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Au cours de son voyage, G. Melloni s’est entrenue avec Xi Jinping à la Maison des hôtes de marque de Diaoyutai. La visite avait pour but de relancer les relations mises à mal par la décision de Melloni fin décembre 2023, ressentie à Pékin comme un camouflet, d’abandonner le projet phare du Président chinois des « Nouvelles routes de la soie ». La correction de trajectoire italienne tient beaucoup à la prise de conscience par la première ministre du poids des relations économiques et commerciales entre Rome et Pékin, deuxième partenaire commercial de l’Italie hors Europe après les Etats-Unis et de l’importance grandissante de la Chine dans les affaires du monde.
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Du 27 au 31 juillet Georgia Melloni était en Chine pour la première fois depuis que le 6 décembre 2023, elle avait formellement annoncé le retrait de l’Italie du projet phare de Xi Jinping des « Nouvelles routes de la soie ».
Au moment où les relations de la Chine avec l’UE sont à la fois tendues par les taxes sur les véhicules électriques chinois et l’aide de la Chine à Moscou, la visite d’État avait pour but de réchauffer une relation bilatérale mise à mal par la rupture de la fin 2023 que Pékin ressent toujours comme un camouflet.
Notant que le voyage de Melloni à Pékin eut lieu « sept siècles après la mort de Marco Polo », symbole indépassable de la relation culturelle et commerciale entre l’Empire sino-mongol et l’Italie de la fin du Moyen-âge, les médias officiels chinois conscients des aigreurs sino-européennes, présentèrent le voyage comme « Une bonne opportunité pour injecter plus de stabilité dans la relation, promouvoir la coopération et résoudre les différends, non seulement entre la Chine et l’Italie, mais aussi entre la Chine et l’Europe dans son ensemble ».
Mais la perspective positive était aussitôt suivie par la tendance irrépressible à la mise en garde paternaliste teintée de rancœurs fustigeant les taxes européennes frappant l’invasion des véhicules électriques chinois à bas coût (lire : L’offensive des véhicules électriques chinois).
Au passage, dans le discours chinois, surnageait aussi le reproche fait à Georgia Melloni d’avoir abandonné les nouvelles routes de la soie : « Après son retrait des “ Nouvelles routes de la soie“ le gouvernement italien doit faire preuve de suffisamment de sincérité dans sa coopération avec la Chine et gérer efficacement les différends, en particulier dans les négociations tarifaires sur les véhicules électriques fabriqués en Chine. »
Concilier les affaires et l’idéal d’indépendance stratégique.
Bardée de sa volte-face ayant tourné le dos à la symbolique vertueuse et épique des « Routes de la soie », Melloni peut, plus que d’autres [1], revendiquer le statut politique capable de naviguer de manière indépendante à équidistance entre les pressions commerciales de Pékin et les aigreurs antichinoises d’Ursula Von Der Leyen avec qui elle est en froid.
Déjà agacée par le « cavalier seul » de Viktor Orban dans les eaux de la mouvance sino-russe, la Présidente de la Commission qui reproche à Pékin d’aider la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, n’a pas non plus apprécié que Melloni ait voté contre son renouvellement à Bruxelles.
Pour autant, force est de constater que l’affichage par Melloni d’une équidistance stratégique était d’abord bridé par la défiance européenne à l’égard de la Chine dont le premier effet fut que les industriels italiens, conscients qu’en Europe, le voyage à Pékin de Melloni serait critiqué, furent moins nombreux que prévus à faire le déplacement.
Quant à la distance que Melloni avait d’abord adoptée à l’égard du marché chinois dont elle estimait que les retours pour l’économie italienne étaient insuffisants, premier motif de sa volte-face à propos des « Nouvelles routes de la soie », la réalité plus complexe l’incite aujourd’hui à la nuance, fond de tableau de sa visite officielle.
L’évidente réalité est que le tissu industriel italien reste porté à maintenir des relations solides avec les entreprises chinoises. En mai dernier, le groupe franco-américain-italien Stellentis qui comprend l’italien Fiat, annonçait la création d’une coentreprise 51/49% avec la startup chinoise Leapmotor [2], fabricant des véhicules électriques destinés au marché européen.
Dans une ambiance bilatérale toujours marquée par la contradiction d’une défiance des industriels italiens et l’attractivité du marché chinois, Melloni a durant son voyage signé un plan d’action de coopération de six ans et présidé à au moins six accords bilatéraux sur l’agriculture, l’environnement et l’éducation.
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Il n’en reste pas moins que ses positions passées sur la Chine que l’appareil n’a pas oubliées constituent les ferments d’une défiance qu’il sera difficile d’effacer.
Melloni elle-même a toujours considéré la Chine avec méfiance, l’accusant de pratiques commerciales déloyales et mettant en garde contre le risque potentiel pour l’Europe d’une dépendance excessive à l’égard des entreprises chinoises dans les chaînes d’approvisionnement stratégiques.
Le 28 juillet, à Pékin, elle a, devant les hommes d’affaires italiens, rappelé l’importance de respecter les règles garantissant à chaque entreprise d’opérer sur les marchés internationaux dans des conditions équitables.
Quand elle était ministre de la Jeunesse de Silvio Berlusconi, elle avait exhorté les athlètes italiens à boycotter la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 pour protester contre le bilan de la Chine en matière de droits de l’homme au Tibet.
Enfin, tout récemment, alors que l’Italie soutient également l’imposition de droits de douane élevés sur les véhicules électriques chinois, son gouvernement a invoqué des préoccupations de sécurité nationale pour tenter de priver le chinois Sinochem de son influence comme principal actionnaire du fabricant de pneumatiques Pirelli.
L’échec de la démarche qui, faute de repreneur, conduira probablement Sinochem à conserver ses 37% de parts dans l’entreprise pour la valeur de 1,7 Mds d’€, jette une fois de plus une lumière crue sur la difficulté d’ignorer l’insistante rémanence des affaires et des intérêts économiques dans les relations avec la Chine.
Note(s) :
[1] Notamment le Président français Emmanuel Macron et le Chancelier allemand Olaf Scholz tous deux récemment accusés d’avoir, à des degrés divers, manifesté une trop grande bienveillance à l’égard de la Chine (lire : La difficile « troisième voie » française en Chine et le dangereux brouillage de l’unité européenne).
[2] Automobile : JV entre un géant occidental et une Start-up chinoise.
Stellantis. (250 000 employés, CA 2023 : 190 Mds d’€).
Issu de la fusion en 2021 entre le Français PSA et l’Italo-américain Fiat Chrysler, le groupe, basé aux Pays Bas dont l’action qui avait grimpé de plus de 60% entre août 2023 et mars 2024 avant de chuter de plus de 50% au cours des cinq derniers mois, est pénalisée par des difficultés en Amérique du Nord où ses livraisons ont baissé de 18% en volume.
En octobre 2023, le groupe Stellantis qui exploite et commercialise quinze marques automobiles issues de PSA (Citroën, DS Automobiles, Opel, Peugeot, Vauxhall) et de Fiat-Chrysler (Abarth, Alfa Romeo, Chrysler, Alfa Romeo, Dodge, Fiat, Jeep, Lancia, Maserati, Ram),a annoncé 1,5 milliard d’euros d’investissement dans le Chinois Leapmotor dont il s’est approprié 20% du capital.
Leapmotor 零跑 basé à Hangzhou et fondé en 2015 par Zhu Jiangming, ingénieur électricien, est spécialisé dans le développement de véhicules électriques.
Avec les investissements de Stellantis qui détient 51% du capital, la JV Leapmotor International a, en juin 2024, commencé la production de ses modèles dans son usine de Tychy en Pologne, 100km à l’ouest de Cracovie.
D’ici 2027, l’intention de la Start-up est de commercialiser six modèles électriques en Europe par les distributeurs du groupe Stellantis. Trois modèles tiennent la corde pour l’instant : la petite berline 5 portes T03, alternative à la Fiat 500 e, lancée en France en 2022 à 23 490 € ;
Le SUV C10, hybride ou tout électrique à 530 km d’autonomie. Avec un prix en Chine de moins de 20 000 €, il pourrait être commercialisé en Europe entre 30 et 40 000 €.
Le SUV C11, familial haut de gamme avec deux concepts, le premier tout électrique avec un moteur à l’arrière, l’autre hybride avec un deuxième moteur à l’avant.
Avec un style de carrosserie à mi-chemin entre la Porche Cayenne et la Range Rover, les modèles truffés d’équipements électroniques et de caméras, dont l’autonomie maximum serait de 610 km pour le modèle 100% électrique, coûte en Chine entre l’équivalent de 25 800 à 30 000 € . Quant à son prix en Europe, il reste lié à l’incertitude sur le montant exact des taxes qui seront infligées à son importation sur le marché européen.