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Une réforme judiciaire aux caractéristiques chinoises

La prévalence du Parti fait obstacle aux progrès de l’appareil judiciaire.

Alors que plus de 230 avocats et activistes des droits ont été harcelés emprisonnés et parfois torturés, le 19 juillet dernier, plus de 40 avocats de Hong Kong avaient lancé une pétition internationale en ligne pour réclamer des procès équitables et transparents de leurs confrères chinois.

Alors que depuis l’accession au pouvoir de l’actuel politburo, les tendances autoritaires se font plus pesantes, la liste s’allonge des avocats des droits ou des critiques trop virulents emprisonnés parfois pour de très longues périodes. Les préjudices vont du simple harcèlement, parfois assorti d’intimidations ou de violences physiques, à de longues peines d’emprisonnement pour les cas les plus sensibles.

Le verdict est particulièrement impitoyable quand les critiques s’expriment par le truchement de médias internationaux ou, pire encore, sur un organe d’information piloté par les États-Unis. Assez souvent les condamnations s’appuient sur des faits mal établis, à la suite de procédures expéditives où les droits de la défense sont floués. Ces dernières années au-delà des exemples récents de la longue cohorte d’avocats des droits harcelés par la sécurité publique, les trois exemples les plus emblématiques de ces pratiques de justice politique, à contre courant des réformes judiciaires, sont ceux de Liu Xiaobo, de Gao Yu et de Ilham Tohti.

Leurs points communs sont leur dénonciation publique des effets pervers de la règle sans partage du Parti et leur relation avec la mouvance internationale des droits. Le cas de Ilham Tohti professeur d’origine ouïghour est très lourdement aggravé par le fait qu’il touche à la question trois fois sensible de l’intégrité du territoire chinois, de la question ethnique et de la sécurité anti-terroriste.

Trois cas emblématiques de procès politiques.

Liu Xiaobo, condamné à 11 ans de prison et qui avait, en décembre 2014, fait passer un message à un ami exhortant la communauté internationale à apporter son appui aux avocats des droits harcelés par le régime, eut le tort de nourrir des connexions étroites avec les États-Unis et d’avoir été distingué par le jury du prix Nobel de la paix à très forte audience internationale. A contre courant de la propagande de l’appareil, il exprimait son angoisse de la nature post-totalitaire du régime, de plus en plus populiste et nationaliste, à la fois cynique et matérialiste, dont les repères ethniques étaient gravement affaiblis.

Venant de l’intérieur du sérail, les critiques contre les dérives corrompues et la montée d’un matérialisme cynique et sans aucun repère n’étaient pas moins dures. L’intellectuel Zhang Musheng, par exemple, décrivait en 2011 la collusion entre les bureaucrates corrompus, la mouvance des « capitalistes rouges » et les intermédiaires parasites, pointant du doigt les tendances vénales des dirigeants parfois connectés aux mafias locales.

Mais, contrairement à Liu Xiaobo, Zhang se gardait de remettre en cause la prévalence du Parti et ne recevait aucun appui de réseaux extérieurs à la Chine que le régime tente aujourd’hui de tenir à distance par tous les moyens.

Madame Gao Yu, (74 ans) journaliste indépendante, célèbre activiste des droits de l’homme déjà emprisonnée en 1989 et 1994, régulièrement accusée de publier des « secrets d’État », purge actuellement une peine de 7 ans de prison, réduite à 5 ans en appel le 26 novembre dernier. Bouc émissaire du régime, Gao Yu avait du se prêter le 8 mai 2014 à une confession publique arrangée, à mille lieues d’une justice moderne où, dans un style rappelant la révolution culturelle, elle avait été contrainte de reconnaître ses « erreurs. »

Harcelée sans preuves et accusée à tort d’avoir été à l’origine de la fuite du très confidentiel « document n°9 » qui mettait en garde contre les influences politiques et culturelles occidentales faisant peser un risque sur la sécurité du Parti et du pays, la journaliste paye surtout sa liberté de ton, ses connexions avec les activistes des droits à Hong Kong et sa proximité avec les médias occidentaux, dont la chaîne allemande Deutsche Welle.

Quant à Ilham Tohti de l’ethnie ouïghour, professeur d’économie à l’université des minorités de Pékin, condamné à la prison à vie le 23 septembre 2014 pour « séparatisme » par un procès expéditif de deux jours, il est le dommage collatéral de l’obsession du régime pour la norme politique et la sinisation des ethnies allogènes. Il a été condamné en dépit d’une longue profession de foi datant de 2011 où il avait proclamé sa détermination à promouvoir l’harmonie entre les Han et les Ouïghours afin, écrivait-il, « d’éviter les conflits ethniques et les assassinats, l’instabilité, la division et le chaos.

La réaction extra-judiciaire extrêmement brutale de la machine politique témoigne aussi de la double crainte existentielle du Parti inquiet de l’aggravation du terrorisme et de l’affaiblissement de la centralisation politique. Surtout, Ilham Tohti avait commis le pêché capital de se prêter à une interview sur le sujet de très haute sensibilité du Xinjiang et de la pertinence des dures répressions exercées contre la communauté ouïghour par l’appareil de sécurité, accordée à Voice of America, véritable chiffon rouge agité sous le nez du régime.

Hors procès politiques les dysfonctionnements continuent.

Ces cas d’école emblématiques, auxquels s’ajoute le regain des pressions contre les avocats des droits depuis juillet 2015, y compris par des actes de torture, touchent à la sécurité politique du régime.

Mais la perpétuation des dérapages du système judiciaire pour des cas non politiques qui vont du harcèlement des pétitionnaires pourtant autorisés par la loi chinoise, au pressions de toutes natures exercées sur ceux qui résistent aux expropriations immobilières et aux captations de terres, prend racine dans la persistance du système de contrôle de la société élaboré par Zhou Yongkang entre 2007 et 2012, où le maître d’œuvre n’est toujours pas la justice mais la sécurité d’État.

Alors que que Zhou a été purgé et condamné à la prison à vie, il n’y en revanche pas de signes que le Parti aurait l’intention d’abandonner le système de contrôle de la société que l’ancien n°9 du politburo avait mis en place, laissant peu de place aux critères d’une justice moderne, indépendante et équitable. Cette réalité qui trouble les frontières entre le judiciaire, le pouvoir politique et la machine sécuritaire coexiste avec l’affichage d’une volonté de moderniser l’appareil judiciaire.

La contradiction explique qu’en dépit des discours, les dysfonctionnements bureaucratiques et éthiques assortis de dérapages préjudiciables à l’image de la justice et du Parti continuent, non seulement sur des sujets politiques ou de sécurité d’État, mais également dans tout l’éventail des cas auxquels sont confrontés les tribunaux, qu’il s’agisse des affaires civiles, pénales, administratives ou commerciales. Il n’est en effet pas rare que les pouvoirs locaux continuent à interférer dans les tribunaux pour protéger leurs intérêts ou ceux de leurs amis.

Récemment la vague d’arrestation a frappé les activistes des droits du travail que, jusqu’à présent, le pouvoir traitait avec plus de mansuétude. Mais, alors que le ralentissement économique exerce de fortes tensions sur le marché du travail ayant provoqué près de 60 mouvements de grèves dans la seule province de Canton, en novembre, 15 activistes syndicaux membres d’ONG ont été arrêtés.

A lire aussi :
- China : Torture and forced confessions rampant amid systematic trampling of lawyers’ rights
- L’obsession de stabilité sociale, principal obstacle au développement d’une société civile dynamique et responsable


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