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›› Chronique

« Plan de paix chinois. » Réalités et intentions cachées

Quand Joe Biden était à Kiev affirmant son soutien indéfectible à l’Ukraine, Wang Yi, le MAE chinois était accueilli avec chaleur par Vladimir Poutine. Le 24 il rendait public son plan de paix établi sans consulter Zelensky.


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Le 24 février, jour du premier anniversaire de l’agression russe contre l’Ukraine et trois jours après l’arrivée à Moscou de Wang Yi, ancien ministre des Affaires étrangères, promu depuis le 20e Congrès Directeur du Bureau Central des Affaires étrangères et n° 15 du Bureau Politique, Pékin a dévoilé le détail de ce que nombre de commentateurs désignent comme un «  le plan de paix chinois  » mais que Pékin appelle plus prosaïquement « La position chinoise sur le règlement politique de la crise ukrainienne ». Lire : China’s Position on the Political Settlement of the Ukraine Crisis.

La réalité est qu’avec ses douze points (cf. la liste en annexe), la proposition n’indique pas de changement substantiel dans le positionnement international de Pékin. Conformément à la rhétorique précédente, le document critique les sanctions, appelle à se conformer à la Charte des NU et invite les parties à consentir à des pourparlers de paix.

En même temps, il répète une fois encore l’exigence de respecter le principe d’intégrité territoriale des pays souverains, mais, soulignant que la sécurité des uns ne saurait s’imposer au détriment de celle des autres, il reconnaît implicitement la responsabilité de l’Amérique et de l’OTAN dans le déclenchement de la guerre.

Alors que la guerre fait rage, la démarche révèle la volonté paradoxale du Parti de se présenter comme un intermédiaire crédible d’une solution pacifique à la guerre en Ukraine, tout en accommodant des contraires à première vue irréconciliables. D’une part, ses relations heurtées avec l’Amérique et l’Occident et d’autre part, sa proximité « sans limites » avec la Russie de Vladimir Poutine affichée le 4 février à l’ouverture des Jeux d’hiver à Pékin.

Sans surprise la démarche chinoise est dénigrée par Washington. Jack Sullivan, Conseiller pour la sécurité nationale souligne en effet que « La guerre pourrait cesser demain si la Russie cessait ses attaques et retirait ses troupes » (…) « Ce n’est ni l’Ukraine, ni l’OTAN, ni les États-Unis qui ont attaqué la Russie. La guerre fut une décision de Poutine  ». Curieusement le président Zelinsky a dressé l’oreille.

Le jeu de Zelinsky et les arrière-pensées de Pékin.

Le lendemain de la proposition chinoise le Président Zelinsky a exprimé son souhait de rencontrer le Président Xi Jinping au milieu de rumeurs indiquant que la Chine allait vendre des drones d’attaque à Moscou. « J’aimerais vraiment croire que Pékin ne vendra pas d’armes à la Russie » a t-il dit. Si Pékin franchissait cette « ligne rouge » le conflit changerait radicalement de nature et Xi Jinping aurait définitivement tourné la page Deng Xiaoping qui conseillait la prudence stratégique.


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Pour l’instant, alors que sur le terrain, la guerre se poursuit avec ses destructions, ses victimes et ses souffrances, l’initiative de Pékin applaudie par Vladimir Poutine qui a accueilli Wang Yi en levant les bras au ciel de satisfaction, a aussi attiré l’intention de Volodymyr Zelinsky.

Sa première réaction fut critique. Elle soulignait d’abord la grave lacune que Pékin ne l’avait pas consulté pour établir son plan de paix. De surcroît, la proposition chinoise omettait non seulement de préciser que la guerre avait été déclenchée par Moscou, mais aussi de définir les contours du « territoire national  » ukrainien dont une partie a été annexée de manière illégale.

Peu après pourtant - peut-être est-ce un coup de pied de l’âne destiné à souligner l’incohérence d’une proposition de « règlement » qui ne consulte qu’une seule des parties -, le Président ukrainien qui continue de refuser catégoriquement toute négociation avec Vladimir Poutine, a manifesté le souhait de rencontrer Xi Jinping.

Lors d’une conférence de presse tenue le 24 février, à l’occasion du premier anniversaire du déclenchement de la guerre, il a noté, « avec plaisir » dit-il, que dans son plan de paix, Pékin mentionnait aussi l’impératif de ne pas attenter à l’intégrité territoriale d’un pays souverain. « Or – précise Zelinsky - notre territoire a été attaqué ». « Pour l’instant  » dit-il, « c’est un signal positif  ». Prudent il ajoute, « j’ignore quelle sera la suite ».

Alors que nombre de commentaires constatent que l’influence internationale de la Chine est, par le truchement de sa proximité avec Moscou, sortie de son lit régional asiatique pour s’investir dans le grand bain de la situation stratégique globale, la persistance de contradictions entre l’intention de jouer les arbitres et la proximité stratégique avec une seule des parties, jette une ombre sur la médiation chinoise.

Le doute s’épaissit depuis que l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel » donnant corps aux accusations américaines, a, le 23 février, révélé que « Bingo Intelligent Aviation Technology  » une entreprise de Xi’an serait en négociation avec la Russie pour lui vendre 100 exemplaires de son drone « ZT-180 » capable d’emporter une charge militaire de 35 à 50 kg.

Face à ce qu’il faut bien considérer comme une confusion dont la première conséquence est d’affaiblir la crédibilité de Pékin sur ce dossier, il faut s’interroger sur les intentions cachées de la manœuvre.

Le jeu allusif chinois. Séduire les partisans de la paix en Europe. Protéger Taïwan contre l’Amérique.

Les propositions chinoises sur l’intangibilités des frontières renvoient à la question de Taïwan, dont Pékin répète qu’elle est partie intangible du territoire chinois. La photo de gauche montre le Palais présidentiel de style nippon datant des 50 années d’occupation de l’Île par le Japon (1895 – 1945).

A droite J.-P. Raffarin décoré en 2019 de la « médaille de l’amitié  » par le Président Xi Jinping. Ami de la Chine l’ancien premier ministre fait partie de ceux qui, en Europe, ont accueilli favorablement le plan chinois. Mais, auteur avec Claude Leblanc de «  Chine Le grand paradoxe », Michel Lafon 2019, il regrette le déclassement stratégique de l’Europe, sa soumission à l’Amérique et se défend d’être un inconditionnel du régime chinois qu’il examine avec lucidité dans son livre.


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Wang Yi, le rappelle lui-même, l’ancienne sagesse chinoise dont il faut bien reconnaître que l’ADN révolutionnaire et brutal du Parti s’est assez souvent écarté, spécule que « de toute crise peut surgir une opportunité » [1].

La vérité de cet opportunisme est que ramenant comme toujours le contexte à sa priorité stratégique des tensions avec les États-Unis et l’Europe, le Parti tente une récupération à son profit de la guerre en Ukraine.

En se présentant comme un médiateur de paix, il espère d’abord séduire ses correspondants européens avec qui Pékin n’est plus en très bons termes depuis qu’en mars 2021, à la suite d’échanges de sanctions entre Pékin et les parlementaire européens sur la question de l’oppression des Ouïghour au Xinjiang, le parlement européen a suspendu la ratification de l’accord sur les investissements signé en décembre 2020. Lire : Chine – Europe. Symbole d’un risque de dislocation globale, l’horizon de l’accord sur les investissements s’obscurcit.

En même temps, rappelant la charte des NU et l’inviolabilité des frontières nationales, il adresse à Washington un rappel de la souveraineté chinoise sur Taïwan réglée par « les Trois communiqués » 1972 (Nixon et Zhou Enlai), 1979 (Carter et Deng Xiaoping) et 1982 (Reagan et Deng Xiaoping). Lire notre article : Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan.

Alors qu’il est improbable que Washington actuellement lourdement engagé dans une rivalité systémique avec Pékin se laisse influencer par la proposition de Wang Yi dont l’arrière-pensée de souveraineté renvoie à la question de Taïwan, certains en Europe sont sensibles à l’approche chinoise en dépit de ses contradictions.

En France Jean-Pierre Raffarin que, depuis crise du SRAS en 2003 [2] le Parti Communiste considère comme « un ami » de la Chine capable de relayer son influence en Europe, a commencé à donner du crédit à l’initiative chinoise de règlement du conflit ukrainien.

Tout en reconnaissant qu’avec Xi Jinping la Chine est aujourd’hui plus « imprévisible » et que l’avenir n’est pas aux utopies, mais aux rapports de forces dont l’Europe « menacée de disparaître de l’histoire  » pourrait se trouver exclue, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac affirme néanmoins que l’appareil chinois est le seul à pouvoir exercer une influence sur Vladimir Poutine.

Dans l’interview donnée à « Public Sénat » le 24 février, dont la fin évoque la réforme des retraites en France, on notera d’abord les doutes de J.-P. Raffarin à l’égard de la cohésion de l’Europe, de la solidité du couple franco-allemand et de son indépendance à l’égard de l’Amérique. En même temps, il analyse la possible coopération de l’Europe avec la Chine en Afrique.

Elle rejoint la prise de conscience de Xi Jinping après de longues années où Pékin faisait cavalier seul : Xi Jinping propose à Paris et Berlin un contournement de l’Amérique par l’Afrique.

En arrière-plan, même si les deux divergent sur la tactique et l’opportunité d’évoquer en pleine guerre des négociations avec l’agresseur russe, une des idées maîtresses de l’interview qui note la faiblesse de l’Europe, recoupe celle de l’essai de François Heisbourg « Le temps des prédateurs » paru en 2020, chez Odile Jacob.

Note(s) :

[1Tous les étudiants de Chinois savent depuis leur première année, que les deux phonèmes du mot « crise 危机 – weiji » désignent à la fois le « danger wei 危 qu’on retrouve dans 危险 – weixian – dangereux et une opportunité 机 – ji – qu’on retrouve dans 机会 – jihui - chance ou occasion. »

[2Lorsqu’en avril 2003, en pleine crise du SRAS (2002-2004), déjà un coronavirus dont le Parti avait d’abord caché le développement à Pékin, Jean-Pierre Raffarin fut l’un des seuls chefs d’État et de gouvernement à ne pas annuler sa visite en Chine, il s’était taillé une réputation de « grand ami des Chinois ».

Par la suite l’appareil a souvent utilisé l’ancien premier ministre français pour relayer ses messages en Occident. Lire l’archive de l’INA : 2003, lorsque Raffarin se rendait en Chine en pleine épidémie de SRAS.


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