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›› Editorial

La difficile « troisième voie » française en Chine et le dangereux brouillage de l’unité européenne

Une approche française positive dont les critiques étaient adoucies.

L’accueil somptueux réservé à Emmanuel Macron par Xi Jinping qui l’a accompagné jusqu’à Canton, traduit à quel point l’exécutif chinois espère que l’appétence française pour un rétablissement de la relation bilatérale semblant ignorer le durcissement anti-occidental de la Chine depuis 2013, pourrait constituer une opportunité stratégique pour Pékin de réparer ses relations avec l’UE.

Comme si Paris pouvait être le relais efficace de la relance d’une relation avec l’UE abimée par trois années de tensions ponctuées en mai 2021 par la mise en sommeil de la ratification par le parlement de l’accord sur les investissements signé à la fin 2020. Lire : La relation Chine – Europe à la croisée des chemins.

Le défi est de taille.

Portée par le Président Macron, la stratégie qui tente d’échapper à la logique des blocs est compliquée par la carte sauvage du durcissement implacable de Pékin dans le Détroit de Taïwan.

Comment en effet Paris qui se targue d’être une puissance du Pacifique, pourrait-il rester neutre face au risque de conflagration majeure que la Chine autocrate agite pour imposer par la force une réunification non désirée, aux 24 millions de Taïwanais gouvernés par un système démocratique.

La neutralité théorique française promue par le président français qui dit ne vouloir traiter avec Pékin que de questions qu’il serait en mesure de maîtriser, est d’autant plus difficile à tenir en Europe que, le 22 mars dernier, la ministre allemande de l’éducation Bettina Stark – en 26 ans c’est une première pour un membre du gouvernement fédéral – s’est rendue à Taïwan pour apporter son soutien à l’Île.

La visite faisait suite à celle de cinq sénateurs français en septembre 2022, peu après la crise provoquée par la visite de Nancy Pelosi en août 2022. Elle confirmait un élan européen déjà manifesté en faveur de Taïwan par le Président du Sénat Tchèque Milos Vystrcil venu à Taipei en septembre 2020 à la tête d’une délégation de 89 membres. Lire : Le sénat tchèque à Taïwan. Pékin perd son calme. Le fossé se creuse entre l’Île et les Chinois.

En Europe, les sentiments antichinois ont été attisés par la brutalité de la réaction de Pékin qui, en novembre 2021, a réduit son niveau de représentation diplomatique avec la Lituanie en représailles de l’ouverture d’un Bureau de représentation de Taïwan à Vilnius.

Les Tchèques ont récidivé. Le 25 mars 2023, la présidente de la chambre des députés Marketa Pekarova Adamova est venue à Taipei à la tête d’une délégation monstre de 160 membres que Joseph Wu le MAE taïwanais, ravi de l’opportunité de défier Pékin, a invités à un banquet.

En fort contraste avec ces défis européens lancés a Pékin, dans un long communiqué commun de 51 points balayant la coopération bilatérale, les Présidents français et chinois n’ont évoqué ni les démonstrations de force de l’APL dans le Détroit de Taïwan, ni la guerre en Ukraine, seulement mentionnée de manière générale qui reprenait quelques-uns de douze points de principe des propositions de Pékin pour le règlement de la crise, sans cependant désigner l’agresseur russe.

La démarche d’ouverture française n’a pas convaincu les experts de la Chine.

Dans un commentaire public Ursula Gauthier du Nouvel Observateur, expulsée de Chine en 2015 pour avoir publié sur le site internet du journal un article critiquant le traitement des Ouïghours au Xinjiang (lire notre article : Expulsion de la journaliste Ursula Gauthier) regrettait que les pays européens – Espagne, Allemagne, France défilent en ordre dispersé à Pékin comme des « pays tributaires » faisant allégeance à l’Empire, alors même que Vladimir Poutine et Xi Jinping dont le durcissement autocrate a été conforté par le 20e Congrès, viennent d’exprimer à Moscou une claire connivence anti-occidentale.

Le 7 avril Marc Julienne, chercheur sinologue du Centre Asie de l’IFRI, dressait lui aussi, sur France Info, un bilan négatif de la visite en plusieurs points.

1. Selon lui, il était illusoire d’aller chercher à Pékin une solution à la guerre en Ukraine. Il y a deux raisons à cela. Aucun des deux belligérants ne veut négocier - Vladimir Poutine l’a même fait savoir publiquement - et Xi Jinping qui n’a pas contacté V. Zelinsky – selon Ursula Von der Leyen, il aurait promis de le faire sous peu – n’est pas en situation de jouer les intermédiaires.

2. En refusant de reconnaître la proximité de Xi Jinping avec la Russie et en optant pour l’approche ambiguë dite d’une « troisième voie », Paris qui semble croire qu’il serait possible de négocier avec Xi Jinping pour l’amener à accepter une mission d’entremise se met en porte à faux avec ses alliés. Après la déconvenue des pourparlers avec V. Poutine avant le 22 février 2022, un nouvel échec nuira à l’image de la France.

3. Le discours du 30 mars d’Ursula Von Der Leyen, beaucoup plus agressif que celui du Président Macron a troublé la cohérence de posture face à la Chine entre Paris et l’UE. Du coup sa présence dans la délégation a mis Xi Jinping mal à l’aise.

4. Le refus par le Président français d’évoquer la question des pressions militaires chinoises contre Taïwan, alors que Paris se revendique une puissance moteur en «  IndoPacifique  » est considéré comme une marque de faiblesse par Pékin dont la politique est de plus en plus articulée au rapport de forces.

5. La posture d’indépendance à l’égard des États-Unis est un choix historique légitime de la France. Mais il est incohérent de critiquer les États-Unis tout en refusant de reconnaître que la posture internationale de la Chine s’est dangereusement durcie sur un mode souverainiste inflexible clairement anti-occidental.

*

Enfin, le choix du Président français de se faire accompagner en Chine par la présidente de la Commission européenne, alors même que leurs stratégies n’avaient non seulement pas été accordées, mais qu’au surplus Von der Leyen a prononcé un violent réquisitoire public contre Pékin une semaine avant la visite, a sérieusement brouillé l’image de la cohésion européenne et fait douter de la capacité de Paris à initier une stratégie européenne cohérente de l’approche de la Chine.

Sans surprise, agacé par la charge sans concessions de la Présidente de la Commission contrastant avec la volonté d’apaisement tous azimuts du Chef de l’État français, le Président Xi Jinping lui a ostensiblement réservé un accueil d’un niveau très en-dessous du faste dont a bénéficié le Président Macron.

Pour Noah Barkin, analyste chez Rhodium Group, « Emmanuel Macron a raté une occasion d’utiliser le levier économique collectif de l’Europe pour obtenir davantage des Chinois lors des réunions. Tout espoir que le voyage favorisera le sentiment d’un front uni sur la politique européenne en Chine est désormais vain  ». (…).

En somme, alors même que leurs messages étaient fortement contrastés, le Président français semble avoir pensé qu’il suffisait de se faire accompagner par Ursula Von der Leyen, pour adresser à la Chine un message d’unité de l’UE, pendant que lui-même se consacrait aux intérêts économiques français.


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