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Chinois victimes du fléau des trafics d’êtres humains

Le 27 octobre, Helen Roxburgh et Catherine Lai (AFP Hong Kong) ont publié une infographie d’Anne-Sophie Till décrivant le tragique périple en Europe des 39 migrants munis de faux passeports (31 hommes et 8 femmes dont au moins une femme d’origine vietnamienne) dont les corps ont été découverts le 22 octobre dans un camion frigorifique au sud-est de l’Angleterre à l’est de Londres.

Leur transfert clandestin vers Londres depuis l’est de l’Europe n’était que la dernière étape d’un long voyage qui les a, semble t-il, menés en Bulgarie, plaque tournante mal surveillée de trafics vers l’Irlande.

Le drame qui n ‘est pas le premier du genre (en 2000, les corps de 58 Chinois avaient été découverts dans un camion hollandais à Douvres), est encore une fois celui de déclassés cherchant une meilleure vie, pris en otages par les trafiquants d’êtres humains particulièrement actifs en République Populaire de Chine devenue une plaque tournante d’un véritable esclavage moderne.

En 2019, un rapport du Département d’État américain, vertement critiqué par Pékin pour son manque d’objectivité, classait la Chine parmi les pays au monde les plus gravement frappés par le fléau de l’exploitation de la misère humaine [1]. Cette appréciation recoupe cependant celle du gouvernement britannique qui, en 2018, révélait après étude, que la Chine était 4e sur la liste des pays d’où sont issus les victimes des trafics d’êtres humains.

Les oubliés du « rêve chinois ».

C’est peu dire que l’opinion chinoise, subjuguée par la propagande du « rêve chinois » est choquée par le drame de ses compatriotes ayant cherché à fuir leur condition en Chine.

Même si, pour l’instant, aucune information détaillée n’est disponible sur l’origine et le statut individuel des personnes décédées par asphyxie dans le camion dont le conducteur est actuellement interrogé par la police, le désastre jette une lumière crue sur les laissés pour compte du formidable bond socio-économique chinois depuis 40 ans.

Le pouvoir à Pékin le sait bien et le dit lui-même, l’aisance d’une société de « confort modeste 小康 社会 », à défaut de la vaste et éclatante fortune des plus riches, n’a pas encore rattrapé tous les coins des campagnes chinoises. Plus encore, dans la périphérie des grands centres urbains, mégalopoles géantes dont le nombre explose au gré de l’aménagement du territoire, se développent des bidonvilles insalubres.

La tendance ne faiblit pas, en dépit des efforts du pouvoir pour contrôler leur nombre, notamment en freinant l’attribution des « Hukou » vers les grandes agglomérations pour les réserver aux plus « petites conurbations », dont la population atteint cependant assez souvent plus d’un million.

Au total, près de 200 millions de migrants intérieurs au statut social flottant et aux conditions de vie souvent acrobatiques et plus de 30 millions de déclassés, rangés par le gouvernement chinois lui-même sous le seuil de pauvreté (moins de 2800 Yuan de revenus par an, soit 416 $) ne sont pas partie prenante du miracle.

Les chiffres recouvrent une proportion importante de la population (17%) dont la charge pèse sur toute la réflexion de politique intérieure au tout premier rang des préoccupations du régime, l’œil rivé sur sa popularité, résultat fragile de sa réussite socio-économique.

Même s’il est vrai que le pourcentage des laissés pour compte recouvre des conditions de vie très différentes souvent peu comparables, le fait est qu’aucune de ces catégories, qu’il s’agisse des 民工 – mingong – ou des « ultra pauvres », n’est en situation de jouir du confort affiché par la classe moyenne chinoise.

Lire : L’éveil de la classe moyenne. 225 millions de Chinois, objets des attentions du régime.

Enfin, même chez cette catégorie privilégiée, la crise aidant, une morosité s’est installée. La génération des parents prend aujourd’hui conscience, comme ailleurs dans le monde développé, que leurs enfants pourraient ne pas connaître les progrès matériels dont eux-mêmes ont bénéficié depuis les années 80. Quant à la popularité de Xi Jinping, dont nous disions en 2016 dans la note citée plus haut qu’elle était encore solide, aujourd’hui, écornée par la crise, elle apparaît moins assurée.

Tel est l’arrière-plan du drame. Pour Xi Jinping il tombe au plus mauvais moment, à la veille du 4e plenum du Comité Central convoqué durant la dernière semaine d’octobre.

Un exercice de déni.

La nervosité du régime était perceptible dans le discours et le ton de la porte-parole, Hua Chunying, le 25 octobre.

Elle a d’abord reconnu l’ampleur de la tragédie et souhaité que l’identité des victimes soit vite connue. Puis, oubliant que la Chine est une plaque tournante des trafics tirant profit du désir d’ailleurs de dizaines de milliers de Chinois, elle a durci le ton en réclamant que les « criminels impliqués dans la tragédie » soient sévèrement sanctionnés.

Le Global Times est allé plus loin, affirmant que « Londres et les pays européens n’avaient pas été à la hauteur de leurs responsabilités et avaient manqué au devoir de protéger les victimes » (…).

Sans nier la responsabilité des autorités de Bruxelles et des pays membres de l’UE dont les frontières sont des passoires, il faut constater que Pékin occulte complètement le rôle joué au départ de Chine par les trafiquants chinois qui tirent profit de la misère psychologique et matérielle des populations restées en marge de la croissance.

Concluant, par un coup de pied de l’âne à l’usage du public chinois, le Global Times exonérait le pouvoir de la moindre responsabilité : « Nous espérons qu’à l’avenir les Britanniques et les Européens mettrons en œuvre leurs différentes professions de foi en faveur des droits de l’homme et ferons les efforts nécessaires pour protéger les citoyens chinois des trafics et d’une mort brutale ».

*

Au-delà des polémiques par lesquelles le Parti tente de balayer aux yeux de son opinion une responsabilité qui lui incombe pourtant au premier chef, la vérité est qu’au milieu d’un freinage préoccupant de la croissance pouvant avoir un effet sur l’emploi, la conjonction des tumultes à Hong Kong expressions d’une défiance face à la raideur politique du système chinois et de ce nouvel épisode impliquant des laissés pour compte du miracle, le rêve chinois pourrait ne plus briller du même éclat.

S’étant lui-même imprudemment placé depuis 2012 au cœur de toutes les initiatives de l’appareil, Xi Jinping, bouc émissaire auto-désigné, pourrait devenir plus ouvertement que ces dernières années, la cible de ses détracteurs.

Le 25 octobre, une note de Reuters citait le commentaire d’un proche de la Direction politique, resté anonyme qui laissait entendre que le 4e plenum dont la tenue est en cours examinerait la manière d’améliorer la « gouvernance ». C’est bien de cela qu’il s’agit.

Mise à jour le 29 octobre.

Après avoir titré le 23 octobre avec la BBC que toutes les victimes du drame étaient des Chinois, le 26 octobre, le South China Morning Post publiait un article indiquant que la majorité des 39 victimes du drame pourraient être des Vietnamiens munis de faux passeports chinois.

Tous seraient originaires des régions pauvres de Ha Tinh et Nghe An à 300 km de Hanoi dont le père catholique Anthony Dang Huu Nam dit qu’elles sont plongées dans la douleur à la suite de la disparition des leurs.

Le Premier ministre Nguyen Xuan Phuc a ordonné une enquête.

A Pékin les autorités disent ne pas pouvoir encore confirmer l’origine des victimes. Le 28 octobre, à Londres, même prudence. A 23h00, Pitri Patel Secrétaire d’État à l’intérieur disait que l’enquête serait longue et que l’identité des victimes n’était pas connue.

En Chine et ailleurs, les réseaux sociaux unanimes condamnent le parti-pris anti-chinois des journaux occidentaux - BBC, CNN, Deutsche Welle, Le Monde, Le Figaro, prompts à critiquer la Chine.

Le conducteur du camion immatriculé en Bulgarie et trois autres personnes ont été arrêtées pour trafic d’êtres humains et homicide, dont un suspect originaire d’Irlande du nord.

Note(s) :

[1Biélorussie, Buthan, Myanmar, Burundi, République Démocratique du Congo, Cuba, Guinée Équatoriale, Érythrée, Gambie, Iran, Corée du nord, Mauritanie, Papouasie-Nouvelle Guinée, Russie, Arabie Saoudite, Sud Soudan, Syrie, Turkménistan, Venezuela.


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