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Alors que les statistiques chinoises confirment la reprise, elles notent aussi un net recul des investissements étrangers.
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A un peu plus de cinq mois de la sortie abrupte du confinement total, le paysage de l’économie chinoise reste contrasté. A l’étage macro-économique, le FMI estime qu’au cours des cinq prochaines années, la Chine continuera d’être le principal moteur de la croissance globale à hauteur de 22,6%, contre seulement 11,3% pour les États-Unis.
Les plus importants signaux de ce dynamisme global sont, malgré le ralentissement général des échanges, un excédent commercial sans équivalent dans le monde à plus de 876 Mds de $ en 2022 et la puissance des investissements vers l’extérieur, depuis vingt ans, en moyenne à plus de 150 Mds de $ annuels, n°2 mondial derrière les États-Unis à 300 Mds.
Alors que le ralentissement de la demande occidentale pèse sur les termes de l’échange et les revenus du pays, la consommation intérieure donne des signes de reprise.
Début mai, la fréquentation des restaurants, le nombre de voyages en Chine de « la semaine d’or » qui a atteint 274 millions (+19% par rapport à 2019) ayant dépassé le chiffres pré-pandémiques, sont des indicateurs nets d’une vigoureuse relance de la consommation. Activée par l’accumulation de 2600 Mds de $ d’épargne forcée durant les trois années de blocage confiné, elle pourrait tirer dans son sillage une envolée du pourcentage des services dans le PIB.
Un autre point fort évoqué par QC depuis deux années est la puissance de la filière des véhicules tout électrique et hybrides, portée par les avantages des « terres rares » et du secteur des batteries.
Le fer de lance industriel des véhicules électriques.

A milieu du foisonnement de l’offre des véhicules électriques en Chine, BYD (Build Your Dream) tient la corde. Alors que la marque a commencé à établir un réseau de distribution en Europe, les trois modèles ci-dessus seront bientôt disponibles en France. Ils devraient être présentés au mondial de l’auto à Paris en octobre 2024. Le SUV Tang à droite en rouge (7 places) au prix plancher de 71 000 € et la berline Han à gauche en bleu (5 places) à 74 000 € (Les prix sont donnés sous toutes réserves), portent des noms de dynasties chinoises. Leurs performances d’autonomie sont comparables aux véhicules TESLA entre 450 et 600 km, en fonction de l’utilisation. Au milieu, en blanc, le SUV compact Atto 3, comparé au modèle Peugeot 3008 par les experts, a une autonomie de 420 km et serait commercialisé au prix plancher de 44 000 €.
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Au dernier salon automobile de Shanghai de la mi-avril, 90% des véhicules électriques exposés étaient chinois, tandis que, globalement, les marques chinoises ont représenté 30% des ventes. A l’avenir, l’offre domestique qui foisonne se restreindra mécaniquement par le jeu de la concurrence et des regroupements.
Seuls quelques grands survivront comme BYD (Build Your Dream) dont QC documente l’émergence depuis 15 ans. Lire : Le rêve chinois de Warren Buffet et Le rêve du tout électrique de BYD. Au cœur du succès, l’esprit d’entreprise, le travail assidu et le goût du risque de Wang Chaunfu, 王传福 le PDG.
Âgé de 57 ans, devenu un milliardaire remarqué par le magazine Forbes en 2021 comme la quatorzième fortune de Chine (à 23,5 Mds de $), Wang, à l’origine un ingénieur, au statut de fonctionnaire-chercheur, a commencé sa carrière d’entrepreneur privé au milieu des années 90, avant d’être remarqué par le milliardaire américain Warren Buffet.
Sa prescience et son sens des affaires qui furent de miser sur les batteries rechargeables pouvant concurrencer les modèles japonais, lui ont permis de devenir en 2009 le n°1 mondial de batteries de téléphones portables, avant de se lancer par intuition commerciale et industrielle dans la voiture électrique.
Vulnérabilités

La photo prise à Shanghai montre le discours du président Xi Jinping à l’ouverture du 20e Congrès, le 16 octobre 2022. Le slogan évoque la puissance de l’esprit 伟大 的 精神 moteur d’une ère de puissance 伟大 的 时代 .
Mais alors que le FMI anticipe une croissance de 5% de l’économie en 2023, de nombreux économistes préviennent que la Chine ne sera pas en mesure de jouer le même rôle de moteur mondial de la reprise qu’en 2008-09.
Alors que les investissements étrangers faiblissent sérieusement, les raisons de la prudence sont le recul des exportations dû à la faiblesse de la demande extérieure, les vulnérabilités rémanentes du secteur immobilier dont l’activité est en baisse de 5,8% depuis un an et l’endettement des collectivités locales.
En arrière-plan fermente le risque d’une baisse de la confiance si les ménages ne constataient pas une meilleure offre du travail et une amélioration durable des arcs-boutants traditionnels de l’économie que sont les investissements extérieurs en Chine et la demande globale.
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A côté de ces succès apparaissent des fragilités. Depuis 2020, les excédents commerciaux cachent un moindre dynamisme du commerce extérieur moteur habituel de la croissance, avec un recul de 7,9% des importations et un net freinage de la croissance des exportations mesurée en avril à +8,5% au lieu de +14,8% en mars.
A l’intérieur, la situation est dominée par la dette des institutions financières non bancaires des gouvernements locaux, parties de la finance grise [1]. Évaluée en mars 2023 à 790 Mds de $, elle porte un potentiel de contagion des risques financiers vers les banques locales les plus fragiles, au milieu d’une dette globale de 9000 Mds de $ contractée par les provinces dont les revenus liés aux ventes foncières se sont effondrés. Tel est le contexte de la baisse palpable de l’activité économique domestique.
Elle se mesure au recul des nouveaux prêts bancaires (104 Mds de $) en avril, de près de 75% par rapport à mars, où ils étaient 400 Mds. Selon Steve Tsang, directeur du China Institute de la « School of Oriental and African Studies » basé à Londres, « l’économie chinoise n’est pas sur le point d’imploser, mais sa croissance s’éloigne de celle à deux chiffres des années fastes. » [2]
Replacé dans l’environnement intérieur et dans celui des relations tendues de la Chine avec l’Occident, le freinage interne s’explique d’abord par les efforts de longue durée du pouvoir pour augmenter la qualité de la production.
Une autre origine connexe de la pause du rythme productif est la bascule des paradigmes « bas de gamme » et « industries lourdes étatiques » vers l’innovation et les productions industrielles du futur, articulées à l’intelligence artificielle, à la robotique et aux semi-conducteurs, domaines où Xi Jinping affiche son ambition de placer la Chine en tête.
Enfin impossible de passer sous silence que le ralentissement tire aussi son origine de la récente remise en ordre politique infligée par l’appareil aux industries du numérique dont les capitalisations boursières extravagantes avaient inquiété l’appareil (lire : Raidissement marxiste de Xi Jinping. Quand la propagande se heurte aux réalités).
La frilosité des investisseurs conséquence de la brutalité de la manœuvre dont Jack Ma a fait les frais, a contraint le Parti à une marche-arrière déclarative.
C’était l’objet de la réponse du premier ministre Li Qiang à une question du Lianhe Zaobao de Singapour, lors de sa conférence après l’ANP, le 13 mars.
Elle était à la fois une amende honorable et une critique voilée de la stratégie à l’emporte-pièce de Xi Jinping : « En effet, il y a eu des discussions erronées sur les entrepreneurs privés l’année dernière, ce qui les a inquiétés. » (…) « En fait, la position du Comité central concernant le développement du secteur privé est claire. Les 19e et 20e réunions de la Conférence Économique Centrale l’ont clairement réaffirmée. Notre engagement à cet égard est sans équivoque et constant. »
Il reste que le souvenir d’une intervention politique de l’exécutif sans mesure dans l’économie a laissé des traces chez les acteurs privés. Le premier effet accéléré par les tensions sino-américaines et le durcissement de Pékin à l’égard de Taïwan, est d’initier un mouvement de retrait des grands investisseurs en Chine partis à la recherche de solutions alternatives dans un contexte où monte une nervosité néfaste au climat des affaires.
Note(s) :
[1] Il s’agit des crédits non régulés par les institutions financières officielles dont l’exubérance peut, par contagion, menacer la santé des banques publiques.
Avec une croissance deux fois supérieure au volume de prêts officiels accordés par les banques institutionnelles, les crédits de la finance grise représentent selon le FMI 35% du PIB.
On y trouve les « tontines » familiales ou villageoises, les prêts opaques que les grands groupes s’accordent entre eux, ceux accordés hors bilan par les banques officielles, et ceux octroyés par les organismes de financement liés aux provinces en dehors des règles prudentielles imposant un ratio minimum entre les prêts accordés et les fonds propres.
[2] En réalité, après un pic à +14, 23% en 2007, depuis 2010, où elle était à +10,64%, la croissance baisse régulièrement pour des raisons structurelles. En 2019, elle était à +5,95%. L’année suivante le confinement strict l’a précipitée à seulement +2,24%. L’année 2021 a été marquée par une vigoureuse reprise à +8,11%. En 2022, elle était retombée à +3%, manquant nettement l’objectif de +5,5% fixé par le pouvoir.