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Bruits de ferraille en mer de Chine de l’Est. Chronique d’un nationalisme enflammé et contrecoups

Alors qu’une partie des stratèges français nourris au concept de l’indépendance gaullienne à l’égard de l’Amérique et de l’OTAN, se méfient du risque d’engrenage pro-américain porté par la stratégie « Indo-Pacifique », l’armée française s’est récemment déployée dans le Pacifique occidental avec les moyens de la mission Jeanne d’Arc 2021, qui regroupe la frégate légère furtive Surcouf de la classe Lafayette (3800 t) et le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre de la classe Mistral (22 000 t).

En arrière-plan de l’exercice pèse la méfiance diffusée par l’inflexible stratégie de force de Pékin. Pour compenser l’exiguïté de son domaine naval, la Chine réclame depuis 1948 la souveraineté sur 80% de la mer de Chine du sud. En dépit des critiques et du contrepoids de l’US Navy, imperturbable, elle avance son projet sans faiblir.

Procédant par grignotages de la ZEE des riverains, élargissant les îlots par bétonnage, la stratégie s’adosse aux pressions exercées par sa milice maritime camouflée en flottilles de pèche, soutenues à distance par sa marine de guerre. Objectivement, Pékin est en train de transformer en mer intérieure la mer de Chine du sud grande comme la Méditerranée.

Déjà, la construction de trois pistes d’aviation de 3000 m, l’une dans les Paracel au nord et les deux autres dans les Spratly au centre, confère à l’APL la capacité de surveiller tout l’espace marin situé entre Hainan, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et Vietnam.

Choc en retour de l’affirmation impériale.

La stratégie du fait accompli visant à contrôler un vaste espace de haute mer inquiète Paris dont l’immense domaine maritime est un des atouts. Depuis longtemps les revendications chinoises qui débordent vers la Mer de Chine orientale, à propos de l’îlot Senkaku, sont aussi observées par le Japon, avec une méfiance sourcilleuse doublée de l’amertume d’une puissance déclassée face à la Chine renaissante. A propos de l’ilot Senkaku – Jiaoyutai en chinois - lire Incidents militaires aux abords de la Chine et du Japon et Chine – Japon. Dérive guerrière, volonté d’apaisement et dangers nationalistes.

S’il est vrai que les deux analyses montrent à quel point les tensions sino-japonaises sont récurrentes, force est de constater que l’organisation de manœuvres sur le sol japonais, avec la participation de l’Australie et de la France, signalent que la crainte de la Chine est animée d’une dynamique nouvelle.

La vigilance est aussi australienne dont la précédente stratégie d’ouverture de Kevin Rudd aujourd’hui obsolète a télescopé la crainte insistante de l’élargissement de l’empreinte chinoise, les accusations de corruption du personnel politique par les réseaux d’influence liés à Pékin et la brutalité des représailles infligées à Canberra après que Scott Morrison ait réclamé une enquête sur l’hypothèse d’une fuite au laboratoire de hautes sécurité biologique classé P4 de Wuhan [1].

C’est précisément avec les États-Unis et leurs deux partenaires japonais et australien, parties, avec l’Inde de l’alliance « quad » des pays démocratiques ayant associé leur vigilance face à Pékin, que la marine française a récemment effectué des exercices.

Aux côtés de la frégate Surcouf et du PH Tonnerre, le Japon a mobilisé un sous-marin, un destroyer porte-hélicoptères, deux destroyers classiques, un navire d’assaut amphibie et deux patrouilleurs lance-missiles. (source Laurent Lagneau : Indo-Pacifique : Les forces françaises, américaines et japonaises s’exercent à reprendre une île.

Plus encore, la présence, même symbolique, dans les participations japonaise et française de forces d’infanterie et amphibies aux côtés des « Marines » américains [2] montrait que l’exercice avait un versant terrestre, allusion directe à l’occupation des îlots que les membres de l’alliance « Quad » considèrent comme illégale contrevenant au droit de la mer. Pékin a également interprété le volet terrestre de l’exercice comme une allusion à ses projets de récupérer sa souveraineté sur Taïwan.

Signal sans ambiguïté envoyé à Pékin, l’importance de la forces navale déployée exprime aussi l’intérêt que Tokyo accorde à l’exercice. Quant à l’Australie, elle a mis en œuvre une frégate de 3600 tonnes de la classe Anzac, dotée comme les autres des derniers équipements électroniques, radars de détection, contremesures, armement missiles anti-navires, antiaériens et torpilles. A bord, un hélicoptère Seahawk MH60R, spécialisé dans la lutte anti-surface et anti-sous-marine.

L’Amérique était représentée par des éléments navals et le corps des Marines qui dépêchèrent le bâtiment d’assaut amphibie New-Orleans (11 000 t), des avions de patrouille maritime P-8A Poseidon et plusieurs aéronefs de transport aérien V-22 Osprey hybrides à rotor basculant.

Le symbole d’une manœuvre terrestre.

Pour cette première participation française à ce niveau dans la zone du Pacifique occidental « le clou » de la manœuvre n’a pas été la coopération navale, mais un exercice sur le sol japonais au camp d’entraînement de Kirishima situé à l’extrême sud de l’archipel à 1000 km au sud-ouest de Tokyo, sur l’île de Kyushu.

Il comportait l’intervention d’unités terrestres françaises, japonaises et américaines engagées par des débarquements d’assaut appuyés par des F-2 japonais produits par Mitsubishi (A partir du F-16 américain). Le thème de l’exercice, en réalité symbolique par le faible nombre des unités terrestres mises en œuvre, mais sans ambiguïté, consistait à reprendre de vive-force une île contre un ennemi qui n’était pas désigné, mais dont tout le monde a compris qu’il s’agissait de la Chine.

La mise en scène qui eut lieu au cours du week-end du 16 mai, n’a pas échappé à Pékin qui aura d’abord noté la déclaration du ministre de la défense japonais Yasuhide Nakayama, dont l’œil était probablement au moins autant tourné vers l’îlot Senkaku que vers la mer de Chine du sud.

Insistant sur la première participation de la France au sein du groupe des nations de la région – Japon et Australie – qui s’entraînent régulièrement avec les États-Unis, il entérinait avec satisfaction l’élargissement à l’Europe de la défiance à l’égard de la Chine.

Note(s) :

[1Alors que l’exigence de transparence est aujourd’hui reprise par l’OMS (lire nos articles sur les tensions entre la Chine et l’Australie : Origine de la pandémie. L’Australie face aux puissantes pressions de Pékin. Quelles perspectives pour une OMS indépendante ? et Pékin à Canberra : « Ne touchez pas aux intérêts vitaux chinois. » Brutalité et fragilités chinoises. Limites des discours d’ouverture), le 14 mai une équipe de 18 virologues publiait une lettre dans la revue Science demandant une analyse plus approfondie des origines de la pandémie.

« Les théories de la libération accidentelle d’un laboratoire et de ses retombées zoonotiques restent toutes deux viables ». Ils ajoutent que l’Institut de Wuhan devrait ouvrir ses archives. L’un des signataires est un virologue de Caroline du Nord ayant travaillé directement avec les meilleurs scientifiques de l’Institut de Wuhan.

[2Il s’agit pour le Japon de la nouvelle brigade de réaction rapide amphibie, dotée d’avions de combat F-2 et d’hélicoptères de transport CH-47 Chinook et d’assaut AH-64 Apache. Quant à la France, elle avait engagé une soixantaine de légionnaires appartenant à la 6e Brigade Blindée embarqués à bord du PH Tonnerre.


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