›› Chronique
Cette année, la France et la Chine célèbrent le 50e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques, le 27 janvier 1964. Bien que l’heure soit aux festivités et aux congratulations, il est utile de remettre l’événement en perspective en le replaçant dans le contexte de l’époque.
On ne niera pas que l’initiative de Charles De Gaulle, retrouvant là sa nature rebelle et audacieuse, procédait d’une capacité de perspective qui prit à contrepied la majeure partie des Occidentaux et en premier lieu les États-Unis. Aujourd’hui, après bien des soubresauts, la trajectoire de la Chine devenue la 2e puissance économique mondiale et un acteur stratégique de premier plan, membre permanent du Conseil de sécurité, conforte ce jugement prémonitoire.
Pour autant, la reconnaissance de la Chine qui prenait soin de prendre ses distances avec le régime communiste dont le Président français n’ignorait pas les capacités de dérapage, s’inscrivait aussi dans l’obsession gaullienne de secouer la tutelle américaine. Deux événements survenus peu après attestent cette priorité gaullienne : le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN et le discours de Phnom-Penh, respectivement le 7 mars et le 1er septembre 1966.
Mais la vaste profession de foi du Général De Gaulle délivrée dans le stade olympique de la capitale cambodgienne devant près de 100 000 spectateurs et critiquant l’intervention militaire américaine au Vietnam ne réussit pas à mettre fin au conflit indochinois. Au contraire, attisé par Pékin et l’obstination anti communiste de Washington, il se durcit, tandis que Sihanouk, le Roi du Cambodge, peut-être encouragé par la vision gaullienne, tourna le dos à l’Amérique et se rapprocha de la Chine, ce qui ne fut pas sans conséquences pour le Royaume khmer.
En 1964, le monde était en pleine guerre froide arcbouté dans un face à face menaçant entre les États-Unis et l’URSS, représentant, selon l’imagerie occidentale, l’un le monde libre, l’autre l’idéologie communiste, dont l’ombre portée s’allongeait en Asie par le truchement des aides chinoises aux mouvements communistes. Cette lutte qui, dans la périphérie directe de la Chine, prit des allures brutales et dévastatrices, notamment dans la péninsule coréenne et en Indochine, constituait l’arrière plan stratégique de la décision française.
En général, celle-ci fut louée par le Tiers Monde et les pays de l’Est, considérée avec méfiance par l’URSS, l’Inde et plusieurs pays d’Asie du Sud-est qui craignaient qu’elle ne renforce chez eux les menées communistes. En Europe, elle fut plutôt critiquée dans sa forme parce que prise sans consultation préalable, les Allemands voyant même dans le cavalier seul français un coup porté au traité de l’Élysée. Quant aux États-Unis qui en furent les plus acerbes détracteurs, ils considéraient que la reconnaissance de la Chine par la France affaiblissait le camp occidental.
De fait, la guerre froide à l’œuvre en Europe et en Asie explique que l’audacieuse décision française ait, à l’époque, provoqué quelques remous dans la relation entre Paris et Washington. C’est aussi la raison pour laquelle l’ancien chef de la France libre avait, dans ses commentaires autour de la reconnaissance, jugé utile de préciser qu’il nouait des relations avec un pays qui, « avant d’être communiste, était la Chine » (Conférence de presse du 31 janvier 1964).
50 ans plus tard, que reste t-il de ces doutes et querelles ? Cette note propose quelques éléments de réponse en revenant d’abord sur la somme des malentendus, erreurs et distorsions de l’Histoire qui entourèrent cette période. Beaucoup tenaient non seulement à la mauvaise perception de la situation intérieure de la Chine, brouillée par des préjugées idéologiques, mais également aux illusions que nombre d’acteurs se faisaient sur ses intentions.