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›› Politique intérieure

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

Le 10 février dernier sur Asialyst, Alex Payette, explorant les commentaires les plus fréquents des experts, analysait les raisons pour lesquelles le Parti n’avait pas convoqué à l’automne 2023, le « 3e plenum » du Comité Central.

Alors que certains attribuent l’éclipse à la difficile préparation de la réunion annuelle de l’ANP en mars, d’autres spéculent que l’annulation traduit des difficultés internes à l’appareil.

Mais au total, par un retour en arrière sur l’histoire des plénums, Payette rappelle que leur régularité théorique (sept sur les cinq années d’un Congrès) [1] n’a pas toujours été garantie, notamment durant la période Maoïste (1949-1976). Mais pas seulement.

En effet, même si après la mort de Mao, leur tenue s’est « normalisée », accompagnant les efforts de Hu Jintao (2002-2012) pour réduire l’influence extérieure des « factions et des anciens », l’escamotage d’un plénum n’est pas une première. En 2018, par exemple le 3e plénum n’avait pas eu lieu. L’impasse traduisait une tension.

Une année après le 19e Congrès, le parti faisait en effet face à l’aggravation des joutes commerciales avec Washington et à une croissance en baisse dont le chiffre réel (seulement +1,6%) révélé par Xiang Songzuo, professeur d’économie à l’Université du Peuple, avait été passé sous silence.

La crispation au sommet se lisait dans le ton du discours de Xi Jinping à l’occasion du 40e anniversaire des réformes.

À plusieurs reprises, fustigeant ceux qui, de l’extérieur, entendaient donner des leçons au peuple chinois - « 没有 可以 对中国人民 颐指气使 的 教师爷 – personne n’est qualifié pour, d’autorité, faire la leçon au peuple chinois », il avait martelé que, pour tenir le rythme de la croissance chinoise, il n’y avait pas d’alternative au Parti Communiste.

Le point essentiel du raidissement renvoyait déjà à la contradiction centrale de l’appareil, rappelée par Xiang Songzuo 向松祚, 59 ans cette année, professeur à l’Institut d’économie de l’Université du Peuple « Sans un sérieux approfondissement des réformes de structures, l’économie chinoise sera pour longtemps confrontée à de très douloureuses difficultés. ».

Retard des réformes structurelles et abus des « rectifications ». L’ombre portée de Mao.

Six ans plus tard, alors que les tensions avec Washington sont enkystées et dilatées vers l’Europe, l’appareil qui continue de refuser l’obstacle d’une refonte structurelle du paradigme de la croissance, est confronté au même dilemme, aggravé par la déshérence du secteur immobilier et l’effritement de la confiance interne. Lire : Xi Jinping fait face aux critiques des anciens.

Après avoir rappelé que certains observateurs experts de la Chine croyaient à tort que la politique intérieure chinoise progresserait vers un normalisation des procédures institutionnelles, Payette note que dans la longue perspective, leur transgressions sont le signe de tensions internes « plus les dirigeants ou le numéro un du Parti se sentent sous la contrainte, plus les comportements observables de l’appareil dans son ensemble auront tendance à devenir erratiques et imprévisibles. »

Dès lors s’installe un conflit entre la règle et ses transgressions ou « rectifications. »

La réalité est que, dans la pensée maoïste, « la normalisation » institutionnelle, non seulement entre en collision avec l’exigence de réactivité idéologique et politique, mais, en sous-main et de surcroît, elle produit dans les infrastructures de l’appareil, une routine bureaucratique dangereuse que Mao, adepte de la « révolution permanente », dénonçait déjà quand il critiquait l’URSS.

En 1964, deux années avant le lancement de la révolution culturelle qui fut une expérience révolutionnaire extrême, le Quotidien du Peuple publiait la 9e des « Neuf critiques du Parti communiste de l’Union soviétique » par Mao.

Sa première phrase qui ciblait directement la bureaucratie eut un important écho en Chine où, historiquement, l’administration inspire une grande défiance populaire. « La classe privilégiée de l’Union Soviétique contrôle le Parti et l’administration, ainsi que d’autres départements importants. Elle transforme l’autorité destinée à servir le peuple, en autorité qui l’opprime ; elle se sert de son pouvoir de répartition des biens de production et de consommation pour les intérêts particuliers du petit groupe qu’elle forme ».

Si on se souvient que Xi Jinping a régulièrement donné des gages de sa fidélité à la geste maoïste, notamment en se rendant en pèlerinage à Yan’an en octobre 2022, après avoir, en 2017, transgressé la règle de la limitation à deux mandats présidentiels, rupture constitutionnelle approuvée par l’ANP en mars 2018, on ne sera pas étonné de l’augmentation du rythme des « rectifications ».

Les limogeages entourés de mystère et de disparitions sans explications de deux ministres régaliens (défense & affaires étrangères) et de plusieurs têtes de la haute hiérarchie de la composante missiles de l’APL, entrent dans cette catégorie politique. Transgressant les procédures normées, elles échappent au bureaucratisme 官僚主义 Guanliao Zhuyi honni par Mao à l’origine, disait-il, des dérives malsaines 歪风邪, waifeng xieqi des cadres de l’appareil.

Idéal de « pureté organisationnelle » et risque de crise politique.

Payette rappelle que « depuis 2012 et surtout depuis 2018, Xi Jinping a souvent contourné les règles institutionnelles » établies par ses prédécesseurs depuis Deng Xiaoping à Hu Jintao. Avec pour but de « sauver le parti et de le ramener à sa mission originelle au service du Peuple 为人民服务 », il s’est appliqué à corriger « l’arrogance, la déconnexion et l’incompétence politique des cadres, leur peur des responsabilités, leur paresse et leur égoïsme. »

Dans cette logique d’assainissement interne, selon Xi Jinping, la norme devient la transgression des procédures établies par ses prédécesseurs d’après 1978, tandis que, de proche en proche, l’appareil revient aux brutalités maoïstes des années 1950-1960.

Mais, souligne Payette, il y a un inconvénient : « Se détourner des procédures et des règles provoque la résistance de l’administration, tandis que repousser un plénum ou remplacer des Conseillers d’État n’est pas sans conséquence pour celui qui décide. » Le mépris des procédures n’est pas non plus sans effet pour le système dont l’équilibre se dégrade, en même temps que faiblit la confiance, « tandis que les sanctions ne parviennent plus à motiver les cadres. »

Aujourd’hui, l’usage de plus en plus fréquent des « rectifications » parties de la stratégie de « purification organisationnelle de Xi Jinping » depuis qu’il est au pouvoir, bouscule les normes du fonctionnement institutionnel, étouffe les influences modératrices toutes expurgées du Bureau Politique et, selon Payette, « sème les germes d’une crise profonde de l’appareil. »

Note(s) :

[1La jurisprudence est que le 1er plenum a lieu l’année du Congrès et le 2e en février de l’année suivante avant la réunion de l’ANP. Les deux entérinent les nominations au Bureau Politique et au gouvernement. Ces dernières sont officiellement approuvées par l’ANP, au mois de mars suivant.

Le 3e Plenum (manquant) a normalement lieu à l’automne de l’année suivant le Congrès (dans le cas du 20e Congrès - 2022-, selon la jurisprudence, il aurait dû avoir lieu en octobre 2023). Couvrant les questions économiques, il est souvent l’occasion de rendre publics des choix majeurs de réformes économiques et socio-économiques.

Alors que les 4e et 6e plénums dont les dates ne sont pas aussi régulièrement arrêtées, traitent de l’idéologie ou du renforcement des structures de l’appareil (党建 – Dang Jian -), le 5e finalise la préparation du plan quinquennal suivant. Le 7e enfin, dernier de la mandature du Comité Central, prépare le Congrès suivant.


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