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›› Editorial

Quand le G7 cible la Chine, Pékin s’exerce à la médiation en Europe et développe son influence en Asie Centrale

Une réelle capacité d’influence chinoise à Kiev.

Alors que l’offensive russe a coupé Vladimir Poutine de l’Occident, la diplomatie chinoise qui tente d’accréditer sa neutralité en dépit de sa proximité avec Moscou récemment réaffirmée avec éclat, est cependant la seule des cinq permanents pouvant encore espérer influencer le maître du Kremlin, aujourd’hui très dépendant de la Chine.

La réalité est qu’engagé dans une surenchère anti-occidentale à laquelle il donne, au fil de ses discours, une dimension d’affrontement culturel existentiel, Vladimir Poutine est aujourd’hui enfermé par Xi Jinping dans le statut subalterne de « partenaire junior  » révélé par les tensions de la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales dont le premier effet aura été de réduire les choix stratégiques de Moscou.

Depuis plus de trente ans, la balance de la puissance entre les deux penche sans discontinuer et très sensiblement en faveur de la Chine.

Après une phase d’amélioration des relations bilatérales sorties de la concurrence idéologique à la suite de la chute de l’URSS, marquées par l’établissement d’un partenariat stratégique en 1998, suivi en 2001 de la création de l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S) dont la teneur est clairement anti-américaine, la signature treize ans plus tard de vastes contrats de livraison de gaz à la Chine à partir de 2014 (lire : Chine – Russie. Contrats de gaz), avait un temps rééquilibré la relation par la conscience chinoise de sa dépendance à la Russie.

Aujourd’hui le rapport de forces a clairement basculé. Dans l’attelage anti-occidental sino-russe, alors que la Chine tente clairement de ménager à la fois ses relations avec Moscou et son potentiel stratégique et commercial en Europe, la relation Chine – Russie est nettement déséquilibrée, marquée par un rapport de puissance démographique et économique de 1 à 10.

*

En même temps, Pékin bien qu’impliqué comme Moscou dans la même remise en question de l’ordre de l’après-guerre, a par sécurité gardé tous ses fers au feu, tout en se prévalant d’une ancienne coopération avec l’Ukraine.

Élevée, vingt années après l’établissement de relations diplomatiques officielles avec Kiev en 1992, à hauteur d’un partenariat stratégique en 2011, la relation avait connu une période de tensions quand le Président Victor Ioutchenko (2005-2010) avait autorisé la venue à Kiev d’officiels taïwanais. Elle a repris sous de meilleurs auspices avec la présidence Yanukovych (2010-2014).

Politiquement normalisée, renforcée par de puissants échanges commerciaux étatiques [3], la relation stratégique Kiev-Pékin reste ambiguë. Elle fut marquée par la vente en 1998 à Pékin du porte-avions Varyag. Reconstruit à Dalian il est devenu le 1er PA Chinois baptisé « Liaoning ».

Ce n’est pas tout.

Par une initiative qu’aujourd’hui on jugerait aussi insolite qu’imprudente, mais à l’époque favorisée par le délabrement politique de la Russie sous la présidence de Boris Eltsine, en 1995 la stratégie de Pékin de garder tous ses fers au feu, était même allée jusqu’à offrir la garantie de sécurité nucléaire à l’Ukraine de Léonid Kouchma dont il n’est pas anodin de rappeler qu’il avait signé un accord de partenariat spécial avec l’OTAN, avant de s’embourber lui-même dans un scandale de corruption et de se rapprocher à nouveau de Moscou.

Un article du Washington Post du 28 février 2022, rappelle que, fin 2013, Yanukovych et Xi Jinping avaient signé un accord formel de garantie nucléaire à l’Ukraine par Pékin. Wu Dahui professeur de relations internationales à Qinghua remet l’événement en perspective en rappelant que l’épisode faisait partie d’un effort des membres permanents pour tenir sous le boisseau toute tentative de Kiev de développer une dissuasion nucléaire nationale.

L’accord avait fait l’objet le 5 décembre 2013 d’un article du Quotidien du Peuple qui titrait « La Chine offre à l’Ukraine son parapluie nucléaire  » dont il est facile de comprendre pourquoi aujourd’hui il a été effacé des archives du journal en accès libre.

Le retour en arrière sur l’histoire récente montre donc les efforts de Pékin pour rester crédible à la fois à Moscou et en Ukraine, y compris en offrant à Kiev, à contre-courant de sa doctrine d’indépendance nationale, une garantie nucléaire militaire. En même temps, son souci de se tenir à distance des pressions russes sur l’Ukraine, avait même conduit - il s’agit là d’une position de principe impossible à ignorer - l’appareil chinois à ne jamais reconnaître l’annexion de la Crimée en 2014.

Il reste qu’aujourd’hui, contrastant avec l’image d’un faiseur de paix en Europe, le communiqué du G7 qui dénonce les stratégies chinoises d’affirmation de puissance en Asie-Pacifique à Taïwan et en mer de Chine du sud renvoie depuis l’Asie un écho moins rassurant des intentions chinoises.

La carte sauvage du G7 perturbe la stratégie de Pékin.

Confrontée aux ripostes de Washington et des alliés de l’Amérique engagés contre la Chine sur un vaste éventail de secteurs, depuis l’embargo sur les microprocesseurs aux taxes commerciales en passant par les sanctions infligées aux sociétés travaillant au Xinjiang et à celles ayant maintenu des relations avec la Russie, la posture d’apaisement de Pékin se brouille, influant négativement sur sa capacité de médiation en Europe.

A l’origine de ce télescopage néfaste est l’illusion de l’appareil qu’au XXIe siècle, il serait possible de cloisonner les priorités stratégiques en deux narratifs contradictoires à usage politique interne.

Une affirmation de puissance souveraine inflexible en Asie Pacifique, enflammée par des menaces militaires récurrentes contre Taïwan, à l’origine de la riposte du G7 et, en même temps, une posture de médiateur conciliant en Europe dont l’efficacité bien réelle est cependant affaiblie par les tensions tout aussi manifestes du théâtre asiatique.

*

Au-dessus de ce grand écart de comportement stratégique flotte, portée par le discours sur les « initiatives de développement et de sécurité globales  », l’idée qu’à travers ses projets de coopération, notamment dans « le sud global », la Chine pourrait propager un modèle de gouvernance efficace concurrent de celui des démocraties.

C’est bien cet arrière-plan de « rivalité systémique  » que la direction politique chinoise a sans ambiguïté affirmé par le sommet avec les pays d’Asie Centrale, qui a justifié la sévérité de la déclaration du G7.

Organisée à Xi’an en contrepoint du sommet d’Hiroshima la réunion avec les pays d’Asie Centrale à forte population musulmane sunnite (plus de 90% sauf au Kazakhstan où les Musulmans ne représentent que 72%) dont les régimes politiques autocrates sont tous à des degrés divers articulés à la résistance aux influences de l’Islam radical, y compris en exagérant la menace, était à la fois une mise en scène de riposte au G7 et, aux yeux de Xi Jinping qui l’a répété dans son discours d’ouverture le 19 mai dernier, un exemple de l’efficacité du système de gouvernance chinois.

L’élan politique exemplaire de développement et de sécurité se diffusera, dit Xi Jinping, « à partir du 20e Congrès du Parti qui renforcera les échanges théoriques et pratiques sur la modernisation, avec les pays d’Asie centrale. » (…) et « Il mettra en synergie les stratégies de développement, créera davantage d’opportunités de coopération et fera progresser conjointement le processus de modernisation de la Chine et des cinq pays d’Asie Centrale. »

Au passage, face à ces anciennes républiques soviétiques encore très marquées par le parrainage politique de Moscou, le Président chinois n’a pas dit un mot de la guerre en Ukraine et de la Russie dont le recul de l’influence sur ce glacis commun était déjà perceptible lors du sommet de l’OCS à Samarkand, les 15 et 16 septembre 2022. Lire : A Samarkand, les hiatus de la réunion de l’OCS.

Cette fois l’attention particulière portée par Xi Jinping au Turkménistan, seul pays de la région non membre de l’O.C.S ayant, depuis près de vingt ans, pris ses distances avec Moscou, où règne une dictature héréditaire fermée à l’étranger dominée par la mégalomanie d’un très exubérant culte de la personnalité réprimant les signes extérieurs visibles de la religion musulmane, en dit long sur le rapport de Xi Jinping à la religion et sur ses intentions de concurrencer l’influence russe.

Note(s) :

[3Selon des sources ukrainiennes, illustrant la stratégie à plusieurs faces de Pékin à partir de 2016 – deux années après l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine -, les relations commerciales entre Kiev et Pékin ont quintuplé. Passées de 50 à 260 millions de $ en 2021, elles ont été réalisées pour la plupart par des entreprises publiques des deux bords.


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