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Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe

La dernière visite en Europe du Président Xi Jinping achevée le 26 mars à Paris par le séminaire Chine – France – Europe sous l’égide d’Emmanuel Macron est à marquer d’une pierre blanche.

Au-delà de l’évidente satisfaction exprimée par le Président français d’avoir présidé un exercice Chine – Europe au parfum fédéraliste, délivrant aux journalistes lors de la conférence de presse finale une synthèse large et brillante des relations possibles entre Pékin et l’UE, vastes, franches, complémentaires et fructueuses pour le nouveau « multilatéralisme global », deux incidences contraires émergent de la somme des événements depuis que le président chinois accompagné par un groupe de 200 hommes d’affaires a foulé le sol de l’Italie, le 22 mars dernier.

Première étape de son court périple européen l’ayant, avant Paris, aussi conduit à Monaco, destination du tourisme de luxe pour les grandes fortunes chinoises - Le 26 mars la presse officielle de Pékin titrait sur « le succès de la langue chinoise à Monaco », indispensable aux hôteliers pour l’accueil des touristes -, le passage de Xi Jinping à Rome fut une dissonance européenne au moment où Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jean-Claude Junker, faisaient cause commune pour tenter de rééquilibrer la relation Chine – Europe, dans le sens de moins de « naïveté » selon les termes mêmes du Président français.

En arrière-plan, rarement mentionnée dans les discours sauf par Angela Merkel, flottait le spectre de la guerre commerciale sino-américaine.

*

Pour la première fois de l’histoire récente de la relation entre Pékin et Bruxelles, une réunion se déroulait sous les auspices crispés et vigilants de la Commission ayant qualifié la Chine « de rival systémique », signifiant que les stratégies extérieures de Pékin avaient, au-delà des contentieux commerciaux, le potentiel de bousculer le paradigme socio-politique fondant l’épine dorsale de la marche des sociétés démocratiques de la planète.

En même temps, l’étape italienne a, aux yeux de la Chine qui en tire opportunément profit pour déconcerter ses détracteurs et en premier lieu Washington et la Commission, révélé les profondes dissensions intra-européennes dans la manière de coopérer au projet global chinois des « nouvelles routes de la soie ».

Alors que depuis 2013, Xi Jinping les présentent invariablement comme une opportunité de coopération globale « gagnant-gagnant – 双赢 – shuang ying - » offerte par la Chine au monde, certains y voient le « cheval de Troie » d’une stratégie chinoise de prévalence globale, donnant le ton d’une nouvelle gouvernance de la planète, se substituant au modèle occidental.

Sept siècles après Marco Polo, l’un des seuls européens à avoir avec son père parcouru intégralement dans les deux sens les antiques « routes de la soie », c’est sous l’impulsion du vice-premier ministre Luigi Di Maio du mouvement « Cinq étoiles » partisan de la démocratie directe et opposé à l’austérité prônée par Bruxelles, classé par les commentateurs parmi les « populistes », que Rome explore aujourd’hui sous les critiques de D. Trump, la vigilance de Bruxelles et l’opposition interne de Mateo Salvini, absent des cérémonies, le chemin d’une participation de l’Italie aux « nouvelles routes de la soie ».

Avec l’objectif premier de soulager l’économie plombée par la dette, le chômage et la fracture nord-sud, Di Maio espère tirer profit des investissements chinois et des prêts de la Banque Asiatique pour les infrastructures (lire : La Chine rehausse son rôle dans les finances mondiales.)

Les premières initiatives concrètes du passage de Xi Jinping auront été, après une lettre d’intention sur la participation de l’Italie aux « Nouvelles routes », la signature (source AFP) de 29 accords sectoriels allant du fisc à la santé en passant par l’innovation, l’agroalimentaire et surtout, la remise à niveau des infrastructures, devenue la priorité des priorités politiques après le scandale de l’effondrement du viaduc de Morandi, le 14 août 2018, ayant tué 43 usagers.

Mais les projets considérés les plus sensibles par Bruxelles parce qu’ils s’inscrivent dans l’intention globale chinoise de maîtriser les flux commerciaux de la planète par le contrôle d’un vaste réseau d’installations portuaires [1] sont sans doute ceux concernant la gestion par une société chinoise des ports de Gènes et de Trieste.

Ouvrant pour le premier sur la riche Lombardie et le marché Allemand et, pour le deuxième sur l’Europe centrale et orientale, ces deux nouvelles emprises, seront grâce aux financement chinois dotés de terminaux neufs ou rénovés pour les cargos. Ils sont en cours de construction à Gènes grâce à 49% de capitaux chinois et en projet à Trieste.

*

L’étape française de Xi Jinping fut l’occasion pour le président chinois de constater les efforts européens pour se mettre en ordre de bataille face à ce qui est perçu à Bruxelles, Paris et Berlin comme une manœuvre chinoise visant à diviser l’Union. C’est en tous cas ainsi que plusieurs chercheurs dont François Godement décrivent, arguments à l’appui, les actions de Pékin et de ses groupes industriels en Europe depuis 2008.

Lire à ce sujet les deux articles de QC relatant la progressive prise de conscience européenne :
- Chine Europe. Le vent tourne. et
- Les vents contraires de la relation Chine – Europe.

Alors que Pékin privilégie toujours les relations d’État à État où prévaut la puissance de son économie, face à des partenaires moins riches, souvent en difficultés économiques, Xi Jinping a cette fois été contraint par le président français de se prêter au jeu d’une réunion à trois avec Angela Merkel et Jean-Claude Junker. L’épisode pourrait cependant n’avoir eu qu’une portée symbolique, en tous cas ambiguë.

S’il est vrai que Jean-Claude Junker a au cours de la conférence de presse à quatre, le 26 mars, rappelé qu’en matière d’accords commerciaux Bruxelles avait le dernier mot, le président chinois venant d’Italie et ayant en tête la coopération hors Bruxelles de son pays avec 16 pays d’Europe Centrale et Orientale dite « 16 + 1 », n’aura pas manqué de constater, malgré l’affichage d’unité et de fermeté, un flottement dans la cohésion de l’Europe.

Note(s) :

[1Selon John Lee expert américain d’origine chinoise des relations avec l’Asie, chercheur au Hudson Institute et professeur associé à l’université de Sydney, « on estime que les investisseurs chinois soutenus par l’État détiennent au moins 10% de la totalité des actions des ports européens, dans le cadre d’accords signés avec la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la France, les Pays-Bas et la Belgique.

Notons une participation publique de l’État chinois de 35% dans le terminal Euromax de Rotterdam et de 20% dans le port d’Anvers (les deux ports les plus actifs d’Europe) qui s’ajoutent à un réseau d’investissements croissant dans au moins 40 ports d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Europe orientale, d’Asie centrale, d’Asie du Sud et du Sud-Est, d’Australie et du Pacifique. »

Lee ajoute que, si on se réfère à l’expérience du port de Pirée, le succès est au rendez-vous : « Lorsque la société chinoise COSCO Shipping Corporation a pris le contrôle du port grecque du Pirée en 2008, moins de 900 000 conteneurs transitaient par ses installations. En 2016, le chiffre atteignait 3,7 millions de conteneurs. Dans l’intervalle, Le Pirée a grimpé au classement mondial des ports à conteneurs, passant de la 93e place en 2010 à la 44e en 2015 et à la 38e en 2017 (7e rang européen). »


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