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›› Politique intérieure

Stabilité sociale, liberté d’expression et droits des particuliers

La rigidité policière est inadaptée à une société en mutation rapide.

Dans toutes ses études Yu accuse la machine sécuritaire du régime de ne pas savoir considérer la société autrement qu’ordonnée, stable et étroitement contrôlée, au point que les protestations publiques de masse qui, depuis 20 ans, ne cessent de se multiplier – 8700 en 1993, 180 000 en 2011 – sont analysées non seulement comme des menaces pour le développement économique du pays, mais également pour sa stabilité politique et la pérennité du pouvoir du Parti.

Mais il fait remarquer que les pressions sociales sont aussi l’expression d’un dynamisme, conséquence logique des réformes qui font surgir nombre de contradictions et de frustrations, dont l’apparition est normale dans une société en mutation. Il ajoute que l’obsession de stabilité et le traitement systématique des tumultes par la répression, avatar des régimes autoritaires, provoque en retour une prise de conscience accrue de ses droits par le corps social, dont la réactivité est décuplée par les nouveaux moyens d’information.

Dans ce contexte, la raideur comme l’ubiquité des contrôles et des quadrillages policiers, l’absence de marge de manœuvre laissée à la société par une bureaucratie toujours inquiète de protéger son pouvoir pourraient conduire à une rupture de l’ordre politique et à une perte de contrôle.

Récemment parue en ligne sur China Digital Times, une de ses analyses d’abord publiée par la Fédération des Sciences Sociales de Shanghai en septembre 2012- 上海社会科学界联合会- décortique les dysfonctionnements du contrôle social par l’appareil du Parti, dont il dénonce « l’attitude égoïste et sans retenue exerçant une pression constante sur tous les gouvernements locaux ».

Pour illustrer son propos il revient sur le sort réservé aux « pétitionneurs », pourtant autorisés par la constitution, mais régulièrement placés en résidence surveillée ou dans les centres de détention provisoires selon le principe abusif du Laojiao : « placés sous la pression du gouvernement central, les autorités des provinces considèrent les pétitionneurs comme un important facteur d’instabilité et ont adopté diverses tactiques d’oppression allant jusqu’à la détention illégale » (…) « La contradiction entre la légalité formelle sur papier et l’illégalité réelle sur le terrain reflète les dangers de la rigidité, où l’obsession de suppression masque de considérables risques politiques ».

Elle génère un schéma répressif univoque, sclérosant et dangereux.

L’obsession de stabilité, préoccupation majeure des cadres locaux, en partie jugés sur leur capacité à contrôler la société et à éviter les tumultes, obère en grande partie leur capacité de travail et de réflexion. Elle nourrit un schéma politique inflexible et univoque : « toujours durcir les contrôles, ne jamais les desserrer », dans un contexte où l’attitude des bureaucraties face aux problèmes sociaux est d’en retarder indéfiniment la solution, du moins aussi longtemps qu’ils ne risquent pas d’avoir un impact sur leur carrière.

Face au déluge d’informations souvent critiques ou aux rumeurs du net, dont la fébrilité est un outil de mobilisation contestataire, la rigidité s’exprime aussi par la censure, ou le déni sans dialogue, dont les effets affaiblissent l’autorité du pouvoir politique, principal facteur de l’ordre social. « Dès lors que le public commence à perdre confiance dans le gouvernement, surgissent les risques de panique et de chaos, contre lesquelles les seules mesures possibles sont alors d’engager la Police Armée Populaire au prix d’un risque de fracture entre le peuple et le pouvoir ».

L’évolution politique de la société exige souplesse et dynamisme.

Ainsi Yu Jianrong démontre que, dans un contexte où les Chinois sont de plus en plus conscients de leurs droits et où les échauffourées et protestations sociales ne cesseront pas, il est urgent d’abandonner le traitement rigide des crises et d’y faire face avec plus de souplesse.

En effet « dans une société de plus en plus ouverte et démocratique, le véritable équilibre politique ne saurait être le résultat de répressions lourdes de type maoïste ; dans ces temps difficiles de conflits sociaux, il est nécessaire de repenser le concept de stabilité sociale ».

Yu ajoute que « sur le long terme, celle-ci ne peut s’appuyer que sur la protection des droits des citoyens et sur l’existence de mécanismes permettant de transmettre efficacement les doléances ; en revanche la violation des droits par la police, au prétexte de préserver la stabilité sociale, ne produit qu’un apaisement éphémère et fragile ».

La nouvelle forme de stabilité doit être non plus « rigide et statique », mais « dynamique » et dans une « perpétuelle recherche d’équilibre », adaptée aux mutations en cours, notamment dans un phase de l’évolution de la Chine où les conflits viennent en partie de la nouvelle conscience que les citoyens ont de leurs droits. Dans ce contexte, l’équilibre politique, réside dans un partage plus juste des fruits de la croissance, le respect de la constitution et un système judiciaire indépendant.

Au passage, Yu rappelle qu’en Chine les sources de conflits résident souvent dans la mauvaise application de la constitution et des lois par la bureaucratie qui les adapte ou les contourne par des directives partielles.

Question Chine avait déjà évoqué à plusieurs reprises les analyses de Yu Jianrong. En 2009, sa vision était moins pessimiste, puisqu’il n’anticipait pas de rupture politique, au contraire de son papier de septembre 2012. Cette fois il met en garde contre les risques de grave crise pour le Régime posés par la rigidité des répressions qui prétendent tenir sous le boisseau une société en mutation rapide et de plus en plus consciente de ses Droits.

Lire aussi :

Consignes de souplesse aux juges intermédiaires. Réflexions sur la démocratie

L’obsession de stabilité sociale, principal obstacle au développement d’une société civile dynamique et responsable

Les contradictions du droit à pétition


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Par Caligula Le 23/02/2013 à 22h15

Stabilité sociale, liberté d’expression et droits des particuliers.

La répression exercée par le régime n’est-elle pas une fuite en avant ?

Car sur le plan économique, même si une baisse sensible a été enregistrée suite à la crise, les voyants sont au verts. Hors, l’économie ; ou plutôt son absence ; a été un des facteurs de la chutte de l’URSS. Reste le facteur humain, et là force est de constater que la libéralisation, partielle, de la société amène des changements dans les mentalités qui paraissent ne pas avoir été prises en compte par le pouvoir. D’où la fuite en avant.

N’y a-t-il pas comme un antagonisme entre d’un côté la modernisation des institutions, la hausse du niveau de vie, la prise en compte de l’environnement, l’ouverture au reste du monde, internet...et de l’autre le gouvernement qui réagit, quelquefois, comme un régime autoritaire ?

N’y a-t-il pas, non plus, un trop grand nombre d’intermédiaire entre le bureau central (siége des décisions), et les éxécutants (de ces décisions) au sein des différentes provinces, sans parler des cantons ?

Et l’armée dans tout ça ? Est-elle vraiment tenue par le pouvoir ?

Je sais, cela fait beaucoup de questions, mais c’est un sujet (la Chine) que j’aime bien...

Salutations.

Par François Danjou Le 24/02/2013 à 10h47

Stabilité sociale, liberté d’expression et droits des particuliers.

Merci de vos encouragements et merci aussi d’avoir corrigé la coquille, restée en ligne en dépit de nos relectures. Vos questions touchent au fond des choses. Partout, en France aux Etats-Unis, comme en Chine, les esprits évoluent moins vite que le nombre de téléphones portables.

Et un affichage de modernité, comme on la voit dans de nombreuses parties de la Chine de l’Est et de plus en plus ailleurs, n’est pas forcément le gage d’une plus grande souplesse du pouvoir, surtout quand celui est prisonnier de la rémanence des intérêts acquis, dont les ramifications descendent jusqu’aux administrations provinciales et locales.

Cette question renvoie à la cohérence entre le Centre, les provinces, les préfectures, les districts et les villages, dont, parfois, les intérêts divergent. Les cadres locaux abondent leur budget, souvent insuffisant - et parfois ils en profitent pour arrondir leurs finances privées -, par des captations de terre ou des collusions avec des projets lucratifs polluants, qui provoquent une instabilité sociale et politique, aggravée par Internet.

Cette observation touche à plusieurs autres questions, dont la première est liée aux ressources financières de l’Etat, elles-mêmes bridées par les intérêts acquis et encore par l’idéologie. Elle est liée à des questions sensibles comme celle des taxes à la propriété, toujours taboue dans un schéma politique qui se réclame encore du communisme, aux impôts des forteresses protégées que sont les grands groupes publics et aux vieilles habitudes encore mal corrigées de gaspillage du capital et du travail, dont il est essentiel d’augmenter la rentabilité.

En effet, plus la société chinoise évoluera vers les exigences de qualité de vie et celles d’un meilleur développement individuel, plus il deviendra urgent que l’Etat consacre des moyens financiers aux questions sociales et à l’éducation – il a commencé à le faire depuis plusieurs années -, ce qui réduira les ressources disponibles pour alimenter l’ancien schéma de développement, articulé autour des investissements publics et de l’export.

Dans un contexte où la ressource de main d’œuvre se contracte, il est aussi indispensable de rehausser la rentabilité du travail ce qui suppose un bon qualitatif général, sans oublier de porter attention au monde agricole, en cours de bouleversement par l’exode rural. Certains en Chine estiment que ces mutations vers la modernité ne seront possibles qu’au prix d’une réforme politique.

Alors que d’autres craignent que la remise en cause des anciens schémas de pouvoir, et en particulier celui du contrôle de l’appareil judiciaire par le Parti, portent en elle le risque considérable d’une rupture sociale et politique. Telle est, très sommairement exposée, la racine des débats en cours au Parti, qui, ici comme partout, se doublent de querelles de personnes et de clans.

S’agissant de l’APL, en dépit des augmentations très régulières de son budget, aujourd’hui estimé à 140 Mds de $, rien ne dit qu’elle ait réussi à se placer en position de force politique. S’il est vrai qu’en Chine comme ailleurs, les militaires agitent souvent la fibre nationaliste, et donnent volontiers des leçons de rigueur et de patriotisme, leurs organisations, et d’abord la CMC, sont elles-mêmes traversées par de graves symptômes de corruption et de népotisme.

Celles-ci ont d’ailleurs été rappelées par le n°1 du Parti Xi Jinping, qui a pris le contrôle de la CMC dès sa nomination au poste de SG, ce qui tranche avec le schéma précédent, où Jiang Zemin était resté 2 ans à la tête des armées, après sa retraite politique. Une habitude néfaste, héritée de l’époque Deng Xiaoping, qui brouillait le fonctionnement normal du pouvoir. Cette seule incidence ne plaide pas pour l’hypothèse d’un renforcement de l’influence de l’APL, au contraire. Enfin, sans qu’il s’agisse d’un argument décisif, on peut remarquer que la représentation de l’APL au sein du nouveau Comité Central issu du 18e Congrès, est restée stable autour de 17%.

Mais il est évident qu’un flottement du pouvoir politique induira mécaniquement un regain des critiques venant de l’APL, sur la rigueur publique, l’arbitraire social, les déséquilibres du développement, et - sujet tabou entre tous – la séparation du Parti et de l’armée. Sans oublier bien sûr les opportunistes – mais c’est une constante des humains - qui pourraient tirer profit des dissensions civilo-militaires, pour promouvoir leurs carrières.

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