Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Société

La très grave crise porcine

Venue d’Afrique, la fièvre (ou peste) porcine, sans effet sur les humains, est une pathologie virale hautement contagieuse qui tue presque chaque porc infecté. Apparue en Chine en juin 2018, elle s’est propagée à toutes les provinces.

A ce jour le pays a perdu 100 millions de porcs (30% du cheptel), morts de maladie, abattus pour stopper le virus ou parce que les fermiers ont déserté le secteur, après de graves déboires financiers. A ce rythme d’ici la fin de l’année il est probable que les pertes atteindront 130 millions de têtes.

Le premier effet direct est la hausse de près de 50% des prix comparés à septembre 2018. Récemment, le Vice-Premier ministre Hu Chunhua en charge du dossier a conféré à la crise une portée politique nationale, soulignant qu’elle affectait sérieusement le projet de société de « confort modeste 小康社会 » et heurtait l’image du Parti et de l’État.

Le premier ministre Li Keqiang pour qui la crise est peut-être plus grave que celle de Hong Kong a, lui aussi, sonné l’alarme en appelant des mesures d’urgence. Au total les effets de l’épidémie ont déjà pesé sur l’humeur de la fête des lanternes et impacteront celle de la fête nationale du 1er octobre.

Estimant les réactions publiques trop timides et trop tardives, Wang Xiangwei, ancien rédacteur en chef du South China Morning Post, craint même que le marasme qui s’installe affecte la fête du printemps en 2020.

Une catastrophe nationale de portée politique.

Dans un article du « Post » publié le 16 septembre, il analyse l’extrême sensibilité de la crise pour la direction politique et l’importance du porc pour les Chinois dans leur existence quotidienne, « symbole immémorial d’une vie confortable ».

A la rude époque de Mao, au temps de l’économie planifiée et rationnée, le coupon mensuel d’allocation de 500 g de viande de porc était parmi les plus précieux, « une denrée essentielle des repas de fête, aux anniversaires, aux naissances et au nouvel an. »

Le président Xi Jinping lui-même qui aime à se référer aux « souffrances » du peuple dont il fut témoin dans son jeune âge, raconte que, dans un pauvre village du Shaanxi au début des années 70, lui et ses camarades n’ayant pas mangé de viande depuis des mois et trop impatients pour attendre que l’eau chauffe, avaient directement entamé au couteau un morceau de porc congelé.

Courant depuis 15 mois, l’épidémie qui a fait exploser le prix du porc, prive les plus démunis. Rien d’étonnant, observe Wang Xiangwei qu’en Chine, 2e économie de la planète, devenue un opulent marché de consommation où le régime se targue de l’attention portée au plus défavorisés, la situation commence à être perçue par les pouvoirs publics comme une catastrophe nationale.

La crise est inflationniste. L’indice de la hausse des prix alimentaires est passé de +9,1% en juillet à +10% en septembre. Globalement, l’inflation est à +2,8%, se rapprochant de la limite supérieure de 3% fixée par le gouvernement.

Surtout, à mesure que se multiplient les abattages, que la pénurie s’installe et que les prix montent, la grogne des campagnes prend les allures d’une crise politique. Elle est d’autant plus sensible que l’économie freine dans un contexte encore tendu par l’interminable guerre commerciale avec Washington.

Avec une population de 1,4 milliard d’habitants tous culturellement friands de viande de porc, c’est en Chine qu’on trouve les plus vastes élevages de cochons de la planète et, évidemment, la plus forte consommation de viande de porc par habitant. En 2018, 694 millions de porcs ont été abattus pour la boucherie soit 56 millions de tonnes de porc, autant que tout le reste de la planète.

Des élevages familiaux sensibles aux aléas du marché.

La denrée est tellement sensible que le gouvernement stocke des réserves stratégiques comme pour le charbon ou le pétrole. Mais leur ampleur n’est pas à la hauteur de la perte de 13 millions de tonnes de viande cette année. Contrairement à ce qu’écrivent certains médias, la crise n’a rien à voir avec la guerre commerciale. En matière de viande de porc, la Chine est autosuffisante à plus de 95% et les importations en provenance des États-Unis ne comptent que pour 1% de la consommation.

Autres caractéristiques de l’industrie chinoise du porc, la production est en grande majorité l’œuvre de petits exploitants. Sujette à des cycles, elle fluctue en fonction des prix. Quand ils baissent le nombre d’exploitants diminue. Plus encore, depuis 2014, les contraintes imposées par les pouvoirs publics pour réduire la pollution des exploitations familiales a également provoqué une désaffection.

Voyant cela l’administration avait corrigé le tir et réduit les contraintes écologiques. Mais une exploitation ne se relance pas en un claquement de doigt. A partir de l’insémination des truies, Il faut au moins 10 mois pour amener une portée à l’abattoir.

Le secteur en était à ce carrefour de contraintes écologiques et de pressions sur les prix à la baisse - les deux ayant initié une chute sensible de la production par la réduction du nombre d’exploitants - quand a éclaté l’épidémie.

Le spectre des pénuries anciennes.

Réminiscence malheureuse des temps de grandes pénuries, à Nanning, capitale du Guangxi les autorités ont rétabli des coupons de ravitaillement pour 1 kg de porc à un prix plus abordable. Véhiculée par les bavardages des réseaux sociaux, la nouvelle s’est immédiatement propagée dans le pays, initiant même des débats politiques sur les tendances « gauchisantes » de Xi Jinping.

A Pékin 3,23 Mds de Yuan (420 millions d’€) de subsides aux plus pauvres ont été débloqués pour leur permettre d’acheter du porc. Pas assez dit Wang. Plusieurs grandes villes ont déjà décidé de ponctionner leurs réserves stratégiques.

Pékin aussi vient de décider de mettre sur le marché 10 000 tonnes de ses réserves pour tenter de stabiliser les prix. La viande congelée sera vendue aux enchères en ligne, avec un quota maximums de 300 tonnes par acheteur. D’autres stocks importés des États-Unis, de France, d’Allemagne, du Danemark et du Chili seront également mis sur le marché.

En France les éleveurs bretons qui voient les prix monter en moyenne de 20 à 30 centimes le kg, se frottent les mains. Ce n’est pas fini. Les spécialistes du secteur estiment que d’ici la fin de l’année, les prix pourraient augmenter de 70%.

La crise chinoise est sévère. Son ampleur fait tâche d’huile hors de Chine. Pour Wang Xiangwei, les mesures prises par les pouvoirs publics chinois sont insuffisantes et viennent trop tard. Dans les mois à venir, l’inflation du prix du porc continuera à faire les titres de journaux en Chine et dans le monde.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

Le net chinois et la fraude au semi-marathon de Pékin

Suicide d’une interne à l’hôpital public

Orage nationaliste sur les réseaux sociaux

Réseaux sociaux : La classe moyenne, l’appareil, les secousses boursières et la défiance

L’obsession des jeux d’argent et les proverbes chinois