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›› Editorial

Les deux « sessions » d’une Chine à l’économie blessée et au nationalisme ombrageux

La réunion annuelle des deux assemblées, cette fois retardée de 2 mois pour cause de Covid-19, s’est ouverte le 21 mai pour se terminer le 28 mai. Point d’orgue national d’un processus gigogne – cette année tout de même perturbé par l’épidémie -, organisée à partir de janvier dernier depuis les bases des districts, des municipalités et des provinces, elle est, comme toute la vie politique chinoise, entièrement contrôlée par le parti unique.

Présentées comme la face démocratique du régime, en réalité la « démultiplication » annuelle du Congrès du Parti organisé tous les 5 ans et des réunions annuelles de son Comité Central, véritables cœurs politiques du régime, les « 2 assemblées » sont aussi une efficace mise en scène de la capacité de gouvernance de l’appareil, de son aptitude à se projeter dans l’avenir et à tenir le cap des grandes orientations décidées par les instances du parti.

L’événement, acte politique majeur du régime qui - les deux instances législatives confondues (Conférence consultative du peuple chinois – CCPC - et Assemblée Nationale Populaire – ANP-), rassemble au total plus de 5000 délégués, a également pour but d’afficher la qualité des relations de l’exécutif avec les différentes composantes de la société.

Comme chaque année, le double exercice parlementaire a débuté par la session de la Conférence Consultative du Peuple chinois (CCPC) en abrégé 民政协. L’instance, présidée par Wang Yang, n°4 du Comité permanent, n’a d’autre pouvoir que celui de conseiller l’Assemblée Nationale et le gouvernement. Elle le fait à partir des suggestions des autres partis autorisés (Front Uni), des hommes d’affaires influents, des syndicats, des groupes ethniques et des diverses associations représentant la société civile.

Première indication que cette année l’événement sortait de la routine normale du Parti, après l’arrivée en file indienne du Bureau Politique, avec en tête Xi Jinping souriant, applaudi par tous les délégués debout et masqués, l’assemblée toute entière, tête baissée derrière l’exécutif, a respecté une minute de silence en mémoire des victimes chinoises de l’épidémie.

LI Keqiang, homme de terrain, conscient des défis et prudent.

La pandémie fut au cœur du discours d’ouverture de la session de l’ANP du Premier Ministre Li Keqiang.

Soit que le choc épidémique fut évoqué directement, par la liste des mesures prises par la Chine contre les contagions, soit qu’il fut indirectement à l’origine des mesures socio-économiques induites dont la plus commentée fut l’abandon, pour la première fois depuis 30 ans, d’un objectif de croissance pour 2021. « Cette année notre pays sera confronté à des facteurs difficiles à prévoir, compte-tenu des incertitudes sur l’évolution de la pandémie ainsi que celles entourant la situation de l’économie et du commerce mondial. »

Estimant que la chute de la croissance allait encore s’accélérer, LI Keqiang cita les ruptures des chaînes d’approvisionnement, la volatilité du commerce international et l’instabilité des prix des matières premières, le tout cumulé avec la baisse de la consommation intérieure, des investissements et des exportations.

Alors qu’il affirme contenir le déficit budgétaire à 3,5% (en forte hausse par rapport aux 2,8% de 2019) et le chômage urbain à 5,5% - un chiffre probablement très sous estimé, la plupart des observateurs et des informations venant de l’intérieur de la société laissant entendre qu’en comptant la population des migrants non incluse dans les statistiques, le taux réel de chômage pourrait être proche de 10% -, LI Keqiang a présenté un projet socio-économique reprenant les objectifs énoncés par Xi Jinping dont la pensée des « caractéristiques chinoises » fut le leitmotiv ayant dominé toutes les sessions.

Les slogans de la prudence.

Les maître-mots qui ressuscitent la mode des slogans de l’ère révolutionnaire, sont :

1) S’engager encore plus avant dans les “3 combats cruciaux - 三场关键战 - à savoir : Tenir à distance les risques majeurs ; Réduire la pauvreté et les inégalités ; Contrôler la pollution) » (…)

2) Assurer la stabilité du pays dans 6 domaines 确保六个方面的稳定 – en abrégé 六稳 liù wěn » (…)

3) Garantir la sécurité dans 6 autres. 在六个领域保持安全, en abrégé 六保. »

Le tout donne le slogan complet : « 3 combats, San zhan 三 战 ; 6 stabilités liu wen 六稳 et 6 garanties liu bao 六保 ». La synthèse des caractères chinois offre un raccourci saisissant des actuelles préoccupations du régime.

Les « Six stabilités » concernent le chômage, les finances, le commerce international, les investissements étrangers et intérieurs et « l’espoir du peuple ». Le dernier souci de « stabilité » visant, non pas un objectif concret et pragmatique, mais une émotion, en dit long sur la crainte du régime de perdre sa légitimité populaire.

Quant aux « Six garanties », contrat passé avec le peuple, elles sont encore – priorité des priorités directement liées à la stabilité intérieure - l’offre d’emploi. S’y ajoutent le niveau de vie minimum, la sécurité alimentaire et énergétique, la pérennité des chaînes d’approvisionnement et l’interaction fluide entre le pouvoir central et les administrations locales.

Là aussi, la dernière « garantie » évoquant les rapports toujours difficiles du centre avec la périphérie, renvoie au souci immatériel et récurrent de la gouvernance de ce vaste pays par un système autocrate ultra-centralisé. « Les formalités inutiles et le bureaucratisme restent un problème aigu », a souligné LI Keqiang, tandis « qu’un petit nombre de fonctionnaires se dérobent à leurs charges ou sont incapables de les remplir. Au passage, LI a rappelé que « la corruption restait toujours un problème récurrent dans certains secteurs ».

En d’autres termes, pour l’année 2020, l’intention du pouvoir qui ressent la nécessité de faire une pause, est que les citoyens ordinaires ne souffrent pas, que la réduction de la pauvreté continue au même rythme et que l’économie reste fondamentalement saine.

La stabilité, premier souci du régime.

Le principal message est cependant la stabilité 稳定, mentionné 41 fois par LI Keqiang au milieu des mesures concrètes destinées à replacer l’économie chinoise sur les rails après la pandémie et à mettre le pays en mesure de faire face au prochain épisode épidémique.

« Lors de la réponse de Covid-19, de nombreux maillons faibles ont été révélés dans la gestion des urgences. La population a exprimé ses opinions et suggestions qui méritent notre attention » (c’est un euphémisme. Des lanceurs d’alerte ont été réprimés, tandis que la censure supprimait les vidéos montrant le désarroi des soignants et la surcharge des hôpitaux). « Nous devons nous efforcer d’améliorer notre travail et d’assumer nos responsabilités et de tout mettre en œuvre pour répondre aux attentes des gens. »

Concrètement, constatant que le pays avait atteint un taux d’urbanisation de 60%, LI Keqiang a dit pouvoir compter sur l’esprit d’innovation et le sens commercial des paysans – qui n’est pas un vœu pieu - appuyés par le commerce en ligne pour dynamiser les campagnes. Il a promis des mesures d’aides aux PME et une attention soutenue aux plus pauvres et aux personnes âgées.

La réflexion renvoie à l’exigence d’accélérer la mutation de l’économie vers plus de consommation intérieure, dont le président XI a, lors d’une réunion en marge de l’ANP, souligné l’importance pour alléger les dépendances du pays à l’exportation « A l’avenir, la consommation intérieure devra être la base de notre économie, en même temps que nous devrons développer l’innovation ».

Tout en insistant que le système économique du pays resterait articulé à une politique de l’offre, LI a tout de même promis un vaste plan d’aide aux PME assorti de la réduction des taux d’intérêt, de la baisse de taxes et d’une relance de 3750 Mds de Yuan (525 Mds de $), tandis que, pour l’année 2020, le budget de l’État a prévu 600 Mds de Yuan (84 Mds de $) d’investissements directs.

La priorité ira à l’infrastructure, à l’aménagement du territoire et à l’urbanisation du pays, avec notamment l’accent sur la poursuite des projets de canaux et de voies ferrées à grande vitesse, le développement des relais de la 5G et des voitures électriques, avec la multiplication des bornes de recharge.

Un effort de décentralisation administrative affectera directement 2000 Mds de Yuan (280 Mds de $) aux provinces, spécialement dédiés, a insisté Li Keqiang, à la protection de l’emploi et à la satisfaction des besoins de base de la population.

Au total, l’année sera non seulement placée sous le signe de l’amélioration qualitative tournant le dos à la production de masse de faible qualité, mais également sous celui des économies à tous les échelons. La fête de la croissance perpétuelle est finie et la profession de foi économique qui n’oublie pas la nécessaire réforme des groupes publics, commence à ressembler beaucoup à celles des pays occidentaux.

« Il nous faudra travailler plus dur pour équilibrer le budget de l’État et réduire les gaspillages, sans cependant renoncer aux dépenses sociales de base ni à celles essentielles au développement et à la modernisation du pays. » (…) « A tous les niveaux, l’administration est invitée à se serrer la ceinture. Le gouvernement donnera l’exemple en réduisant de 50% au moins les dépenses inutiles ».


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