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›› Editorial

Après l’armée, le pouvoir s’attaque aux bastions des parlements

Le président Xi Jinping ici en réunion avec les délégués à l’ANP du Liaoning dont plus de la moitié a été révoquée après la session du 13 septembre dernier. (photo d’archives).

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La lutte contre la corruption monte en pression. Récemment, elle a frappé de plein fouet les prévarications du système électoral depuis toujours embourbé dans les achats de votes par les délégués régionaux au Congrès quinquennal, véritable respiration politique de la Chine que Xi Jinping et Wang Qishan, président de la Commission Centrale de discipline ont entrepris d’assainir à leur manière radicale.

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Le 13 septembre, un communiqué de l’Assemblée Nationale Populaire annonçait que 45 des 102 représentants au Congrès de la province du Liaoning avaient été révoqués pour avoir acheté les votes de 523 députés (84% des membres l’assemblée provinciale) tous congédiés.

Parmi les 45 délégués remerciés figurent 38 membres du Comité Permanent de l’Assemblée provinciale, soit près de 60% d’une structure qui devrait, en théorie, constituer le cœur du système de démocratie interne au Parti, chargé de contrôler les politiques publiques locales.

Le message est clair. Si le Parti entend, comme il le répète, instaurer une « démocratie interne » capable d’installer des contrepoids et des contrôles au
sein même de la machine politique du régime, tout en rejetant le schéma d’une opposition officiellement reconnue, ceux qui disent représenter le peuple doivent être exemplaires.

Zhang Dejiang, président de l’Assemblée Nationale Populaire et n°3 du Parti a bien saisi la puissance du coup de semonce porté contre l’institution qu’il dirige. Héritier d’un système figé dans un simulacre de démocratie articulé autour de votes captifs sans liberté critique et corrompus par les trafics d’influence et les pots de vin, Zhang a lui-même été contraint d’admettre que le coup de balai inédit dans l’histoire de la Chine moderne, « secouait le système politique chinois de fond en comble. »

Redresser l’éthique et protéger la prévalence du Parti.

Zhang Dejiang, conservateur, président de l’ANP et n°3 du Parti est affaibli par le coup de balai contre les parlementaires et les délégués du Liaoning.

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La plupart des commentateurs, chinois expatriés compris, analysent l’événement en spéculant sur une dérive politique de la chasse aux corrompus vers une lutte de clans en amont du 19e Congrès. Ils ont tort. Derrière cette vaste charge sans état d’âme du politburo contre sa propre machine, il y a deux intentions très claires.

1) Réaffirmer l’exigence éthique, condition minimum de la survie du Parti en ces temps où les critiques de la société civile relayées par les réseaux sociaux imprègnent les consciences de plus en plus de Chinois de la classe moyenne.

2) Tout en tenant à distance les idées de démocratie à l’occidentale dangereuses pour le magistère du Parti, canaliser les frondes dans les limites d’une idéologie de gouvernement inspirée du modèle singapourien de « despotisme éclairé », capable de susciter par la vertu des élites, l’harmonie entre le peuple et le pouvoir.

Il reste que la vaste Chine traversée par de multiples tensions contradictoires n’est pas Singapour, petit promontoire urbain ayant, sous les apparences du multipartisme, mis en œuvre, jusqu’à présent avec succès, un système de gouvernement vertueux dominé, depuis l’indépendance, par une seule formation politique.

On ne dira jamais assez que l’avènement de Xi Jinping et de ses proches parmi lesquels figure au premier rang Wang Qishan, l’artisan sans état d’âme de la chasse aux poisons de la vénalité politique, coïncide avec le sentiment d’une urgence existentielle qui place le redressement éthique au cœur de l’action interne du pouvoir. La conscience vient de loin.

En 2006, déjà, Hu Jintao avait popularisé le slogan des « huit vertus et des huit infamies - 八荣 八 耻 – Ba Rong, Ba Chi - » [1] illustrant déjà le penchant moralisateur et confucéen du régime. Il reste que Xi Jinping et ses alliés sont les premiers à s’attaquer avec cette féroce détermination à la gangrène de la corruption qui menace le Parti de l’intérieur. Plusieurs centaines de milliers de cadres, y compris au sommet du pouvoir civil et militaire ont été exclus du Parti, mis en examen et, souvent, très sévèrement condamnés.

Entre État de Droit et prévalence du Parti.

Wang Qishan, président de la Commission Centrale de discipline. Loyal et efficace, il s’interroge sur les causes de la corruption.

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S’il est vrai que la tornade qui ébranle les institutions parlementaires du nord-est souffle à un an du 19e Congrès, elle s’inscrit moins dans la routine des luttes de pouvoir en amont des échéances que dans le projet de redressement moral. Elle est en réalité une étape cruciale du mandat et de la stratégie de Xi Jinping. Après avoir durement secoué l’APL entre 2013 et 2016 et nombre de hauts fonctionnaires provinciaux, l’équipe en charge s’attaque au bastion à la fois sévèrement corrompu et, jusqu’à présent intouchable, du système parlementaire, paravent démocratique du régime.

Mais le rocher que le politburo tente de rouler est à la fois lourd et glissant. Menaçant la multitude des enchevêtrements entre les affaires et la politique, il suscite crainte, frustrations et rancœurs en même temps que des interrogations sur sa finalité. Wang Qishan, le soldat le plus loyal de ce combat, avait, au début de son mandat, lui-même concédé que sa bataille ne s’attaquait qu’aux symptômes en négligeant les causes. Quelles causes ?

Celles là même évoquées par Hu Shuli, l’une des journalistes les plus indépendantes de Chine, qu’on dit proche de Wang Qishan dans un éditorial publié dans le magazine Caixin, le 20 septembre.

Hu Shuli, « la femme la plus dangereuse de Chine ».

Proche de Wang Qishan, Hu Shuli, que certains commentateurs ont désignée comme “la femme la plus dangereuse de Chine“ a gardé sa liberté critique en dépit de la censure. Quand elle cible la corruption du système, son combat rejoint celui du Politburo.En revanche, ses réactions aux harcèlements du pouvoir contre les activistes des droits restent soigneusement calculées.

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Soulignant que les tares de l’assemblée du Liaoning gangrènent tous les parlements provinciaux, Hu décrit le fonctionnement du vieux système de parrainages nourrissant la corruption. Conflits d’intérêt, manipulation des élections, rentes de situation creuset des rigidités et de l’inefficacité bureaucratiques, tous sont, dit-elle, à la racine de l’impuissance politique, de la stagnation des réformes institutionnelles et du recul économique.

Dans sa conclusion Hu, « poil à gratter » du régime, prône des réformes politiques articulées autour du Droit s’imposant sans exception à tous les candidats aux élections. Elle ne dit cependant pas s’il s’agit du Droit à l’occidentale séparant les trois pouvoirs ou de la conception chinoise qui garantit la prévalence du Parti, lui même imbriqué à l’État.

Note(s) :

[1Aimer la patrie, ne pas la blesser ; Servir le peuple, ne pas le trahir ; Adhérer à la science, combattre l’ignorance ; Être diligent, rejeter l’indolence ; Être solidaire, refuser les profits aux dépens d’autrui ; Cultiver l’honnêteté et la confiance, placer l’éthique avant le profit ; Être discipliné, obéir aux lois, rejeter le chaos et l’insoumission ; Cultiver la simplicité et la rudesse des combats ; ne pas se vautrer dans le luxe et les plaisirs (traduction non officielle).


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