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›› Chronique

La justice entre morale et politique. Spéculations sur le retour des luttes de clans

Le 20 janvier 2016, Peter Dahlin activiste suédois des droits de l’homme apparaissait sur CCTV pour faire amende honorable et s’accuser d’avoir violé la loi chinoise et heurté la sensibilité du peuple chinois. La police qui l’accuse de vouloir affaiblir le Parti communiste l’avait incarcéré brièvement début janvier avant de le libérer à la suite de sa contrition publique.

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Il faut revenir sur la récente épidémie de contritions publiques infligées par le pouvoir à ceux qui, sans enfreindre la loi qui reconnaît formellement les libertés publiques et individuelles inscrites dans la constitution chinoise, ne se conforment pas à l’exigence de la prééminence du Parti qui interdit toute remise en cause de sa légitimité.

La tendance qui s’enracine dans le gouvernement moral et vertueux prôné par Confucius, instrumentalisé jusqu’à la caricature par les Maoïstes a, lors de la session annuelle de l’ANP, été vertement critiquée par un magistrat provincial de haut rang qui citait en exemple la référence d’une justice indépendante de la politique et de la morale, cœur théorique des systèmes politiques démocratiques.

Mais, au-delà des débats sur les avantages comparés d’une improbable justice idéale détachée de la morale et des sphères de pouvoir, la vraie question posée par l’incident est politique. Elle renvoie à la signification réelle d’une critique publique adressée indirectement au Secrétaire Général du Parti par un membre influent du sérail judiciaire chinois, dans un contexte où s’accumulent les indices d’une contestation interne.

Un haut magistrat critique les humiliations publiques

Coupables de s’être aventurés dans la zone grise des contradictions chinoises du Droit qui affirme les principes universels de liberté d’expression pourtant constamment violés pour protéger le Parti au nom de la spécificité chinoise, les contrevenants ne sont pas jugés selon les règles d’une justice qui dit le Droit, mais sommés de reconnaître publiquement leurs fautes.

L’exercice est conduit en marge de la justice, selon des critères qui disent, non seulement le bien et le mal, mais également l’intérêt du Parti et de la Nation Chinoise. Cette vision moralisatrice et nationaliste de la justice dessine les limites de ce que le pouvoir lui-même appelle un « État de droit socialiste aux caractéristiques chinoises -中国特色社会主义法治 ». Dans l’appareil légal du régime, cette vision de la justice n’est pas du goût de tout le monde.

En marge de la récente cession de l’ANP, répondant à une interview du Wall Street Journal sur la récente succession des cas de contrition publique et de demandes de pardon sur les chaînes nationales chinoises [1], Zhang Liyong magistrat, président de la haute cour populaire du Henan s’est publiquement élevé contre ces pratiques qui, en première analyse, renvoient à la vieille technique d’autocritique du parti communiste sous Mao, visant non pas à rendre la justice par le Droit et la mise à jour de la vérité, mais à soumettre les déviants par la morale et l’humiliation publique.

La déclaration critique du Président Zhang rappelait les principes d’une justice indépendante dont le Parti lui-même se réclame malgré les intrusions permanentes de l’exécutif dans les procédures : « Hors des tribunaux, personne n’a le droit de décider de la culpabilité d’un prévenu, ni la police, ni les procureurs et encore moins la presse ».

Morale et justice en Chine et en Occident.

Pour autant, le débat que le juge Zhang Liyong ramenait au rappel des canons modernes de la justice opposés aux dérives révolutionnaires, n’est pas clos. En Chine, l’intrusion de la morale politique dans les jugements des tribunaux ou exprimant une justice parallèle a d’autant mieux investi les mœurs du Parti maoïste que la tradition de moralisation sociale par l’incitation aux vertus individuelles et familiales, ferments d’un ordre collectif harmonieux supervisé par le pouvoir impérial, est ancrée dans la philosophie confucéenne.

En Occident, les contritions publiques humiliantes sur fond de morale avec un très lourd arrière plan politique heurtent la conception du Droit, en théorie froid, indépendant et neutre, articulé autour de l’appréciation contradictoire des arguments par des magistrats qui soupèsent les versions et arguments du ministère public et des avocats. Il n’empêche qu’ici, comme là bas, les émotions de la morale ne sont jamais bien loin, véhiculées par l’arrière plan chrétien de la culture et, de plus en plus, par le poids de l’opinion et de la presse dont l’influence sur les sentences des juges ne peut être niée.

Plus encore, contrairement à ce que pensent certains anthropologues comme l’Américaine Ruth Benedict, la valorisation de la « honte » comme régulateur social n’est pas circonscrite aux cultures asiatiques. Déjà les Grecs anciens considéraient, à rebours des affirmations individuelles narcissiques et désinvoltes d’aujourd’hui, que la honte était un sentiment positif agissant comme un inhibiteur porteur de sagesse individuelle et sociale.

Note(s) :

[1Madame Gao Yu, (74 ans) journaliste indépendante, célèbre activiste des droits de l’homme déjà emprisonnée en 1989 et 1994, régulièrement accusée de publier des « secrets d’État », purge actuellement une peine de 7 ans de prison, réduite à 5 ans en appel le 26 novembre dernier. Bouc émissaire du régime, Gao Yu avait du se prêter le 8 mai 2014 à une confession publique arrangée, à mille lieues d’une justice moderne où, dans un style rappelant la révolution culturelle, elle avait été contrainte de reconnaître ses « erreurs. »

En août 2015, Wang Xiaolu, journaliste financier a été obligé de faire amende honorable pour avoir par ses prévisions erronées créé le désordre et la panique ; en décembre 2015, Gui Minhai éditeur de Hong Kong enlevé en Thaïlande, est réapparu sur CCTV pour confesser et se repentir d’avoir créé le scandale par des révélations sordides sur la vie privée de Xi Jinping ; Le 20 février Peter Dahlin, militant suédois des droits et conseiller des avocats chinois, a été libéré après une brève incarcération en janvier 2016, au prix d’un séance d’autocritique publique où il s’accusait d’avoir violé la loi chinoise, heurté la sensibilité du peuple chinois et sali la réputation du gouvernement.

En décembre 2015, la journaliste française Ursula Gauthier fut expulsée après avoir refusé de désavouer publiquement un de ses articles sur la lutte anti-terroriste Xinjiang. Enfin, l’épidémie empiète même sur la sphère culturelle et la politique internationale puisque, le 15 janvier 2016, Chu Tzu-yu, une jeune taïwanaise de 16 ans membre d’un groupe coréen de musique pop avait diffusé une vidéo pour s’excuser auprès des Chinois d’avoir brandi en même temps les drapeaux taïwanais et coréen lors d’un concert à Séoul.


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