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Une reprise en main politique plus qu’une réforme économique

Récemment, la remise en ordre au pas de charge des débordements financiers des grands groupes chinois du numérique et leur normalisation à l’aune de l’idéal de « prospérité pour tous » ont impressionné les observateurs.

Avec une efficacité bien plus grande que celle des pouvoirs occidentaux, la Chine faisait renter dans le rang les exubérances de la libre entreprise, comme celles des entreprises de tutorat scolaire et celles de ses « GAFAM » -. Eux aussi rassemblés sous un sigle BATX – Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi – diffusaient l’image, en réalité pas tout à fait exacte, d’un pouvoir exorbitant en marge de l’appareil communiste.

Les images de chevauchées financières hors limites échappant au contrôle du pouvoir à Pékin véhiculées par les médias occidentaux, de ces jeunes patrons aux dents longues et au mode de vie tranchant radicalement avec l’exigence de frugalité de l’actuelle mandature, était d’autant plus insoutenable qu’à l’exception de Xiaomi, le Parti qui les protégea par de drastiques mesures protectionnistes [1] les avait d’abord puissamment aidés au point d’avoir favorisé leur position hégémonique en Asie où les GAFAM sont moins présents.

Examinées sous l’angle de la bonne gestion étatique centralisée d’un pays se réclamant toujours des idéaux communistes, les mesures paraissent à la fois politiquement légitimes, moralement vertueuses et techniquement raisonnables. Toutefois, force est de constater que la manœuvre a abouti à un puissant resserrement de l’autorité su Parti sur toute la sphère économique. Lire : Faces cachées et risques de la mise au pas des groupes numériques.

Pour aller à l’essentiel, écrit Barry Naughton [2] tous les patrons d’entreprises qu’elles soient chinoises ou étrangères, doivent désormais anticiper les intentions du Parti et de Xi Jinping et se mettre en mesure d’y répondre avec la meilleure réactivité possible.

Il ajoute que cette nouvelle réalité hyper-politisée portant le risque de nuire à long terme aux performances de l’économie chinoise, présente aussi de nouveaux risques pour les investisseurs et les opérateurs économiques étrangers.

Un train de réformes vertueuses et exemplaires.

Le premier secteur touché est celui des géants du numérique en situation de monopole dans l’utilisation des données, dont la pratique jusque là non régulée a sérieusement été mise sous le boisseau. La mesure est salutaire. Désormais les spadassins du numérique ne pourront plus utiliser à leur guise les données collectées par la myriade de leurs activités commerciales parallèles, y compris dans le secteur financier.

Le contrôle public qui s’exerce avec un arrière-plan de sécurité nationale limitant strictement l’utilisation sauvage des données, aboutira certainement au départ des sociétés chinoises de la bourse de New-York où la Commission de régulation exige au contraire toujours plus de transparence de la part des sociétés chinoises.

En même temps, la remise en ordre d’un secteur financier chinois encore chaotique vise les habitudes toxiques des titres dont les ramifications plongent dangereusement dans la « finance grise » où les taux d’intérêt exorbitants et très mal régulés présentent un risque important de réactions en chaîne, en cas de secousse.

Vu sous cet angle, les nouvelles normes apparaissent comme une initiative vertueuse que le régime pourrait même proposer en exemple aux systèmes boursiers occidentaux encore eux-mêmes traversés par les pratiques hautement contestables comme les ventes à découvert ou les habitudes de « titrisation » permettant de camoufler dans des contrats plus larges, des actifs douteux comme ce fut le cas en 2008 des « subprime » prêts hypothécaires accordés à faible taux à des clients non solvables.

Si les mesures s’arrêtaient à ce stade, explique Naughton, elles entreraient dans le cadre d’une réforme technique d’assainissement attendue depuis longtemps. Ce n’est pas le cas.

Une vaste intention politique menaçant l’esprit d’entreprise.

Le président Xi a également fixé une série de nouveaux objectifs politiques (sécurité des données, indépendance technologique de la Chine et régulation du marché immobilier (lire Le grand défi politique des taxes à la propriété) impliquant un élargissement substantiel du pouvoir de l’exécutif et du Parti dont la vaste volonté réformiste heurte nombre d’intérêts acquis hostiles aux réformes.

Récemment, la décision d’obliger les très lucratives entreprises de tutorat à se transformer en organisations bénévoles répond certes à l’idéal égalitaire de Xi Jinping. Mais en arrière-plan, elle avait aussi l’intention d’afficher un allègement des charges parentales pour inciter les couples à faire plus d’enfants.

Simultanément, des centaines de milliards ont été déversés à un rythme accéléré dans le secteur des nouvelles technologies de pointe pour tenter de porter la Chine à la tête du triptyque gestion des bases de données, intelligence artificielle et internet de 5e génération. L’ambition affichée est clairement de propulser la Chine dans la position du n°1 mondial dans chacune de ces disciplines.

Mais les réformes de Xi Jinping ponctuées de de brutales mises aux normes, toutes articulées à la sécurité nationale (lire « La sécurité nationale » à large scope, prétexte à l’exigence de loyauté sans faille. Risques de sclérose politique et sociale.) définissent les nouveaux paradigmes des chaînes d’approvisionnement ; des bases de données ; de la régulation financière ; de l’indépendance technologique ; de la biologie ; et, par-dessus tout, de l’idéologie visant à protéger la prévalence du Parti des influences étrangères, induisant une tendance à un repli sur le pré carré nationaliste.

Le risque est de briser, à force de contrôle et de normes, le ressort de l’esprit d’entreprise, qualité chinoise essentielle à la clé du formidable élan économique privé de ces quarante dernières années. Il y a seulement quelques années, les patrons du numérique avaient le sentiment d’être à la tête d’un secteur de pointe et de faire partie intégrante de l’équipe chinoise qui gagne. Ce sentiment vertueux est en train de se diluer

Au-delà de l’affichage, blocages et poids des intérêts acquis.

L’allégeance réclamée par Xi Jinping est non seulement totale, mais elle commande aussi aux patrons privés de se régler à des exigences diverses et contradictoires où le succès est devenu suspect – l’exemple de la chute de Jack Ma en est un exemple [3] - et où les premières qualités ne sont plus les compétences technologiques, le sens des affaires et le goût du risque, mais la loyauté au Parti et à son n°1.

Il y a pire. L’affichage d’un contrôle politique serré et de l’objectif de réduction des inégalités ne s’est pas, faute d’instruments politiques adaptés, doublé d’un véritable élan de réformes.

Deux exemples parmi d’autres. La maîtrise des écarts de richesse, priorité indiscutable de Xi Jinping, aurait nécessité des changements majeurs des politiques fiscales et de sécurité sociale, qui telles qu’elles existent actuellement n’ont aucun effet sur les inégalités. Les seules initiatives furent des demi-teintes sollicitant les grands groupes chinois et étrangers à augmenter leurs dons de bienfaisance.

De même, l’assainissement du marché immobilier bombe à retardement politique et économique, sera impossible sans l’instauration d’une réelle taxe à la propriété que le pouvoir qui se heurte aux intérêts acquis, tarde à mettre en place.

Globalement, pour Naughton, la prolifération des objectifs étatiques et le manque d’instruments efficaces pour les mettre en œuvre ont créé une nouvelle réalité de l’économie chinoise et du tissu productif. « Chaque entreprise regarde par-dessus son épaule pour se conformer, voire anticiper, les objectifs changeants des autorités suprêmes. »

Quant aux entreprises publiques, elles n’ont plus à se soucier beaucoup de leur capacité à concurrencer les entreprises privées. Elles pourront toujours prétendre que leurs pertes sont dues à leurs contributions démesurées aux objectifs sociaux du pouvoir.

Dans un contexte où les changements de règles sont abrupts, aléatoires, souvent discriminatoires, ce qui est aujourd’hui à l’œuvre n’est pas une réforme économique, mais une reprise en main politique.

Note(s) :

[1L’interdiction en Chine de Google, Facebook et WhatsApp a ouvert la voie à l’expansion fulgurante de Baidu, tandis que WeChat, le service de messagerie de Tencent concurrent de WhatsApp, a mis en place un florissant service de paiements en ligne. En même temps Alibaba dont le PDG Jack Ma était d’abord protégé de Xi Jinping, triomphait d’Amazon grâce à ses implantations régionales, la plus grande souplesse de son système de paiement Alipay, la brièveté de ses délais de livraison dépassant rarement 24 heures, et surtout ses prix imbattables.

Il convient cependant de relativiser la puissance de Baidu et Tencent dont l’activité internationale compte seulement pour moins de 10% de leurs chiffres d’affaires contre plus de 30% pour Amazon. De même, l’environnement américain de hautes technologies pour l’heure plus performant explique que la capitalisation boursière des BATX à 1000 Milliards de $ est nettement inférieure à celle des GAFAM supérieure à 4000 Mds de $.

[2Barry J. Naughton est Docteur en économie de l’Université de Yale et titulaire de la chaire de Relations Internationales et d’études de la zone Pacifique de l’université de San Diego, spécialisé en économie chinoise, dont il est un expert reconnu. Sa thèse est que la modernisation et les réformes de l’économie ont été conduites non avec une vision du Parti d’un objectif particulier à atteindre, mais en naviguant de manière pragmatique entre le laisser-faire des entrepreneurs et de puissantes incitations publiques.

[3Homme d’affaires dont la réussite avait d’abord servi à nourrir le rêve des tous les chinois de créer une entreprise de classe mondiale, Jack Ma avait, après sa mise au pas politique, dû subir les invectives des internautes qui le jugèrent arrogant et cupide.


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