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Alstom, dommage collatéral de la compétition Chine – Etats-Unis

La cession en novembre 2015 à l’Américain General Electric (GE) de la filière énergie d’Alstom comportant notamment la vente très sensible de la division des chaudières nucléaires équipant les sous-marins et le porte-avion de la flotte militaire française est peut-être une conséquence néfaste de la guerre économique que se livrent Chinois et Américains dans le secteur de l’énergie.

Dénoncée à l’époque par le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, la transaction comportait aussi la vente des systèmes de positionnement par satellite « équipant l’armée ainsi que des entreprises du secteur de la défense et de l’espace tombés dans le giron de General Electric. »

Récemment, le site IVERIS (Institut de Veille et d’Etudes des relations Internationales et stratégiques) faisait référence à une intervention publique de Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique auteur de l’ouvrage « Le Nationalisme économique américain », paru dans la collection « Guerre de l’information » VA Editions (2017), analysant « la résurgence du nationalisme économique dans le débat politique entrant en contradiction avec le discours jusqu’alors dominant sur la mondialisation des échanges ».

Au cours de son exposé, Christian Herbulot a notamment inscrit la vente d’Alstom aux Américains dans les effets collatéraux de la guerre économique sans merci que se livrent les États-Unis et la Chine dont Question Chine rend compte régulièrement en prenant comme exemple le secteur des microprocesseurs.

En France l’affaire est cependant brouillée par les soupçons de conflit d’intérêts pesant sur le PDG du groupe Patrick Kron, ancien major de Polytechnique et sur 21 dirigeants d’Alstom ayant largement bénéficié des dividendes de la vente à GE, évalués à 30 millions d’Euros, dont 4 millions pour Patrick Kron.

A ces conjectures pernicieuses s’ajoutent quelques réalités concrètes et vérifiées où l’on voit que le processus de la vente à GE a été entouré par les démêlés du groupe français avec la justice américaine ayant, en 2013, arrêté aux États-Unis quatre anciens collaborateurs d’Alstom.

Le groupe lui-même a par ailleurs plaidé coupable pour des faits de corruption en Indonésie dans le cadre d’une procédure du « Foreign Corrupt Practice Act – FCPA », par lequel les États-Unis s’arrogent le droit de poursuivre pour corruption des personnes ou des entreprises, américaines ou non, domiciliées ou ayant une filiale aux États-Unis ou même simplement cotées sur les marchés financiers américains.

Enfin dernière incidence trouble du dossier, Loïch le Floch Prigent, ancien PDG d’Elf, principal témoin cité par l’article d’Iveris a lui-même une longue histoire personnelle embarrassée par des affaires de corruption et plusieurs condamnations à la prison ferme en France et en Afrique. Il n’empêche que l’ancien PDG d’Elf connaît bien les questions de guerre économique, notamment celles du secteur de l’énergie.

Pour lui, la compétition économique globale se joue aujourd’hui entre les États-Unis et la Chine, « l’Europe est trop désunie pour peser dans cette aventure et la Russie encore affaiblie par 70 ans d’obscurantisme soviétique ».

Le chiffon rouge des alliances avec la Chine.

Après le démantèlement de la Compagnie Générale Electrique « par de médiocres idéologues » dit Le Floch Prigent, le savoir-faire d’Alstom dans le domaine du rail n’intéressait pas les Américains. En revanche celui du groupe français dans l’énergie restait un objectif majeur dans leur recherche de puissance, dans un contexte où, en interne, ils ont, « grâce aux investissements dans le pétrole de schiste, réussi à dégager une autonomie énergétique d’au moins 150 années » .

Dès lors « toute alliance d’une entreprise européenne avec un groupe chinois dans ce secteur devenait potentiellement dangereuse pour les États-Unis dont le but est de bloquer la montée en puissance de la Chine afin qu’elle ne devienne pas la première puissance mondiale. »

Ainsi, les projets d’alliance d’Alstom avec les Chinois Dongfang 东方 电气 (groupe public d’État fabricant de turbines et de chaudières) et Shanghai Electric 上海 电气 (multinationale d’affichage privé fabricant des centrales thermiques géantes, des compresseurs hydrauliques et des réacteurs nucléaires), sont-ils devenus deux très sensibles « chiffons rouges » pour les stratèges américains de l’énergie.

Avec Shanghai Electric n°1 mondial des centrales à charbon, le groupe français avait, en avril 2011, signé une lettre d’intention pour une coentreprise 50/50 au chiffre d’affaires global de 2,5 Mds d’€ mais qui n’avait jamais été mise en œuvre, malgré la caution du n°4 du Comité Permanent, Yu Zhengsheng venu à Paris à l’occasion du mois de la culture de Shanghai.

En mai 2016, Alstom avait cependant remporté avec Shanghai Alstom Transport Electrical Equipment Co. Ltd., la coentreprise de transport créée avec Shanghai Electric, un contrat de 46 millions d’euros pour la modernisation des 68 voitures du métro de Shanghai.

Avec Dongfang, Alstom, familier du marché chinois où il a déjà livré plus de la moitié des turbines et des alternateurs, a en revanche conclu, le 11 juillet 2013, un premier accord de coopération pour la fourniture d’alternateurs et de turbines pour les réacteurs AP 1000 à eau pressurisée de Westinghouse.

Pressions juridiques américaines.

C’est précisément à cette époque que commencèrent les pressions juridiques exercées par Washington contre Alstom. Le 15 avril 2013, Frédéric Pierucci 46 ans, ingénieur diplômé de l’Insead de Fontainebleau et titulaire d’un MBA de l’université de Columbia, cadre d’Alstom durant 22 ans où il était n°2 de la division chaudières, basé à Singapour, était arrêté à l’aéroport Kennedy de New-York où il était en voyage d’affaires, puis incarcéré au nom du Foreign Corruption Practice Act pendant 14 mois pour des faits de corruption en Indonésie entre 2000 et 2009.

Iveris souligne avec Le Floch Prigent que « la détention de Frédéric Pierucci était à la fois un avertissement et un chantage à l’égard de l’équipe dirigeante du groupe, chantage qui avait été déjà été exercé contre Siemens quelques années auparavant. On sait aussi que les politiques européens sont frileux dès que le mot “justice“ apparaît. »

Note de la rédaction  : En décembre 2008, Siemens, le premier concurrent mondial de GE, avait été condamné par une cour américaine à une amende record de 800 millions de $ pour avoir payé 1,4 Mds de pots de vins à des gouvernements étrangers.

Libéré sous caution en 2014, Frédéric Pieruccci vient d’être condamné le 25 septembre dernier par la cour de New-Haven à 30 mois de prison ferme et à 20 000 $ d’amende. Remarquant au passage que Pierucci avait été sacrifié par Alstom, Iveris note la férocité du verdict contre un cadre étranger n’ayant pas bénéficié d’enrichissement personnel, mais pourtant condamné à la même peine que Jack Stanley, le PDG de KBR (Kellogg Brown & Roots) filiale d’Halliburton qui lui avait reçu un pot de vin personnel de 10 millions de $ payé directement par un consultant de KBR.

*

La suite de l’article est un commentaire sur « l’arme redoutable que constitue le FCPA dès qu’un dollar américain change de mains » et la faiblesse des réactions européennes, allant parfois même jusqu’à l’abandon par leurs groupes industriels de cadres mis en cause pour corruption, alors qu’ils mettaient en œuvre une stratégie commandée par leurs chefs.

La conclusion glose sur les fautes stratégiques des PDG ayant prêté le flanc en s’alliant à la Chine et sur le gâchis d’avoir sacrifié un géant industriel à la pointe des centrales au charbon propre et des turbo-alternateurs Arabelle équipant plus de 50% des centrales nucléaires de la planète. Elle dénonce aussi le nombrilisme moralisateur français ayant renoncé par dogmatisme écologique au gaz et au pétrole de schiste, confit dans l’illusion de donner une leçon à la planète entière, alors que la Chine et les États-Unis poursuivent leurs explorations.


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