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›› Editorial

Guerre de tranchées boursière avec Washington. Alibaba et Tencent résistent sur fond d’une irrépressible discorde culturelle

Alors qu’à la veille de l’investiture du Président Biden, les tensions entre Washington et Pékin ne faiblissent pas, encore attisées par les projets américains d’augmenter les relations officielles avec Taïwan [1], se développe sur les places boursières américaines et asiatiques un bras de fer entraînant une riposte de Pékin dont les enjeux sont les intérêts chinois listés sur les marchés financiers américains.

Suivant un ordre de la Maison Blanche de novembre 2020, une dizaine d’agences financières, ont, après une hésitation, mis fin le 6 janvier aux cotations de China Telecom, China Mobile et China Unicom Hong Kong sanctionnés au milieu d’une trentaine de titres chinois dont la valeur n’est plus cotée, occasionnant pour les trois géants des télécoms, une perte totale de 5,6 milliards de $.

Sur les marchés, l’incertitude s’est encore épaissie quand l’administration a laissé flotter l’idée - finalement abandonnée - commentée par le WSJ du 7 janvier, qu’elle interdirait les investissements américains dans les géants chinois du commerce en ligne Alibaba et Tencent dont les titres cotés à Hong Kong chutèrent aussitôt de 3,9% pour le premier et de 4,7% pour le second.

On mesure l’impact sur la stabilité des relations bilatérales et la sérénité des investisseurs si on se souvient que la capitalisation boursière de Tencent et Alibaba sur les marchés américains a atteint le chiffre astronomique de 1300 Mds de $, détenus en partie par une longue liste de fonds mutuels d’investissements américains dont la première préoccupation n’est pas la santé des relations stratégiques, mais la stricte rentabilité financière.

Incertitudes.

Le brouillard hypothéquant l’avenir s’était déjà densifié avec la signature par le Président Trump d’un ordre – mais qui ne prendra effet que six semaines après l’investiture de Joe Biden - interdisant toute relation d’affaires des compagnies et des citoyens américains avec huit sociétés chinoises de logiciels dont les filiales de paiement en ligne d’Alibaba et de Tencent Alipay et WeChat Pay.

Depuis les années 2000, les géants chinois des nouvelles technologies ont levé des milliards de $ aux États-Unis injectés par des investisseurs que la croissance rapide de l’économie chinoise fascinait. Aujourd’hui, alors que les marchés boursiers, en plein flottement, s’interrogent sur une volte-face possible ou non de l’administration Biden à propos des sanctions boursières, les entreprises chinoises prennent conscience de leur vulnérabilité financière sur les marchés, dont les cotations restent dominées par les sociétés américaines Dow Jones, S&P et Nasdaq (60% des cotations mondiales concernant 600 titres).

Logiquement, le pouvoir chinois, mesurant les risques qu’autant de groupes publics soient listés aux États-Unis (ils étaient 230 à la mi-janvier), les incite à se désengager du système boursier américain. L’inquiétude s’est aggravée depuis que le 18 décembre dernier, D. Trump avait signé le « Holding Foreign Companies Accountable Act ».

Voté par le Congrès, le décret, sur lequel il est peu probable que l’administration Biden revienne, vise à exclure des places boursières américaines les sociétés restées trois années à la suite en infraction avec les standards de transparence des régulateurs américains. Dans le même temps, alors que les tensions stratégiques ne faiblissent pas, les élans d’investissement de Wall Street vers la Chine se sont refroidis, tandis que, ajoutant lui-même à défiance, le ministère chinois du commerce vient de riposter aux sanctions américaines.

Le 9 janvier, il publiait une série de décrets dont l’essentiel consistait à la fois à promettre un appui de l’État aux compagnies chinoises injustement discriminées et à menacer de sanctions légales ceux qui, se pliant aux pressions extra-territoriales américaines violant le droit international, engageraient la sécurité et la pérennité du développement du pays.

Sanctions boursières, rivalités stratégiques et blâme humanitaire.

A la mi-janvier, les ministères du commerce et de la défense américains ajoutèrent à la liste des titres proscrits, l’avionneur COMAC, le n°1 chinois des semi-conducteurs SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation,) le géant du pétrole offshore CNOOC, le fabricant de moteurs aéronautiques, Beijing Skyrizon Aviation et Xiaomi, géant privé des portables, n°3 mondial du secteur dont l’empreinte commerciale globale à, suite aux ennuis de Huawei, dépassé celle d’Apple.

Tous sont accusés par le Pentagone et le département du commerce de collusion avec le complexe militaro-industriel chinois dont l’emprise participe, disent les communiqués officiels américains, à l’impérialisme territorial de Pékin en mer de Chine du sud et aux harcèlements des Ouïghour musulmans au Xinjiang.

Dans ce domaine, rien ne va plus. Si des doutes existent encore sur la persistance des listes noires boursières sous l’administration Biden, la férocité dénonçant les violations des droits des minorités justifiant une série de sanctions contre les groupes commerciaux et de hautes technologies chinois, ne faiblira pas.

Le 14 janvier, un rapport de la Commission bi-partisane du Congrès sur les relations avec la Chine faisait valoir des « nouvelles preuves » que la Chine pourrait avoir commis « un génocide » contre les Ouïghour du Xinjiang. L’accusation rejoignait celle du chercheur allemand Adrian Zenz.

Cité par le rapport du Congrès, Zenz, 47 ans, anthropologue, docteur de l’Université de Cambridge, installé aux États-Unis depuis 2019, spécialiste des minorités tibétaines et ouïghour, estime que 5 à 10% des Ouïghour urbains et 20% de ceux résidant dans l’arrière-pays, avaient été internés dans des camps au Xinjiang. Selon lui, la politique chinoise visant à réduire la fertilité des femmes Ouïghour répond à la définition de la Convention des Nations Unies sur le génocide.

Le 9 janvier, l’ambassade de Chine prêtait le flanc à l’accusation en postant un tweet affirmant qu’une étude – qu’elle ne nommait pas [2] – montrait que l’éradication de l’extrémisme religieux faisaient que les femmes ouïghour, émancipées, plus confiantes et plus indépendantes, n’étaient plus des « machines à faire des bébés ».

Note(s) :

[1C’est une décision de la 11e heure de l’administration Trump. Taipei s’en félicite. La manière dont l’administration Biden mettra en œuvre cette rupture du schéma des relations entre Washington et Taipei, conditionnera la situation stratégique dans le Détroit et la relation sino-américaine.

Le 9 janvier, le site du Département d’État publiait une déclaration signée Mike Pompeo levant toutes les restrictions « auto-imposées » limitant les contacts avec Taïwan.

La déclaration qui précisait que l’Île étant une « démocratie vibrante et un allié fidèle de Washington », les procédures complexes régulant les relations des diplomates et des fonctionnaires américains avec l’Île, « prises pour satisfaire le régime communiste de Pékin », étaient nulles et non avenues.

[2L’étude a été effectuée par le Xinjiang Development Research Center en 2018. Le 11 septembre 2020, ce dernier publiait un article dans le China Daily dénonçant « les mensonges du chercheur allemand. ». Fustigeant le manque de méthode académique et le parti-pris, l’article rappelait que les populations ouïghour, bénéficiant d’une assistance sociale de qualité, « faisaient des choix volontaires conformes à la loi pour adopter des mesures contraceptives sûres et efficaces. »


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