Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Société

Sécurité alimentaire ; Répressions ; Ambiguïtés règlementaires et transgressions

Entrée de l’entreprise de production d’huile de céréales 汇福粮油集团 à Langfang , près de Pékin. A premier plan un des camions citernes incriminés par Beijing News. Photo Beijing News.


*

Récemment, les réseaux sociaux explorés par China Digital Times et Andrew Methven ont été inondés de messages protestant contre la perpétuation des pratiques frauduleuses mettant en cause la sécurité alimentaire et menaçant directement la santé des consommateurs.

L’avalanche des commentaires offusqués des internautes a commencé il y a moins d’un mois. Le 2 juillet dernier, Han Futao, 韩福涛, journaliste à Beijing News 新京报 signait un article dévoilant le scandale de citernes de fuel industriel 煤制油 utilisées pour transporter de l’huile alimentaire 食用油.

Ayant, en mai dernier, pour son enquête, suivi la trajectoire d’une citerne contenant trente tonnes d’huile de soja dans le Hebei, il écrit.

« Ce que le public sait moins, c’est que trois jours plus tôt, ce même camion-citerne, aujourd’hui chargé d’huile de soja avait transporté une cargaison de pétrole du Ningxia à Qinhuangdao au Hebei. » [NDLR : au bord du golfe de Bohai, 300 km à l’est de Pékin]. « Après avoir livré son chargement, il a immédiatement été à nouveau chargé d’huile de soja, sans avoir été nettoyé. »

Sarcastique Han, l’auteur de l’article, continuait en révélant le commentaire du conducteur : « C’est un secret connu de tous (公开的秘密). Les citernes ne sont pas nettoyées entre les livraisons. La seule chose qui change c’est le panneau accroché sur le côté du camion qui mentionne « Huile de cuisson » ».

Le scandale touche directement une filiale basée à Tianjin du groupe public « Sinograin - 中储粮 – Zhongchuliang- », créé en 2000, responsable du stockage des réserves de céréales, d’huile et de coton.

Aujourd’hui, le géant de l’agroalimentaire qui emploie 42 000 personnes, compte 23 succursales, 8 filiales réparties dans 31 provinces, régions et communes autonomes et possède des centaines d’installations de stockage dont la capacité globale atteint 90 millions de tonnes.

Le détail le plus navrant de l’affaire est qu’en même temps, Sinograin est chargé de veiller à la sécurité alimentaire des stocks.

Peu après, les déclarations des responsables du groupe et de l’appareil traduisirent une gêne palpable. Le 6 juillet, sur WeiBo, le groupe céréalier faisait état des dispositions qu’il avait prises pour vérifier que les citernes entrantes et sortant de ses dépôts se conformaient aux règles de sécurité alimentaire.

Il ajoutait que « les responsables du transport ayant violé la réglementation seront immédiatement arrêtés. » Le 8 juillet, la chaîne de TV publique CCTV marquait clairement que le pouvoir prenait ses distances avec Sinograin, en accusant les responsables d’avoir pris le risque « d’empoisonner les consommateurs à des fins d’économie. »

Sur WeChat, la chaîne rajoutait un commentaire peu amène : « Alors que Sinograin tente de rattraper son erreur, les consommateurs restent confus et abasourdis ».

En même temps, pour relativiser les responsabilités publiques évidentes, la censure bloqua assez vite les échanges sur le sujet.

Après quoi elle s’efforça de canaliser l’opinion vers le récent scandale de grande ampleur qui court au Japon depuis mars 2024, ayant secoué le groupe Kobayashi Pharmaceutical dont le complément alimentaire à base de « levure de riz rouge » a provoqué le décès de nombreuses personnes [1].

Une longue histoire de produits frelatés et de sanctions.

Il n’en reste pas moins qu’en Chine, en dépit des sévères sanctions infligées aux fraudeurs, la mémoire des scandales passés perpétue le sentiment public que le secteur de la sécurité alimentaire est mal surveillé et sous règlementé.

La liste des antécédents d’intoxication alimentaires est longue. On se souvient notamment des protéines de blé contaminées, des eaux usées utilisées pour la fabrication du tofu, du miel dilué dans du sirop de betterave ou de riz, de l’utilisation de sel industriel et surtout des bébés sous-nutris par du lait frelaté et décédés.

En 2004, une enquête avait révélé le déficit de protéines dans la poudre de lait pour nourrisson. En 2008, l’ajout de mélanine – utilisée dans la production de plastic – [2] dans le lait en poudre avait entrainé des insuffisances rénales chez les nourrissons. 300 000 avaient été empoisonnés et 54 000 hospitalisés, dont six sont morts.

Les Chinois gardent aussi en mémoire la brutalité de la répression qui s’était abattue sur les fraudeurs – notamment sur les responsables du groupe laitier Sanlu déclaré en faillite en 2009 - dont les malversations avaient gravement écorné la réputation de l’agroalimentaire chinois à l’étranger.

Au total le secteur fut bouleversé par une série de mesures impitoyables dont la première fut l’exécution le 10 juillet 2007 de Zheng Xiaoyu, Directeur de l’agence en charge des produits alimentaires et pharmaceutiques accusé d’avoir autorisé la mise en circulation de médicaments contre des pots de vin corruption ;

La mise à mort de Zheng fut suivie en 2008 par la démission du ministre Li Changjiang chargé de la qualité ; du limogeage du SG du Parti et du maire de Shijiazhuang ainsi que de l’arrestation de 42 trafiquants ;

Wang Yuliang et Hang Zhiqi, directeurs généraux adjoints de Sanlu furent respectivement condamnés à quinze et huit ans de prison ; et Wu Jusheng, ancien dirigeant, à cinq ans en prison.

Quant à Tian Wenhua, la PDG de Sanlu, elle fut contrainte de démissionner et condamnée à la prison à vie en janvier 2009. En novembre de la même année, deux responsables de la production et de la mise en circulation de lait en poudre frelaté, Zhang Yujun et Geng Jinping condamnés à mort en 2008, ont été exécutés par injection létale.

Sur les réseaux sociaux une partie des commentaires s’est offusqué de la perpétuation de l’esprit de fraude en dépit de la brutalité des sanctions.

Colère des internautes.

Certain notent que les conducteurs des citernes ne se sentent pas concernés : Le patron [de l’entreprise de transport] ne demande pas aux chauffeurs de nettoyer les citernes ; donc ils ne les nettoient pas 老板不让清就不清. La propreté n’est pas l’affaire du patron 清 不是老板的事.

D’autres internautes ont exprimé leur colère que Sinograin n’ait pas jugé bon de s’excuser. Le groupe se contentant de dire sur WeChat qu’il retiendrait la leçon 引以为戒 – Yin Yi Wei Jie ; pas d’excuses 没有道歉 - Daoqian -, pas de rappel des produits 没有召回 - Zhao Hui - ; pas de compensation [pour les préjudices subis] 没有赔偿 - peichang -, et aucun responsable 负责人- Fuzeren - désigné pour la manière dont l’affaire a été traitée 处理 – Chuli -.

Certains, cherchant à analyser les racines d’une situation chaotique (乱象 – Luanxiang -), distinguèrent, les supervisions laxistes 脱管- tuo guan -, les compétitions plus intenses 竞争加剧 - Jingzheng Jiaju [sur les prix]. Divisés par deux de 400 à 200 Yuan la tonne en quelques années, le prix écrasés incitent les transporteurs aux expédients pour combler le manque à gagner.

Du coup, ils chargent tout ce qui est disponible - 般有什么就装什么 Ban you shenme jiu zhuang shenme. Et Il se trouve que ces dernières années la demande de transport d’hydrocarbures liquides dérivés du charbon à partir du Ningxia a augmenté.

Autre raison, l’ambiguïté des règlementations autorisant les expédients ou échappatoires 钻空子 Zuan Kongzi – Mot à mot profiter des failles.

Aucun règlement ne dit que les producteurs d’hydrocarbures seraient responsables de la propreté des citernes 买油的公司不知情 ; ce qui signifie que le nettoyage incombe au transporteur qui, compte tenu de la baisse de ses marges, n’en fait pas une priorité.

Enfin, défaut d’attention commun à toutes les routines bureaucratiques, sources de dysfonctionnements jamais résolus, les responsables ignorent un problème pour en nier l’impact : Le symptôme est traduit par les internautes dans un style bucolique par « Se boucher les oreilles 掩耳 yan er pour voler la cloche 盗铃dao ling ».

Note(s) :

[1Le 21 juillet 2024 le groupe Kobayashi a fait état de 279 décès et de 2274 consultations médicales dont 461 ont nécessité une hospitalisation. Le scandale a aussi éclaté à Taïwan, où 68 cas suspects ont été signalés. Fin juin 2024, 30 Taïwanais victimes d’empoisonnement ont intenté un recours collectif contre la filiale locale du groupe Kobayashi.

[2L’ajout de mélanine industrielle permettait d’améliorer en apparence la valeur nutritionnelle du lait qui paraissait plus riche en protéines qu’il ne l’était en réalité. Les mesures étaient faussées par la forte proportion d’atomes d’azote dans les molécules de mélanine qui permettait d’estampiller le lait frelaté et toxique comme « hautement nutritif ».


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

La vie acrobatique des livreurs de la nébuleuse très compétitive des achats de repas en ligne

Pluies diluviennes au Sud, stress hydrique au Nord et Grands Travaux

Nouvelle attaque au couteau, cette fois contre une Japonaise et son fils

ALIBABA et l’engouement mathématique des jeunes chinois

Américains poignardés et autocritique de la xénophobie par les réseaux sociaux