un meilleur contrôle du Président sur une branche de l’APL devenue trop puissante.
Présentée par Xi Jinping comme une réforme pour plus d’efficacité des armées chinoises dans le nouvel environnement informatisé du combat moderne, le démantèlement de l’ancienne Force de Soutien Stratégique, à l’évidence une reprise en main politique du Président, pourrait, il est vrai, aussi s’inscrire dans la vaste opération de nettoyage d’une composante dont la dotation budgétaire, exceptionnellement riche depuis 2015, avait favorisé de préoccupantes dérives de corruption.
Pour autant le maintien en fonction des généraux Bi Yi et Li Wei, cités plus haut, laisse penser que l’intention anti-corruption ne serait pas la motivation essentielle de Xi Jinping.
Une hypothèse possible serait celle d’une reprise en mains au sommet. Au cours de l’incident du « ballon espion » abattu par la chasse américaine le 4 février 2023, il était clairement apparu un flottement entre la direction politique et la FSS en charge de l’acquisition du renseignement et en particulier de l’observation aérienne sous couvert de ballons météo dont l’exécutif semblait ne pas connaitre les modalités précises.
C’est en tous cas ce que le Président Biden avait publiquement laissé entendre en juin 2023, quand il avait suggéré que Xi Jinping qu’il avait, au passage, traité de « dictateur », aurait été débordé par ses services qui l’avaient laissé dans l’ignorance. « C’est un grand embarras pour les dictateurs. Quand ils ne savent pas ce qui se passe. »
Après la suppression de l’échelon de commandement de la FSS précisément en charge de l’observation aérienne par les aérostats qui aurait dû tenir Xi Jinping informé, la nouvelle organisation est certes éclatée, mais chacune de ses composantes est désormais en prise directe sans intermédiaire avec la Commission Militaire Centrale et Xi Jinping.
Modernisation par les nouvelles technologies et coup de balai anti-corruption.
En haussant l’analyse au niveau des capacités opérationnelles, il est clair que la création d’une composante stratégique spécialement dédiée à l’information, reflète l’importance que les militaires chinois accordent à la composante « renseignement » qui recouvre le concept anglo-saxon « d’Intelligence » dont l’efficacité est augmentée par la mise en œuvre dans toutes les armées modernes des « nouvelles technologies de l’information », qui vont de l’Intelligence Artificielle à l’informatique quantique en passant par la gestion automatique des données.
La prise de conscience avait été exprimée dans le Livre Blanc sur la défense de 2019 qui évoquait déjà l’évolution rapide des armées touchées par les révolutions technologiques.
Extrait : « Le paysage de la compétition militaire internationale connaît des changements historiques. Les technologies militaires nouvelles et de haute technologie, centrées sur les technologies de l’information, progressent chaque jour, et il existe une tendance dominante au développement d’armes et d’équipements de précision à longue portée, intelligents, furtifs ou sans pilote ».
Cinq ans plus tard, le 20 avril dernier, le PLA Daily commentait la création de la composante « Information » sur le même ton exprimant à la fois l’urgence de s’adapter aux guerres modernes et l’exigence d’allégeance à Xi Jinping pour renforcer l’armée.
L’insistance du PLA Daily sur le thème de la loyauté renvoie à la vaste purge qui, tout au long de l’année 2023, a secoué l’APL. Après un processus opaque ayant rarement publié les motifs des destitutions, en janvier 2024 neuf généraux de haut rang ont été démis de leur mandat à l’Assemblée nationale.
Le motif le plus probable du coup de balai reste la corruption au milieu d’une profusion de crédits alloués aux achats d’équipements neufs dédies à la modernisation des forces.
Au cœur de la purge se trouvait l’Artillerie missile (ou 2e artillerie) force stratégique d’élite, élément essentiel de la puissance militaire chinoise et de la dissuasion, non seulement face aux États-Unis, mais également face à la tentation de rupture de Taiwan.
Parmi les neuf généraux exclus de l’ANP cinq appartenaient à la 2e artillerie. Lire à ce sujet l’article de Jean-Paul Yacine : Purge à la tête de la composante missiles. Plusieurs autres démis de leurs fonction étaient directement impliqués dans les achats d’équipements.
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Ce nettoyage vertical et intempestif à la tête d’une des composantes les plus emblématiques de l’APL a suscité des analyses diverses, parfois contradictoires des experts occidentaux de la Chine.
Pour les uns, assez souvent affiliés aux structures renseignement du Pacific-Command américain, spéculant plus facilement sur l’imminence de la menace chinoise, l’épisode, marqué à la fois par l’exigence de loyauté et la brutalité de lutte contre la corruption, est le signe de la toute-puissance de Xi Jinping, parvenu à imposer sa volonté sans la moindre contestation de l’appareil militaire.
C’est le cas de Carl Schuster, directeur des opérations au « Joint Intelligence Center » de l’US Pacific Command.
Pour d’autres, au contraire, la séquence marquée par un tête-à-queue ayant, en un temps très court, bousculé l’organisation des forces et désavoué des chefs militaires qu’il avait lui-même choisis, est le signe de la fragilité du jugement de Xi Jinping dont le style de pouvoir brutal pourrait produire des contrefeux internes.
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Troisième porte-avion
Dans la rubrique modernisation des forces, notons que le 1er avril, deux années après son lancement, le 17 juin 2022, le 3e porte-avions a commencé ses essais en mer qui devraient durer au moins une année.
Les lecteurs pourront retrouver ses caractéristiques en cliquant sur le lien : Espace et marine de guerre.
Par rapport aux deux premier PA chinois, les différences essentielles sont sa taille qui avec 80 000 tonnes s’approche de celle des PA américains, l’absence de rampe de lancement et ses trois catapultes électromagnétiques dont l’alimentation à courant continu nécessiterait moins de puissance.
Alors que le type d’avions de combat embarqués pourrait être le J-35, chasseur dérivé du FC-31 ou J-31 multi rôles furtif fabriqué à Shenyang, assez semblable au F-35, les experts américains estiment que le bâtiment embarquera au moins 80 avions de chasse (à comparer aux 90 aéronefs embarqués par les PA nucléaires de la classe Roosevelt) ainsi que des appareils de contrôle et de surveillance de type AWACS, dont le modèle chinois est le « Xi’an KJ-600 » bimoteur à l’apparence très proche du Grumman E-2 Hawkeye.
Le lancement du Fujian, premier porte-avion classique aux dimensions et aux capacités comparables à ceux de l’US Navy, témoigne des progrès constants de la marine chinoise. Selon le Pentagone, sa montée en puissance régulière depuis plus de vingt-cinq années procède d’une prudente stratégie d’apprentissage, d’intégration et d’assimilation des techniques aéronavales déjà éprouvées.
Les progrès se lisent d’abord dans les chiffres. Entre 2000 et 2021 le nombre de navires de combat est passé de 210 à 360, alors que celui de la marine américaine a été réduit de 318 à 297. Parmi les navires de premier rang on compte 2 porte-avions (+1 en cours d’essai), 40 croiseurs ou destroyers et 102 frégates ou corvettes.
Les projections établies à partir du rythme actuel de croissance anticipent qu’en 2030, la marine chinoise sera dotée de 460 navires dont la majorité sera des navires de surface de premier rang (4 porte-avions, des croiseurs, destroyers, frégates, sous-marin nucléaires lanceurs d’engins, sous-marins d’attaque, navires amphibies, bâtiments anti-mines et navires logistiques). Lire Navy Force Structure and Shipbuilding Plans : Background and Issues for Congress (pdf).
En plus des missions classiques de protection des lignes de communication logistiques vers le golfe persique, de lutte contre la piraterie, d’évacuation des ressortissants chinois et d’assistance humanitaire, les stratèges américains y voient le premier défi sérieux à la puissance militaire des États-Unis depuis 1945.
Ils estiment que la spectaculaire augmentation des moyens, vise d’abord à interdire l’accès de l’US Navy à la zone de Taïwan et à la mer de Chine du sud où les bâtiments de guerre américains conduisent régulièrement des missions destinées à faire respecter la liberté de navigation dans les eaux que Pékin réclame en réfutant l’autorité légale de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.