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›› Politique intérieure

Répressions internes et coercitions internationales

La récente libération par Pékin des lanceurs d’alerte qui en 2020 défièrent l’opacité du régime et révélèrent le surgissement de l’épidémie mondiale de Covid-19 à Wuhan est l’occasion de revenir sur les méthodes de coercition suppressives de l’appareil dont il faut bien constater qu’au-delà de la mise en scène d’apaisement aujourd’hui à l’œuvre en Ukraine, elles sont assez souvent et de plus en plus la marque de la politique étrangère chinoise.

Le fait est que depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, la tendance à privilégier le rapport de forces en riposte à ce que Pékin perçoit comme une arrogance occidentale, se précise.

A l’intérieur, les récents gestes de mansuétude à l’égard de lanceurs d’alertes qui dénonçaient les mensonges sont les arbres qui cachent la forêt. Le 30 avril, Fang Bin, un homme d’affaires du secteur de la confection condamné et emprisonné en février 2020 pour avoir diffusé sur les réseaux sociaux le marasme des hôpitaux de Wuhan submergés par l’explosion rapide de l’épidémie, a été libéré.

Ses reportages mis en ligne montrant les couloirs de l’hôpital central encombrés de malades et de leurs familles affolées, tandis qu’à l’extérieur on entassait les sacs mortuaires des victimes dans des camionnettes, contredisaient le discours officiel cachant la réalité au reste de la planète et à l’OMS, selon lequel le virus était sous contrôle.

La dernière vidéo de Fang Bin le montrait choqué aux larmes par le décès dans la nuit du 7 au 8 février 2020 de l’ophtalmologue de 34 ans Li Wenliang qui, peu avant, avait été réprimandé par la police pour avoir partagé par SMS ses inquiétudes sur la diffusion rapide d’un virus inconnu.

On lui reprochait de menacer la stabilité sociale, dont le contrôle par tous les moyens pour éviter un embrasement dont l’ampleur menacerait le régime, est depuis 1949 et au-delà de tous les essais de libéralisation politique, la pierre angulaire de la relation de pouvoir entre l’appareil et la société.

Au passage, dans cette dernière communication avant son arrestation, Fang Bin avait aussi mentionné son collègue avocat et journaliste Chen Qiushi [1] arrêté début février. Il ajoutait que lui devait sa liberté à la force de son audience sur les réseaux sociaux. Il se trompait.

Non seulement il a été arrêté comme les autres, mais parmi les lanceurs d’alertes mis sous les verrous en 2020, il est l’un de ceux qui resta le plus longtemps emprisonné. La raison en est que, le 9 février 2020, il fut l’un des seuls à appeler à une insurrection « Révoltons-nous et rendons le pouvoir au peuple 起义- 把权力还给人民 ».

Mais « l’arbre » de la libération de Fang Bin cache la forêt des répressions qui n’ont pas de cesse. Zhang Zhan 张展, 40 ans, une autre lanceuse d’alerte, avocate radiée du barreau en 2020 pour son militantisme, est toujours en prison.

Elle eut le grand tort d’être distinguée par « Reporter Sans Frontières » pour son action en faveur de la liberté de la presse, une des « caractéristiques occidentales » fermement rejetée par le parti, tout comme il condamne l’indépendance de la justice dont l’appareil dit qu’elle n’est pas dans la tradition judiciaire chinoise.

Le 28 décembre 2020, après une grève de la faim et des perfusions forcées qui lui sauvèrent la vie, elle a été condamnée par le tribunal de Pudong à Shanghai où, très affaiblie, elle s’était présentée en chaise roulante, à quatre ans de prison ferme. La charge traduisait une inquiétude politique justifiant la sévérité. « Provocation aux troubles publics et diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. ».

En novembre 2021, au milieu d’une vaste émotion internationale, son cas avait été évoqué par les médias français qui soulignaient qu’elle était « au seuil de la mort. » : Covid-19 : la lanceuse d’alerte chinoise incarcérée est entre « la vie et la mort ».

Pour Gao Yu, journaliste militante, le fait que Zhang Zhan n’ait pas reconnu son crime équivaut à « un manque de coopération ayant pesé en faveur d’une lourde condamnation, pour l’exemple ».

Elle sait de quoi elle parle. Aujourd’hui âgée de 79 ans, accusée d’avoir rendu publique la « Directive n°9  » de Xi Jinping, - ce qu’elle a toujours nié -, elle avait été en 2013 condamnée à sept ans de prison pour « divulgation de secrets d’État ».

La destruction systématique de toute critique se poursuit. Plus la fronde se rapproche d’une remise en cause de la légitimité de l’appareil, plus les sentences répressives sont lourdes.

Note(s) :

[1Chen Qiushi est réapparu le 30 septembre 2021 pour expliquer en termes sibyllins à ses contacts des réseaux sociaux « qu’il avait vécu beaucoup de choses, dont toutes ne pouvaient pas être rendues publiques. » Li Zhehua, un autre lanceur d’alerte, rappeur et présentateur de télévision a été arrêté en février 2020, et libéré un mois-et-demi plus tard.

Au sujet de l’indépendance de la justice en Chine, lire : Xi Jinping et la longue route vers l’indépendance de la justice.

L’article écrit en décembre 2012, un mois après la nomination de Xi Jinping à la tête du parti spéculait encore à tort sur une pensée politique du n°1 respectueuse de la constitution et du droit.

La controverse interne qui contredit l’idée de l’unanimité politique de la société et même de l’appareil avait publiquement éclaté en Chine en 2010, quand une pétition signée par plus de 10 000 Chinois dont trois cent personnalités intitulée « Charte 08 » secoua la scène politique. A ce sujet, lire Le texte intégral de la Charte 08.

A ce sujet, lire aussi :

Lettre ouverte pour une ratification. Dialogue avec la société civile.

Trois années plus tard, et quelques mois après la promotion de Xi Jinping à la tête de l’appareil, la circulaire n°9 (lire « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – ». L’inquiétante panne des réformes politiques), document confidentiel à l’usage des cadres de l’appareil, rendu public par une indiscrétion, était une sévère riposte de la nouvelle tête du régime à ce qui fut perçu par les caciques comme une tentative de contester l’absolue prévalence du Parti.

Elle montre qu’en réalité le rejet du principe d’indépendance de la justice et des médias étaient, en dépit de ses déclarations sur l’importance du droit, restés les pierres angulaires de la pensée de Xi Jinping avec les cinq autres « tabous  » de la société civile, de la vérité historique, des erreurs du parti, des connivences capitalistes de l’appareil et des privilèges de l’oligarchie dont la directive disait qu’ils étaient à des sujets à éviter.

Mais les activistes des droits ne désarment pas.

Quand en 2017, le juge suprême Zhou Qiang avait réuni les magistrats pour leur intimer de se tenir à distance du principe d’indépendance de la justice « étranger à la culture chinoise », He Weifang, ancien professeur à Beida, militant du droit et de la réforme de la justice depuis 1992, lui a répondu sur son blog que le Juge Bao Zheng 包拯, (999 – 1062) figure emblématique de la littérature, du théâtre et de l’opéra de Pékin, de la dynastie Song incarnait dans l’imaginaire populaire chinois le modèle du juge exemplaire enquêteur infaillible, insensible à la corruption et aux injonctions des puissants.


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