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L’image, tirée du magazine 财全球 Yicai Global (Fortune globale) illustre un article de Liao Shumin datant de mars 2022 qui stigmatisait le retard de la Chine dans le domaine de la mise en réseau des ressources spatiales de télécommunications rapides. Au même moment, un article publié dans une revue de l’APL suggérait de détruire « Starlink » si le réseau menaçait la sécurité nationale.
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En gardant toujours en mémoire la féroce rivalité stratégique entre Pékin et Washington, il faut revenir sur l’inflexible détermination de la Chine à laisser dans l’histoire la trace d’une très grande puissance spatiale.
Elle se tient à cet objectif quels que soient les aléas dont le dernier en date est survenu lors du lancement le 6 août des premiers satellites du réseau télécoms concurrent de « Starlink » objet de cette note.
Les ambitions de l’Agence chinoise couvrent la conquête de la lune, la poursuite de la mise en œuvre de la station spatiale indépendante, l’exploration lointaine du système solaire, le positionnement spatial et l’efficacité planétaire de ses télécommunications.
En 2021, au milieu d’une suite d’événements pernicieux [1] qui mirent à mal la réputation du pays, l’appareil annonçait sans faiblir son vaste plan de télécoms spatial baptisé « Qianfan 千帆 – mille voiles ».
Imitant le modèle de « Starlink » - et mis en œuvre par la Shanghai Spacecom Satellite Technology (SSST) - 上海航天通信卫星技术有限公司 - dotée de 930 Mds de $ mis sur la table par une série d’acteurs publics contrôlés par la municipalité de Shanghai [2], le projet a pour objet de mettre en orbite basse une constellation de satellites 星链- Xing Lian – proposant un service internet performant à haut débit.
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Le 6 août, une fusée Longue Marche 长征6 – Deux étages, capacité d’emport 4 tonnes - a, depuis le pas de tir de Taiyuan dans le Shaanxi, mis en orbite 18 satellites, première étape du projet Qianfan visant à terme à mettre en place en orbite basse un réseau de 14 000 satellites à haut débit. Bien qu’ayant réussi les mises en orbite, l’opération a été marquée par une défaillance du lanceur.
Complètement passé sous silence par les médias chinois, mais signalé par les américains du « United States Space Command (USSC) », aussitôt après la mise en orbite, le dernier étage de la fusée s’est désintégré, dispersant dans l’espace des centaines de débris dont la taille ne dépassait pas 10 cm. Il ne s’agissait pas du premier accroc.
Selon la NASA, en novembre 2022, le dernier étage d’une fusée Longue Marche 6 A avait déjà éclaté après une mise en orbite réussie, dispersant dans l’espace un nombre important de fragments potentiellement dangereux pour les satellites en orbite.
La répétition de l’incident signale une faille de sécurité, alors même qu’en juillet, le constructeur la Shanghai Academy of Spaceflight Technology – filiale de la China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC) – avait annoncé avoir éliminé les risques en évacuant du dernier étage le propulseur et les batteries aussitôt après la mise en orbite.
En dépit de cet embarras mal corrigé, la première étape du projet Qianfan prévoit de lancer 108 satellites d’ici la fin de cette année et d’achever la mise en place d’un réseau de 648 satellites en 2025. Selon les déclarations officielles, l’objectif de 14 000 satellites sera atteint en 2030, « offrant aux utilisateurs du monde entier une connexion téléphonique directe ainsi que des services Internet à haut débit. »
La compétition avec Starlink est serrée. Son maitre d’œuvre SpaceX qui a déjà mis en orbite plus de 6 000 satellites, prévoit lui aussi d’atteindre son objectif de 12 000 satellites en 2030.
Quoi qu’il en soit, même si tous les experts de l’espace ont conscience des obstacles encore sur la route des progrès chinois, aucun d’entre eux ne doute que Pékin poursuivra sans faiblir ses projets érigés au rang de priorité nationale par l’appareil qui coordonne efficacement leur financement public et la convergence des expertises scientifiques.
Autant dire que la perspective que la Chine devenue avec la Russie un « hostile systémique », maîtrise au même niveau que Starlink [3] les capacités de gestion d’un champ de bataille comme celui de l’Ukraine, orchestrant les connexions multiformes et instantanées entre tous les acteurs opérationnels, facilitant la mise en œuvre des drones et la coordination des feux d’artillerie, a alerté le Pentagone et tous ses alliés.
Les ramifications géopolitiques de cette course technologique sautent aux yeux.
Pour Pékin, le développement de son réseau satellitaire n’est pas seulement une question d’accès à Internet. Étroitement lié à la fierté nationale, il est une étape essentielle de ses progrès technologiques et de sa stratégie militaire.
Alors que la dépendance mondiale aux communications par satellite augmente et que, dépassant largement les concurrences commerciales des mises en orbite, les principales forces militaires de la planète se dotent de ces nouvelles capacités de gestion des champs de bataille, la Chine n’est pas en reste. Les stratèges américains y voient un « risque de rupture stratégique ». Il s’agit au moins d’un rééquilibrage.
Note(s) :
[1] Cette année 2021, le monde était en pleine polémique planétaire autour de la stratégie chinoise des vaccins (lire : L’instrumentalisation nationaliste de la course aux vaccins), juste après la séquence délétère de 2019-2020, où, sur fond de soupçons d’une fuite virale du laboratoire de haute sécurité P4, à Wuhan, l’appareil avait jusqu’à la fin janvier 2020, dissimulé à l’OMS l’émergence du virus de la Covid-19 (lire : Affaibli à l’intérieur, le parti redore son blason dans le monde).
A la fin 2022, il déclencha une sortie de crise chaotique, mise en perspective en janvier 2023 par Jean-Paul Yacine : De la toute puissance à la crise politique. L’itinéraire de l’affaiblissement de Xi Jinping.
[2] La Shanghai Alliance Investment, principal actionnaire de SSST est contrôlée par le régulateur des actifs de l’État de la municipalité de Shanghai.
[3] Les capacités militaires de Starlink ont déjà inquiété le Kremlin et les stratèges chinois qui cherchent à la fois à le détruire et à l’imiter. Au printemps 2022, dans une revue de l’APL, des chercheurs militaires chinois publièrent un article prônant la destruction de Starlink si le réseau menaçait la sécurité nationale.
Au même moment, le chef de l’agence spatiale russe Dmitri Rogozine mettait en garde Elon Musk que Starlink pouvait devenir une « cible militaire légitime. »