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›› Editorial

« Adoucir l’image internationale de la Chine ». Les intellectuels à la manœuvre

Suivant les directives de Xi Jinping au Bureau Politique du 31 mai qui enjoignaient aux intellectuels et aux experts de prendre la plume pour, avait-il dit, donner de la Chine une image plus aimable “可信, 可爱, 可敬”的形象, plusieurs grandes figures du monde académique ont déjà répondu à l’appel.

L’un des premiers à le faire dans la prestigieuse revue Foreign Affairs, créée en 1922, où l’on trouve des signatures de tous bords depuis F. Fukuyama à D. Rumsfeld en passant par Samuel Huntington, Z. Brzezinski et Joseph Nye, fut Wang Jisi, expert des États-Unis et doyen de l’Institut des Relations internationales à l’Université de Pékin. Lire : « Un complot contre la Chine ? Comment Pékin voit le nouveau consensus de Washington ». Par Wang Jisi

Deux autres viennent de répondre à l’appel. Toujours dans Foreign Affairs. D’abord Dan Wang, spécialiste des hautes technologies. Ayant travaillé à la Silicon Valley, il est également contributeur régulier du New-York Magazine et de Bloomberg Opinion.

Explorant les conséquences complexes de la féroce guerre de tranchée menée par les États-Unis contre la Chine, il fait l’hypothèse que l’embargo anti-américain tous azimuts et sans nuances provoquera, provoque déjà, le réveil de la recherche chinoise et progressivement un potentiel d’indépendance par rapport à la suprématie technologique américaine, notamment en matière de micro-processeurs.

Sans surprise, politiquement aligné sur la ligne de Xi Jinping et du Parti, il exprime ses idées dans un blog (danwang.co) où, du point de vue de l’appareil, il décrypte la « gouvernance » chinoise y compris ses aspects le plus controversés par les Occidentaux.

Sur ce thème, il analyse par exemple le retour à l’emploi des slogans politiques, les contradictions entre l’affichage « démocratique » et une pratique de plus en plus serrée du contrôle social, tout en faisant la part des choses entre les erreurs commises par l’appareil au déclenchement de la pandémie au début 2020 et l’exemplaire capacité de réaction collective de la société chinoise.

Le troisième intellectuel ayant répondu présent à l’injonction de Xi Jinping du 31 mai, est Yan Xuetong, Docteur en Sciences Politique de Berkeley Californie (1992) et Doyen à Qinghua de l’Institut des Relations Internationales contemporaines. Sa pensée stratégique est toute entière en harmonie avec la théorie chinoise des « relations entre puissances ».

En partie inspirée de l’idée westphalienne de la suprématie des États dans les relations internationales s’interdisant eux-mêmes d’interférer dans les affaires intérieures des autres [1] (lire : Becoming Strong, The New Chinese Foreign Policy), la vision de Yan Xuetong prônant la non ingérence américaine, notamment en matières de droits de l’homme, entre en conflit direct avec la réalité des stratégies de Xi Jinping.

Tout en fustigeant les interférences occidentales au Tibet, au Xinjiang, à Hong-Kong, ou encore dans les Affaires taïwanaises, le discours actuel du Parti, glosant sur la renaissance 复兴 de la Chine à l’horizon 2049, exprime en effet la volonté de définir un ordre mondial concurrent de celui des Occidentaux.

Dans cette vision, l’atout et le statut de « grande puissance » capable d’exprimer une domination, notamment en mer de Chine du sud, opportunément haussée au rang d’intérêt vital, sont à la fois un moyen et une fin.

*

Dans son essai (China’s Sputnik Moment ? How Washington Boosted Beijing’s Quest for Tech Dominance), Dan Wang développe l’idée que l’excès de pressions et de sanctions exercées par l’Amérique dans le secteur des hautes technologies aura en Chine le même effet de branle-bas qu’avait provoqué aux États-Unis le coup de tonnerre de l’envoi dans l’espace, le 4 octobre 1957, du satellite soviétique Sputnik 1. En arrière-plan son long raisonnement vise à persuader Washington de réduire ses pressions sur le secteur chinois des hautes technologies.

Depuis 2018, le resserrement des restrictions commerciales américaines dilatées en sanctions puis en une rivalité stratégique globale, menace en effet la viabilité de certaines des plus grandes entreprises chinoises. Alimentant l’anxiété à Pékin, les embargos et l’ostracisme les forcent à réinventer les technologies américaines auxquelles elles ne peuvent plus accéder.

Aujourd’hui, la plupart d’entre elles cherchent des alternatives nationales pour les technologies indispensables. En d’autres termes, suggère Dan Wang, l’excès de sanctions a accompli ce que le gouvernement chinois n’avait jamais réussi : infuser aux entreprises privées un esprit nationaliste d’autosuffisance technologique.

Note(s) :

[1Lire : Les turbulences de l’ordre mondial

Fondé sur les États nations comme unités de base de la vie internationale, les axiomes du système westphalien sont la souveraineté étatique, la non-ingérence, l’inviolabilité des frontières et l’équilibre des puissances.

C’est à lui que l’on doit aussi les concepts de raison d’État et d’intérêt national, dont Kissinger dit qu’ils « ne représentent pas une exaltation du pouvoir mais une tentative de rationaliser et de limiter son usage » (« World Order » Kissinger p. 30).

Notons cependant que, cette manière habituelle de présenter les traités de Westphalie comme le début de la souveraineté étatique et la fin des ingérences est caricaturale. En réalité, la « souveraineté absolue » qui semble animer la pensée de Xi Jinping soucieux de protéger la prévalence sans partage de l’appareil des menaces d’une influence politique étrangère, est une utopie.

Depuis le XIXe siècle, les plus éminents juristes parlent de « souveraineté conditionnelle ». Xi Jinping le sait, c’est la raison pour laquelle, au nom de la sécurité d’État, confondue avec celle du Parti, il table sur la prévalence de la force sur le droit. Dans le monde tel qu’il va, il n’est pas seul, au point qu’en France, au moment de quitter ses fonctions, le Général Lecointre, ancien Chef d’état-major des armées plaidait pour donner aux armées françaises « la capacité de remonter rapidement en puissance sur l’ensemble du spectre ».

Son intention ? Se hisser à la hauteur des capacités dont se dotent les « compétiteurs potentiels, la Chine et la Russie, notamment » dont, dit-il, de plus en plus souvent la posture internationale actionne les leviers de « l’intimidation et de la menace ».


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