›› Editorial

Après une phase d’affirmation de puissance qui tournait le dos aux conseils de prudence de Deng Xiaoping, que Jiang Zemin et Hu Jintao avaient suivis tant bien que mal, Xi Jinping, constatant l’émergence de vents contraires antichinois, préconise humilité (qianxun 谦逊) et modestie (qianxu 谦虚).
Selon Wang Hunning, son plus proche conseiller politique, qui avait ainsi caractérisé la différence entre Mao et Deng, Xi passerait du radicalisme maoïste à la souplesse pragmatique de Deng. Il n’en reste pas moins que la bascule traduit une modification majeure du discours extérieur de Pékin. Restent deux questions essentielles :1) L’ajustement du discours a t-il été spontané ou est-il l’effet de pressions internes de l’appareil, inquiet de l’isolement de la Chine ? 2) Quel sera l’effet réel du discours sur la stratégie internationale de Pékin ?
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Le 31 mai, lors d’un séminaire du Bureau Politique, le président Xi Jinping a appelé les cadres de l’appareil à mieux communiquer pour améliorer l’image du pays à l’étranger et désarmer les critiques qui fusent contre la Chine à une fréquence et un niveau rarement observés depuis les années 70.
L’objectif est de gagner la bataille globale de l’image face aux États-Unis et leurs alliés. A cet effet, dit le Président, des experts de haut niveau devront être mobilisés pour exprimer le point de vue de Pékin lors des conférences internationales et à l’attention des médias de la planète.
Il ajoute, cité par Xinhua « Il est nécessaire d’élargir notre cercle d’amis “扩大朋友圈”, précisant que « le pays devrait se montrer ouvert et confiant dans sa communication avec le monde, en même temps que modeste et humble – “该国在与世界的交流中应该“开放和自信, 但也要谦虚 和谦逊“ ».
Ce n’est pas la première fois que l’appareil et les médias publics sont sommés de rectifier leur approche internationale pour diffuser une meilleure image de la Chine et de sa politique étrangère. Cette fois pourtant, les discours pourraient ne pas suffire, même en interne.
La volte-face prend en effet directement à contrepied le narratif sur l’épopée du retour de puissance. Elle heurte les thuriféraires l’ayant adopté sans esprit critique et surtout l’opinion publique enflammée par les discours de grandeur et de rayonnement qu’il est toujours dangereux de décevoir.
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Jusqu’au magistère de Hu Jintao compris (2002 – 2012), l’appareil avait réussi tant bien que mal à diffuser l’image d’une montée en puissance pacifique du pays 和平崛起. Plus encore, il avait préservé l’ambiguïté que sa trajectoire de progrès serait calée sur l’ambition de se conformer aux règles internationales énoncées par les vainqueurs occidentaux de 1945.
En arrière-plan, dominait la puissante habileté stratégique de Deng Xiaoping dont le testament laissé à l’appareil commandait la patience et la dissimulation de sa puissance, aussi longtemps que nécessaire.
Au parti, tout le monde sans exception se souvient du fameux « 韬光养晦 Tao Yang Guang Hui – cachez l’éclat [de votre puissance] et cultivez l’ombre ».
Le difficile retour à Deng Xiaoping et les illusions du consensus.

En arrivant au pouvoir en 2012, puis surtout en 2017 par l’affirmation des « caractéristiques chinoises » vecteurs du « rêve chinois » vers le magistère mondial, Xi Jinping avait tourné le dos aux conseils de prudence stratégique et de patience de Deng Xiaoping « 韬光养晦 – Tao Guang Yang Hui – cachez l’éclat [de votre puissance] et cultivez l’ombre. » Revenir à une stratégie mondiale apaisée, alors que perdurent les contentieux en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, tandis que les envoyés de Pékin continueraient depuis leurs ambassades à exercer leur charge sur le mode du « loup guerrier » pourrait s’avérer difficile. Lire : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre.
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En préconisant le retour à l’humilité 谦逊 et à la modestie 谦虚, le n°1 reconnaît qu’en arrivant au pouvoir en 2012 et plus encore, lors du 19e Congrès à l’automne 2017, il a commis l’erreur de tourner le dos à la mise en garde du « petit Timonier ».
Il est difficile de sous-estimer à quel point ce changement de pied avait à l’époque heurté la longue cohorte des stratèges chinois persuadés qu’en affichant aussi crânement sa puissance à rebours des conseils de prudence, la Chine s’aventurait sur un chemin dangereux.
Aujourd’hui, à l’inverse, la cohésion derrière la volte-face du n°1 exprimée à l’occasion du séminaire politique du 31 mai pourrait bien n’être qu’une façade. En tous cas, alors que les débats politiques internes restent secrets, il est imprudent de considérer qu’un tel changement de pied ne traduirait pas un subtil craquement dans la machine politique du régime.
La soudaine bascule d’une stratégie d’affirmation de puissance globale, principal carburant interne du nationalisme exacerbé de l’opinion, brusquement transformé en un appel à la retenue, celui-là même préconisé par Deng, il y a 30 ans, laisse en effet perplexes les plus fervents nationalistes.
Depuis 2012, ils avancent aux côtés du n°1 sur le chemin de gloire du « rêve chinois » balisé par le « double centenaire - 双百年 - shuang bai nian - » de la création du Parti cette année et de son accession à la tête de la Chine en 2049. Le moins qu’on puisse dire est que ce changement radical de ton et de stratégie les embarrasse.
Il est vrai qu’à l’extérieur comme à l’intérieur, des commentaires se rejoignent pour atténuer à la fois l’idée d’un virage majeur et d’une controverse interne à l’appareil.
Nombre d’analystes occidentaux ne voient dans le changement de pied international de Xi Jinping qu’un faux-semblant tactique. Derrière l’évidence d’une prise de conscience, la manœuvre saute aux yeux. Pour autant, elle ne permet pas de nier les dissensions internes entre les laudateurs du n°1 et ses détracteurs.
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A l’Université Fudan, retournant l’argument impératif de prudence incombant à l’appareil, sommé par Xi Jinping d’élargir la base de ses appuis internationaux, le professeur Zhang Weiwei bascule sans nuance l’exigence du côté des interlocuteurs de la Chine. Faisant cela, ce thuriféraire de l’appareil tente d’atténuer l’impression d’un virage stratégique majeur et d’une remise en question.
« C’est aux interlocuteurs de Pékin », dit-il, de « comprendre la Chine ». Comme si, dans son esprit, le modèle Chinois d’émergence au sein de l’ordre occidental était à ce point évident qu’il ne souffrirait pas qu’on le conteste, même par le dialogue.
Le professeur Zhang semble oublier que la montée en puissance de la Chine 崛起 est aujourd’hui ponctuée par des démonstrations de force tous azimuts, dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du sud, aggravées par les menaces récurrentes de sanctions économiques à la moindre critique de la Chine par des ambassadeurs « loups guerriers ».
A l’intérieur, la répression inflexible des libéraux à Hong Kong et des Ouïghour au Xinjiang, contribue à élargir le fossé entre le modèle chinois autocrate et les démocraties que, depuis plusieurs années, les relais intellectuels du régime ne cessent de critiquer.
La rigidité du commentaire de Zhang, étonnante pour un universitaire, a aussitôt suscité une réplique occidentale par un diplomate allemand pour qui « Le dialogue ne serait possible avec Pékin, qu’à la condition d’adhérer à son modèle ». Lui aussi est convaincu qu’en Chine, la vision du professeur de Fudan d’une émergence internationale du Vieil Empire selon son modèle des « caractéristiques chinoises » ne serait contestée par personne.
Pour autant l’histoire tourmentée du pays, y compris durant le règne du parti depuis 1949, indique que ce monolithisme de la pensée politique chinoise est peu probable.