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›› Chronique

La tentation de la censure et la mémoire des hommes

De temps à autre, et au-delà des postures de la grande stratégie politique, la conscience de leur finitude réveille la mémoire cachée des hommes.

Le 11 mars dernier, le jour même où l’actualité était submergée par la puissante mise en scène de la diplomatie chinoise qui, à Pékin, présida la promesse réciproque de Téhéran et Ryad de rétablir leurs relations diplomatiques, à l’hôpital militaire d’instruction n°301 de l’ouest de la capitale s’éteignait à 92 ans, le chirurgien militaire Jiang Yanyong (蔣 彥 永).

Dr Jiang Yanyong n’est pas un praticien comme les autres. Le 4 avril 2003, excédé par les mensonges du Parti, il avait adressé un fax à CCTV, la télévision d’État et un autre en copie à une télévision de Hong Kong, indiquant que les malades du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère – SARS en anglais -, identifié par les biologistes de l’OMS sous le nom de SARS-Covid-1) étaient bien plus nombreux que les chiffres officiels.

La secousse politique des mensonges du SARS.

Aussitôt rendu public par le circuit des médias libres de la R.A.S de Hong Kong, le pavé dans la mare prenait le contrepied d’une déclaration du ministre de la santé Zhang Wenkang qui, la veille, avait affirmé qu’à Pékin seulement 12 cas avait été recensés.

Alors que la révélation du Dr Jiang était en train de percer la censure de l’appareil, le 6 avril, le premier ministre Wen Jiabao s’était lui aussi imprudemment laissé aller à inviter les touristes étrangers à ne pas se détourner de la Chine, assurant que « le gouvernement maîtrisait complètement la propagation de la maladie  ».

Le séisme provoqua la destitution du ministre Zhang, remplacé au pied levé par Wu Yi, la vice-première ministre surnommée « la déesse de la transparence » par le Time Magazine et le limogeage du maire de Pékin Meng Xuenong.

Lui aussi fut remplacé en catastrophe par Wang Qishan, le futur vice-président (2018-2023), à la fois économiste ayant l’oreille des Occidentaux et habile politique parfaitement au fait des fragilités de l’appareil gangrené par la corruption, dont la conscience l’a rapproché de Xi Jinping en 2012. C’est à l’occasion du scandale du SRAS qu’il gagna sa réputation de « pompier du premier feu ».

Dans un long article publié une semaine après le décès du Dr Jiang, la journaliste Susan Jakes, diplômée d’histoire de l’Université de Yale, membre de l’Asia Society, Directrice du site en ligne ChinaFile et, à l’époque, correspondante à Pékin du Time Magazine raconte que « la plus accablante – “damning“ – réalité » était que tous les médecins de Pékin connaissaient depuis le début mars l’ampleur exacte de l’épidémie, mais que l’appareil leur avait interdit d’en faire état pour ne pas menacer la stabilité sociale en amont de la réunion annuelle de l’Assemblée Nationale.

Après la révélation qui secoua l’appareil, le 8 avril 2003 dans l’après-midi, Susan Jakes s’était longuement entretenue avec Jiang qui refusa l’anonymat, soulignant que son nom ouvertement rendu public rendait l’information plus crédible.

Ce n’est pas tout, Jiang révéla aussi que la semaine suivant ses révélations, alors qu’une équipe de l’OMS était venue en Chine pour inspecter les hôpitaux de Pékin, l’appareil usa des stratagèmes les plus grossiers pour cacher le nombre réel de malades dans les hôpitaux civils et militaires de la capitale.

Un hôpital avait déplacé les malades du service des maladies infectieuses vers un hôtel ; un autre les avait entassés dans des ambulances. Elles avaient tourné dans la capitale jusqu’au départ des inspecteurs. A ce moment, le courage de Jiang commença à faire des émules, chez les médecins. Ils confirmèrent ses accusations avec la nuance que beaucoup restèrent anonymes.

L’avalanche des informations produisit cependant un effet. Le 20 avril, deux semaines après l’audace des Fax de Jiang envoyés aux médias, l’appareil corrigea publiquement les chiffres officiels de l’épidémie d’un facteur voisin de dix, destitua le ministre Zhang et limogea le maire de Pékin.

Au total l’épidémie dont l’appareil chinois avait délibérément caché la dissémination en Chine, mais s’était propagée dans le monde, infecta 8000 personnes et tua 800 personnes. C’était une alerte dont le Parti Communiste chinois n’a cependant tiré aucune leçon.

Seize années plus tard, l’obsession du secret et les fantômes de Tian An Men.

En 2019, seize années après le scandale du SRAS, l’appareil a à nouveau et pendant plusieurs semaines caché l’émergence de l’épidémie de la Covid-19 à Wuhan.

Plusieurs lanceurs d’alerte ont été harcelés par la police dont le Dr Ai Fen 艾芬, chef des urgences de l’hôpital central de Wuhan et l’ophtalmologue Li Wenliang, décédé à 34 ans dans la nuit du 7 au 8 février 2020, les poumons détruits par le virus.

Comme le Dr Jiang, Madame Ai Fen avait elle aussi publiquement sonné l’alarme. C’était déjà un 11 mars, en 2020, trois ans exactement avant le décès du Dr Jiang. Lire : Covid-19 : La démocratie, l’efficacité politique et l’attente des peuples.

*

Après ses révélations d’avril 2003, pendant une brève période, Jiang a été traité comme un héros national. Alors que les rues de Pékin se vidaient dans ce qui ressemblait à une préfiguration de la pandémie de Covid-19, le nom de Jiang était à la une des principaux journaux chinois.

Mais son nom figurait aussi en bonne place dans les dossiers des dissidents politiques à surveiller.

Le parti le gardait en effet à l’œil. Alors que, le 4 juin 1989, jour du massacre de Tian Anmen, il avait, dans son hôpital 301, celui-là même où il est décédé il y a un peu plus de deux semaines, opéré avec ses équipes 89 blessés par balles admis dans son service de chirurgie en moins de trois heures, il ne cessait en effet de dénoncer la violence meurtrière de l’appareil à qui il demandait de reconnaître son erreur politique.

En 2004, un an après l’épisode du SRAS, probablement encouragé par le succès de ses révélations de l’année précédente, il adressa à nouveau une lettre ouverte aux principaux dirigeants chinois et à la presse internationale.

Il y décrivait ce dont il avait été témoin dans sa fonction de chirurgien militaire chef de l’hôpital 301, racontant aussi ses conversations avec les anciens du Parti hantés par les remords et appela à nouveau l’appareil à réviser sa position sur le massacre.

Cette fois, la réaction de la machine politique du régime fut plus brutale. Jiang et son épouse, Hua Zhongwei, également médecin furent appréhendés par la police et soumis à une longue série d’interrogatoires et de séances de lavages de cerveau. Le but était de tenter de convaincre Jiang que ce qu’il avait vu le 4 juin 1989 dans les salles d’opération de l’hôpital 301 n’était que le produit de son imagination.

Finalement, il a été autorisé à rentrer chez lui, mais il est resté dans le collimateur de l’appareil de sécurité, en « résidence surveillée » plus ou moins stricte selon les périodes, jusqu’à son décès.

Deux décennies après le SRAS et suite à trois longues années de COVID démarrées dans le mensonge, les murs du silence et du secret que Jiang avait courageusement écornés, ont été reconstruits et les interstices d’ouverture politique et de transparence se sont refermés.

Ses funérailles ont eu lieu le 15 mars sans qu’aucun média officiel n’en fasse état. L’appareil avait envoyé une note à la famille spécifiant que seuls les proches étaient autorisés à y assister. Elle prohibait fleurs, couronnes et hommages publics et précisait que l’éloge funèbre avait déjà été rédigé.

Susan Jakes qui l’avait interviewé une dernière fois en décembre 2015, se souvient qu’il aurait aimé qu’on garde de lui l’image d’un médecin attaché à la vérité.


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