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Le défi de la manipulation génétique des embryons

Dans un article du 30 novembre, analysant la détermination enthousiaste de Pékin à se placer en tête de la recherche scientifique de pointe, y compris dans le domaine sensible des manipulations génétiques, le New-York Times rappelait que, dans un passé récent, les scientifiques chinois avaient déjà fait la une de l’actualité mondiale en publiant leurs travaux sur le clonage des primates et la transplantation d’une tête humaine d’un corps à un autre [1].

Et voilà que la semaine dernière, au 2e sommet international sur le génome humain à Hong Kong, l’un des leurs He Jiankui 贺建奎 formé aux États-Unis, vient de communiquer sur une expérience d’embryons génétiquement modifiés implantés chez une femme qui, plus tard, donna naissance à des jumeaux filles dont He affirme que, grâce à ses manipulations, elles sont immunes à la contamination par le virus HIV.

Au-delà de l’information reprise en boucle par tous les médias de la planète, le fil conducteur de l’article renvoyait à une interrogation de la communauté des chercheurs sur les limites éthiques de la science chinoise.

QC avait déjà abordé la question il y a trois ans, en insistant sur une tendance de fond des chercheurs, partagés sur le clonage de masse des animaux de boucherie, mais tous très sensibles aux questions de manipulations génétiques humaines. Lire : Clonage de masse, transgressions génétiques et controverses sur les dérives éthiques et morales.

Condamnation sans réserves dans le monde et en Chine.

Au milieu des mises en garde surgies de toutes parts, l’article le plus virulent est en effet venu de Chine, publié le 26 novembre sur « Weixin » – le « WhatsApp » chinois à 1 milliard d’abonnés – où on pouvait lire que He Jiankui, « un fou, intelligent, talentueux et indiscipliné s’était engagé sur la voie de la destruction de l’humanité en transgressant les règles éthiques ».

Une centaine de savants chinois ont condamné les expériences du Docteur He, certains suggérant même que l’obsession de placer la Chine en tête de la recherche dans le secteur crucial du vieillissement avec son corollaire de l’augmentation du nombre de malades, bénéficiant de financements prioritaires conduirait à des dérapages éthiques dans la manipulation génétique.

Avec cette expérience, le problème éthique s’est donc doublé d’une question politique liée à l’image de la Chine placée sous les feux croisés de critiques déontologiques. C’est ce qui, le 29 novembre, a conduit Xu Nanping le vice-ministre des sciences et des technologies à interdire la poursuite en Chine des expériences de He qu’il, a comme la majorité des chercheurs chinois, jugées « choquantes et inacceptables ».

Un Hai Gui à fort potentiel.

Le docteur He fait partie des savants expatriés de haut niveau revenus en Chine à la suite de puissantes incitations financières du gouvernement pour aider au développement des technologies de pointe qu’on appelle les Hai Gui (海归. Lire : Accélération de l’immigration et retour des « cerveaux » expatriés.

Avant de devenir la cible de ses collègues, He Jiankui né dans une famille de paysans pauvres du Hunan, collégien passionné par les sciences physiques, doté d’une bourse du gouvernement chinois pour étudier aux États-Unis, était, depuis son retour en 2012 considéré en Chine comme un exemple de réussite de la méritocratie.

Après s’être spécialisé en biophysique à Houston dans la technologie génétique dite des CRISPR [2] devenue un outil de manipulation de l’ADN qu’il utilise dans ses expériences humaines, le Dr He installé à Shenzhen et bénéficiant des subsides publics, a créé deux sociétés de génétiques avec pour objectif d’explorer le potentiel de technologies CRSPR à des fins de traitement médical.

Pour justifier l’expérience menée sur un couple dont l’homme est porteur du HIV, He a avancé l’argument d’avoir à protéger l’embryon d’une contamination.

Avis du Comité d’éthique

Réagissant à l’information, en France le Comité National de consultation éthique a le 29 novembre publié un communiqué reproduit ici in-extenso :

« Après l’annonce par le Dr Jiankui HE de la modification génétique de deux embryons ayant abouti, après leur transfert dans l’utérus, à la naissance de deux jumelles dont le génome serait modifié, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) réaffirme son opposition au transfert d’embryons humains génétiquement modifiés, telle qu’elle a été rappelée dans sa contribution à la révision de la loi de Bioéthique (Avis 129 du 25 septembre 2018).

Tout en reconnaissant l’importance de l’utilisation des techniques d’édition du génome dans la recherche fondamentale sur l’embryon et l’utilisation de ces techniques sur des cellules non-germinales dans une perspective thérapeutique, le CCNE s’inquiète qu’une ligne rouge ait été franchie à l’occasion de cette naissance inédite d’humains génétiquement modifiés, de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux et à la dignité de la personne humaine.

Aussi le CCNE se joint à la mobilisation de la communauté internationale scientifique, médicale et éthique qui condamne les travaux du Dr Jiankui HE et les conditions de leur communication.

Si de nombreuses barrières sont érigées par les nations (en France par exemple à travers la loi de Bioéthique), au plan européen et international (par la convention d’Oviedo, que la France a ratifiée ainsi que plusieurs pays), il est urgent que se concrétise une gouvernance renforcée à l’échelle mondiale la plus apte à répondre aux évolutions extrêmement rapides de ces technologies. Cette initiative devra associer les citoyens dont l’information aux enjeux scientifiques, médicaux et éthiques sur ces questions est essentielle. »

*

Pour autant, il est juste de dire que le Dr He a exploré un domaine méritant attention puisqu’il s’agit de soigner des embryons plutôt que les éliminer. Ce qui permettrait à des parents à risque de transmission de pathologies héréditaires graves, d’avoir des enfants en bonne santé.

Lire à ce sujet l’article Bernard Baertschi, Maître d’enseignement et de recherche en philosophie, à l’Université de Genève, paru le 21 janvier 2018 dans la revue Contrepoints.

Note(s) :

[1L’expérience a été tentée par Ren Xiaoping un orthopédiste de Harbin. En dépit des cris de victoire du médecin chinois et d’un italien ayant tenté la même chose, elle avait soulevé l’extrême scepticisme des chercheurs sérieux.

Sans aller dans le détail de la recherche, les principales objections adressées aux explorateurs de la transplantation totale, sont que le corps humain est un ensemble complexe où la conscience de son propre corps, transmise par des connexions nerveuses se mêle au physique qui lui-même ne peut pas être considéré comme un ensemble modulaire.

La critique ciblait directement l’Italien Sergio Canavaro et le Chinois Ren Xiaoping travaillent tous deux sur des greffes de tête et coutumiers des coups médiatiques.

[2Ensemble de molécules constituant un « bio-outil » nommé « Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats - Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées » -

Lire à ce sujet : Génétique : une révolution appelée CRISPR.


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