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Taiwan / Ukraine ; Asie-Pacifique / Eurasie. L’illusion et les risques des analyses symétriques, angle mort des stratèges chinois

L’évolution de la situation politique dans l’Île qui s’éloigne politiquement et affectivement du Continent précipite les interactions de la relation Chine – États-Unis qui augmentent mécaniquement les tensions dans le Detroit.

S’il est exact que pour l’instant, aucun renseignement précis n’indique que l’APL se prépare à une agression de l’Île, force est de constater que l’évolution générale de la trame des discours de Xi Jinping fait craindre un embrasement.

Pour le nº1 chinois, le rôle de l’APL n’est en effet plus seulement de réagir à une déclaration d’indépendance, mais de réaliser la réunification coûte que coûte, vue comme un fatalité incontournable de la montée en puissance de la Chine pour qui, selon le Parti, la question non résolue de Taiwan est une marque de faiblesse.

En riposte aux menaces qui montent, Washington augmente son implication militaire directe dans l’Île en violation des promesses des « Trois communiqués », qui prévoyaient au contraire un arrêt progressif de l’aide. La réalité est que la présence de militaires américains dans l’Île, quoiqu’encore faible, a aujourd’hui atteint plus de deux cents personnels.

La présence accrue des conseillers américains que Pékin reprouve, est cohérente avec la plus grande clarté des signaux de soutien de l’administration Biden à Taiwan au cours des deux dernières années. S’il est exact que l’évolution contredit le discours officiel de Washington selon lequel sa stratégie taiwanaise n’aurait pas changé, force est de reconnaître que l’ajustement est une réaction au regain d’agressivité du discours de Pékin dont la sérénité est ébranlée par la dynamique de rupture à l’œuvre dans l’Ile.


*

Le 13 août dernier, Jude Blanchette titulaire de la « Freeman Chair » [1] d’études sur la Chine au CSIS de Washington, publiait dans Foreign Policy un article analysant les conséquences, selon lui néfastes pour la Chine, de la sous-évaluation systématique par le pouvoir à Pékin du prix stratégique de « la complicité chinoise » à l’agression de l’Ukraine : China Is in Denial About the War in Ukraine. Why Chinese Thinkers Underestimate the Costs of Complicity in Russia’s Aggression

Il note que les réactions des chercheurs chinois furent d’abord prudentes et, même pour certaines, inquiètes.
S’il est exact que le MAE Wang Yi qui s’abstint de condamner l’agression russe et exprima officiellement sa sympathie pour « les soucis légitimes de Moscou », en dehors des cercles de l’appareil proches du pouvoir, la majorité des analyses universitaires exprimèrent ouvertement un malaise à propos des conséquences de la guerre en Ukraine.

Pour eux, il était évident qu’elle aurait un effet sur les relations de la Chine avec l’Europe et les États-Unis, dont le premier effet serait de fracturer d’avantage l’économie mondiale et de mettre en difficultés le commerce extérieur de Pékin.

En mai 2022, Yan Xuetong l’un des plus éminents spécialistes chinois des relations internationales dont les analyses sur les relations avec Washington recoupent la vision bipolaire d’une dualité d’influence globale entre Pékin et Washington [2], avertissait « qu’un conflit prolongé ravagerait l’économie mondiale et déclencherait des tensions accrues entre la Chine et ses voisins, notamment avec le Japon. »

Dans la foulée, Li Wei, professeur à l’Université du Peuple, expert des relations internationales ayant pignon sur rue, soulignait que Pékin avait été surpris par la solidarité de l’Occident pour sanctionner la Russie. Au même moment, Wang Yongli, ancien vice-président de la Banque de Chine, en phase avec Yan Xuetong, craignait que les sanctions ne menacent la mondialisation dont dépend l’économie chinoise.

Du pessimisme au déni de réalité.

Cependant, après plus de deux ans de guerre, l’inquiétude des universitaires s’est dissipée, remplacée par un optimisme prudent. A Pékin, la plupart des experts estiment désormais que les économies russe et chinoise ont réussi à se protéger des dommages paralysants causés par les sanctions occidentales.

Poutine qui, aujourd’hui fait reconstruire sa base industrielle de défense, est parvenu à éviter l’isolement diplomatique extrême dans lequel les Occidentaux cherchaient à l’enfermer. En même temps se confirme l’impression qu’aux États-Unis, le consensus en faveur de l’armement et du soutien à l’Ukraine commence à flotter.

Mais, souligne Blanchette, d’autres réalités sont clairement absentes du discours public chinois. Resté enfermée dans un déni de réalité, la pensée des intellectuels occulte les conséquences stratégiques néfastes pour Pékin de son soutien à Moscou.

Il est exact que l’Europe encore divisée et hésitante, toujours fascinée par l’attrait du marché chinois, n’a pas complètement tourné le dos à la Chine. Pour autant, le rapprochement entre Pékin et Moscou à la faveur de la guerre en Ukraine a provoqué une détérioration significative des relations de Pékin avec une majorité de pays européens.

La tendance à la défiance générale enveloppant désormais le dialogue Chine – Europe sera difficile à inverser, même à moyen terme. Il en est de même pour la relation entre Pékin et Washington, dont la déshérence s’est aggravée à la suite de la guerre en Ukraine.

L’administration Biden a notamment à plusieurs reprises averti Pékin que la bouée de sauvetage économique, technologique et diplomatique dont la Chine gratifie Moscou allait directement à l’encontre de son désir déclaré d’une relation bilatérale stable avec les États-Unis. Sans résultat.

Au contraire. De manière symbolique, Pékin solidaire du discours anti-occidental de Moscou a récemment participé à une patrouille conjointe sino-russe, de bombardiers stratégiques dans l’espace aérien proche de l’Alaska.

En mai, Washington sanctionnait plus d’une douzaine d’entreprises chinoises pour leur soutien direct à l’effort de guerre de Moscou. D’autres sanctions seront probablement imposées, quel que soit le résultat de la prochaine élection présidentielle américaine.

L’angle mort des analyses chinoises.

Surtout, un des plus graves malentendus est que certains chercheurs chinois comme Zhou Bo universitaire et expert des relations internationales au Centre des Études Internationales et Stratégiques de Qinghua (清华大学战略与安全研究中心) déduisent de la prudence stratégique de l’OTAN en Ukraine, que les États-Unis hésiteraient à s’engager au secours de Taïwan en cas d’attaque chinoise.

La réalité est inverse. Nombre de stratèges occidentaux et asiatiques, au Japon, au Philippines et en Corée du sud sonnent l’alerte. Suggérant qu’il existe une symétrie non pas entre la prudence de l’Alliance en Ukraine et une hypothétique inertie de l’Amérique et de ses alliées en Asie-Pacifique, mais plutôt entre la soif de Poutine de s’emparer du territoire ukrainien et l’appétit chinois de longue date d’absorber Taïwan, ils incitent Washington et ses alliés de l’Indo-Pacifique à renforcer leurs défenses.

Autrement dit, pour les États-Unis et leurs alliés du Pacifique occidental, la retenue de l’OTAN en Ukraine ne préjuge pas de leur inertie dans le détroit de Taïwan. Au contraire, le Pentagone estime que du point de vue des intérêts stratégiques directs de l’Amérique, la situation des deux théâtres est différente et les enjeux d’une autre nature.

Le 18 septembre 2022, lors d’une interview à CBS, inhabituellement explicite, Joe Biden avait rappelé que la Chine agressait Taïwan sans provocation de Taipei, l’Amérique qui y jouerait sa crédibilité stratégique, ne pourrait pas rester en marge.

Pour Jude Blanchette qui anticipe le pire, ce malentendu qui, en Chine, sous-estime la détermination américaine dans le Détroit, pourrait être le ferment de la décision catastrophique de Pékin de passer à l’acte contre Taïwan.

La conclusion glose sur l’inconnue de la pensée de Xi Jinping à propos de la guerre en Ukraine, mais craint que la tendance générale des experts stratégiques estime que l’Occident refuse l’éventualité d’un conflit à propos de Taïwan si les coûts économiques étaient trop importants.

Note(s) :

[1Du nom de Houghton Freeman, né en 1921 à Pékin où son père Mansfield Freeman enseignait à l’Université Qinghua, la Fondation Freeman a, grâce à des centaines de millions de $ de donations, contribué à soutenir un large éventail de programmes de formation d’enseignants américains centrés sur l’Asie de l’Est.

Comportant des cursus de premier cycle, des échanges d’étudiants, des projets d’études académiques, des publications éducatives, une forte capacité d’analyse stratégique à partir de l’actualité suivie au jour le jour, et même des initiations artistiques et culturelles destinées à intégrer la Chine dans le concert des Nations régi par l’Occident, elle est aujourd’hui une référence en matière d’études chinoises.

[2Contrairement aux idées reçues et à la vision du « Rêve chinois », Yan anticipe que, même si la Chine réussissait à atteindre en 2049 ses objectifs du centenaire, « construire une société modérément prospère - 小康社会 » et une Nation socialiste puissante, démocratique et civilisée – 建设 一个 繁荣 富强, 民主, 文明, 社会主义 国家 - », les États-Unis n’en perdraient pas pour autant leur statut de superpuissance.

Pour lui, même si l’ordre international restera toujours articulé aux deux facteurs de la prépondérance des « grandes nations » que sont leur puissance propre et leurs liens stratégiques qui dessinent leur influence, il estime que, du strict point de vue national, la puissance de la Chine restera durablement déséquilibrée.


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