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Les « Sheng Nü » laissées pour compte et le renforcement du patriarcat

Les transes familiales des filles célibataires.

Sur Weibo on peut lire les histoires dramatiques de filles forcées au mariage par leurs parents ayant cherché à se suicider en tentant de se noyer 跳水自杀tiao shui zi sha ou ayant réussi en se jetant par une fenêtre 跳窗 tiao chuang. A la veille du Nouvel an, l’auteur de la supplique aux parents sur weibo mesure l’angoisse des jeunes filles de plus de 25 ans retournant dans leur famille où elles seront confrontées aux insistantes questions sur leur célibat. En même temps les internautes commentent abondamment la politique familiale du régime.

Après plus de 30 années de « planning familial » 计划生育 (lire : Les égarements du « 计划生 育 ». Quand le planning familial devient fou.) promoteur féroce de l’enfant unique, voilà que le Parti s’inquiétant de la dénatalité et du vieillissement pousse au mariage, augmentant directement la pression sociale sur les 剩 女. Mais toutes ne culpabilisent pas.

La réalité est qu’en Chine, l’âge moyen du mariage recule. Les filles les plus éduquées, indépendantes financièrement ne l’envisagent plus avant 30 ou 34 ans. C’est le cas de Chen Xin 34 ans dont l’histoire est racontée dans une enquête de « Marie-Claire » sur les 剩 女 qui l’assument tout en faisant le désespoir de leurs parents. Lire : Modernité et familles élargies. Emancipation des femmes et divorce.

Diplômée, travaillant dans une ONG internationale de protection de l’environnement, bien payée, habitant avec une amie dans un grand appartement à Pékin, elle ne veut pas se marier, fait peur aux hommes et le malheur de ses parents. Leur modèle fut un temps : Joy Chen sino-américaine qui fut vice-maire de Los Angeles à 31 ans, femme d’affaires et femme politique, mariée à 38 ans et mère de deux filles dont le livre « Ne vous mariez pas avant 30 ans  » eut un succès considérable en Chine.

Dans un contexte général où l’institution traditionnelle du mariage est bouleversée avec des taux de divorces, 14 fois plus élevés qu’il y a 30 ans, le Parti qui dit faire la promotion des femmes tout en freinant leur ascension politique, lutte en réalité indirectement contre leurs tendances émancipatrices en supprimant toutes les aides sociales qui, il y a encore peu, favorisaient l’enfant unique, les célibataires ou les mariages tardifs.

Dans une société connaissant un regain des traditions patriarcales où les femmes seules n’ont toujours pas de statut, les « indépendantes » affichant leur volonté de vivre hors des normes familiales gouvernées par un mari conférant une existence sociale à l’épouse, sont marginales.

Doublement brimées.

La majorité des filles sont doublement laissées pour compte victimes à la fois des pressions qui les somment avec insistance de se marier coûte que coûte et du patriarcat donnant la priorité au garçons seuls bénéficiaires des aides financières parentales, notamment pour l’achat d’un logement.

Interviewée récemment par Kenneth Tan pour le « Shanghaiist  », Leta Hong Fischer qui ne fait pas dans la dentelle, estime que les femmes chinoises ont en réalité « largement été tenues à l’écart de la plus vaste accumulation de richesse de l’histoire humaine ». Son étude citée plus haut, directement en rapport avec la question du mariage et des Sheng Nü, analyse les conditions de la propriété immobilière pour les jeunes femmes tributaires de l’aide familiale, mais victime de ségrégation sexiste.

En Chine dit-elle, les mouvements féministes en faveur de l’égalité des femmes et de leurs salaires n’ont pas fait reculer le patriarcat, au contraire. Ce dernier est toujours à l’œuvre dans sa version la plus traditionnelle pour l’accession à la propriété directement liée au mariage et dont la société et les publicités des promoteurs immobiliers ont fait une condition.

Les trois conséquences de ce mythe du mâle en âge de se marier que la société force à être propriétaire sont : 1) Sans appartement un jeune homme ne peut espérer convoler ; 2) Les prix immobiliers étant exorbitants, il dépend des ressources de ses parents ; 3) Du fait de leur statut social dégradé, les filles sont exclues du projet immobilier familial, dont les hommes traditionnellement chargés de pourvoir aux besoins de la famille, sont les porteurs exclusifs.

Systématiquement, les parents achètent un bien immobilier pour le fils et pas pour la fille. Il y a même des cas où n’ayant pas de garçon, ils aident financièrement un neveu à devenir propriétaire, tandis que leur fille est laissée pour compte, même si elle aussi aussi aurait voulu avoir son appartement. Ainsi sur les 30 000 milliards de biens immobiliers accumulés en Chine ces 30 dernières années, rares sont les appartements dont le propriétaire n’est pas un homme.

Les femmes même les plus éduquées subjuguées par la propagande et l’opinion publiques forçant les « Sheng Nü  » au mariage, se plient à cette discrimination sans rechigner et sans tenter de prendre leur indépendance.

Ainsi dit Leta Hong Fischer, alors que la mentalité des femmes s’émancipe rejetant les anciens stéréotypes confucéens de l’obéissance au patriarche, les trois facteurs que sont la pression sur les « laissées pour compte  », l’obligation faite aux hommes de devenir propriétaires pour fonder une famille apanage du sexe fort et l’explosion des prix immobilier se conjuguent pour tenir les femmes à l’écart du lucratif boom immobilier.

Qu’elles le veuillent ou non, elles sont reléguées dans une position subalterne, même si les statistiques montrent que, souvent, les femmes ont contribué à l’achat de l’appartement du couple.

*

Ce n’est pas tout. L’arrière-plan culturel fortement patriarcal du pays resurgit, toujours au travers des pressions sociales sur les Sheng Nü, non pas uniquement de manière spontanée à la suite de rémanences culturelles, mais attisé par les politiques volontaristes du pouvoir.

L’un des objectifs affichés depuis une dizaine d’années, croisant une conception eugéniste de la gestion des ressources humaines, vise à améliorer la « qualité générale de la population. »


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