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Réflexions sur l’assurance maladie, le « big data » chinois et les évolutions du monde

Une société en quête de confiance.

Envers les autorités et les grands groupes la défiance s’enracine dans la vieille culture rebelle de la périphérie à l’égard du centre et des puissants. Bloomberg rappelle qu’en Chine chacun se souvient non sans autodérision que le pays a le record mondial des contrefaçons vendues par Alibaba au monde entier, tandis que l’effrayant souvenir du lait frelaté en 2009 reste dans toutes les mémoires.

Près de 300 000 enfants furent empoisonnés parmi lesquels 6 perdirent la vie. A la suite de quoi, la PDG de Sanlu, Tian Wenhua fut condamnée à perpétuité tandis que Zhang Yujun et Geng Jinping qui avaient produit et vendu de la « poudre de protéine », un mélange de mélamine et d’amidon de malt au lieu du lait en poudre, furent condamnés à mort et exécutés.

Entre particuliers et hors des cercles des familles et des clans, la confiance n’est pas non plus au meilleur niveau. A l’été 2018, la cour de Suqian, 400 km au Nord-ouest de Shanghai dans le Jiangsu a condamné 11 personnes, presque toutes de la même famille pour près de 150 escroqueries aux rencontres amoureuses en ligne en vue de mariage.

Sévèrement condamnés à des amendes allant de 200 000 à 30 millions de Yuan (25 000 à 4 millions d’€) et à des peines de prison de 6 mois à 11 années, les fraudeurs mettaient en ligne de fausses identités de jeunes filles pour soutirer de l’argent à des prétendants naïfs.

L’imagination des tricheurs qui comme sur le réseau net en Occident tente de manipuler la compassion, excelle aussi à tirer profit des controverses politiques à la mode. En décembre 2018, une autre escroquerie mettait en scène des ressortissants de Hong Kong harcelés par le pouvoir et demandant de l’aide.

Pour l’instant et compte tenu d’une situation où hors des cercles familiaux et des connivences claniques, la société ressemble parfois à la haute mer où tout est permis au point que le Chinois moyen la voit « infestée de pirates », la classe moyenne – cible politique majeure du régime comptant plusieurs centaines de millions de personnes – adhère aux efforts de redressement de la confiance, même au prix de la multiplication intrusive de systèmes de crédits sociaux, véritable épidémie de surveillance des particuliers par des institutions officielles ou privées, dont le nombre dépasse déjà 150.

« Il est urgent de reconstruire la confiance sociale et morale dans les affaires, la sécurité alimentaire et envers les pouvoir publics » dit Lin junye. Considéré en Chine comme le père du crédit social, il estime que la mise en fiche est aussi un « formidable outil de la lutte anti-terroriste ».

Li Ming, conseiller financier et membre de l’Institut « Big Data » de Pékin est du même avis : « le gouvernement veut créer une société de confiance articulée à l’intégrité ». Chen Tan, professeur à l’Université de Canton explique que le système de surveillance sociale et politique est une généralisation de l’ancien 人事 当案 renshi dang an établi par le Parti au milieu des années 90 pour contrôler la probité des cadres de l’appareil.

Premières critiques mises sous le boisseau

A l’été 2018, « les listes noires » comptaient déjà près de 7,5 millions de noms ciblés non seulement pour leur comportement économique et financier, mais aussi moral, social et politique.

Une riposte encore ténue de la conscience sociale et des risques orwelliens est en train de naître en Chine. Le cas de Liu Hu journaliste ayant dénoncé à la fois la corruption et les dérives toxiques des systèmes de crédit social, est emblématique.

Originaire de la mégalopole de Chongqing dans le Sichuan, il fut arrêté en 2013 pour avoir dénoncé la corruption de Ma Zhengqi, vice-maire de Chongqing.

la suite de quoi, bien qu’il ait sous la contrainte, présenté des excuses, son « crédit social » fut sévèrement abaissé et ses comptes des réseaux sociaux fermés. Comme le prévoit le crédit social, sa capacité à acheter des billets de train, à contracter des emprunts et à se déplacer sur le territoire ainsi qu’à l’étranger, est sévèrement réduite.

L’Occident et l’illusion du « big data ».

Mais on aurait tort de croire que le système de crédit n’existe qu’en Chine. Créée en 1969, la société Acxiom Corporation dont le siège est à Little Rock dans l’Arkansas, spécialisée entre autres, dans ce qu’elle appelle pudiquement « la donnée client », détient des données confidentielles sur plus de 160 millions d’Américains. Elle a ouvert des bureaux aux États-Unis au Royaume Uni, en France, en Allemagne, aux Pays Bas, en Pologne, en Amérique du sud et même en Chine.

En Chine précisément où l’indépendance de la justice et l’État de droit n’existent pas, la frontière entre la surveillance socio-politique et les enquêtes financières par le « big data » est plus ténue qu’ailleurs. C’est pourquoi, le phénomène y a pris l’ampleur d’une épidémie virale.

Mais il serait naïf d’imaginer que l’Occident plus vertueux serait par nature protégé de la soif inquisitrice et cupide des médias, des sociétés de services financiers, d’assurance ou de marketing. Et qui peut garantir que nous-mêmes serions complètement protégés par la vertu du droit, des intrusions politiques dans nos sphères privées ?

Sans compter que les ingérences intempestives dans la vie des gens par le numérique généralisé sont aussi motivées par l’illusion de « l’intelligence » dite « artificielle » pouvant prédire l’avenir et limiter l’incertitude comme les risques. Autant d’obsessions intéressant à la fois les sociétés d’assurance, les hommes d’affaires et bien sûr les politiques.

En juillet 2013, « Le Monde Diplomatique » publiait un article intitulé « Mise en données du Monde, le déluge numérique ». Il était signé de Kenneth Cukier journaliste américain auteur de livres sur les interactions entre les nouvelles technologies et la société, notamment « Big Data : A Revolution that Will Transform How We Work, Live and Think, » Boston, Houghton Mifflin Harcourt.ISBN 978-0544002692 et de Viktor Mayer-Schönberger, coauteur du même livre, professeur de la gouvernance Internet à l’Université d’Oxford.

On peut y lire quelques idées qui méritent réflexion sur l’évolution des sociétés occidentales. Résumons à l’idée maîtresse : l’article met en évidence le fantasme utopique de réduire l’anxiété économique, sociale, politique et même existentielle par le truchement des algorithmes capables de brasser en un temps record des milliards de données. Les démiurges du « Big Data » croient que la masse des informations non répertoriées et non hiérarchisées peuvent percer le mystère de l’impromptu. Ils se trompent.

Lisons avec attention la conclusion : « De la fonction attribuée aux données de masse dépend la survie de la notion de progrès. Elles facilitent l’expérimentation et l’exploration, mais elles se taisent quand apparaît l’étincelle de l’invention. Si Henry Ford avait interrogé des algorithmes informatiques pour évaluer les attentes des consommateurs, ils lui auraient probablement répondu : “Des chevaux plus rapides“ ».


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