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›› Editorial

Biden en Asie. Jeux de postures et d’influences. Une hypothèse d’apaisement ?

Le « QUAD » contrepoids à l’expansion chinoise.

Le 24 mai, au milieu d’une longue déclaration à large spectre balayant tous les sujets, depuis les vertus écologiques et la transparence économique jusqu’à la lutte contre l’épidémie en passant par l’éthique d’entreprise et l’éradication de la corruption, figure notamment la volonté de « sauvegarder le droit, pièce maîtresse de l’ordre international, notamment la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), le maintien de la liberté de navigation et de survol, y compris en mer de Chine de l’Est et du sud. »

Et, allusion sans équivoque aux menées impériales chinoises en mer de Chine du sud, la déclaration exprime « la ferme opposition à toute action coercitive, provocatrice ou unilatérale visant à modifier le statu quo et à accroître les tensions dans la région. »

Elle cite « la militarisation des îlots contestés, l’utilisation dangereuse des garde-côtes et des milices maritimes et la perturbation des activités d’exploration des ressources offshore par d’autres pays. ». Lire à ce sujet : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise.

Avec un œil sur les Île Salomon, la mise au point du QUAD se projetait aussi vers le Pacifique sud. « Individuellement et collectivement, nous renforcerons encore notre coopération avec les pays insulaires du Pacifique, afin d’améliorer leur bien-être économique, renforcer leurs infrastructures sanitaires et de transport, leur système éducatif, leur résilience environnementale, soutenir leurs pêcheries et améliorer leur sécurité maritime. »

La composante stratégique anti-chinoise de la déclaration de Tokyo n’a pas échappé à la Direction du parti, qui a aussitôt manifesté sa colère.

Pékin était d’autant plus piqué au vif qu’à la question d’un journaliste qui l’interrogeait à Tokyo sur la réaction de Washington en cas d’attaque chinoise contre Taïwan, le Président américain a répondu que l’Amérique s’impliquerait dans le conflit, avant de se corriger lui-même en affirmant que la politique « d’une seule chine » de l’Amérique n’avait pas changé [2].

Réaction courroucée de Pékin et compétition d’influence dans le Pacifique Sud.

Pour marquer son agacement face à ce qu’elle perçoit comme une cabale destinée à freiner sa montée en puissance, le 25 mai, le lendemain de la déclaration du QUAD, l’armée populaire de libération annonçait sans en préciser les détails, l’organisation de manœuvres aéronavales autour de Taïwan.

L’annonce suivait de 24 heures le survol de l’Asie du Nord-est par des bombardiers chinois et russes, premier exercice conjoint organisé par Moscou et Pékin depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Dans la foulée, le 26 mai, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, à la tête d’une délégation de vingt personnes, commençait aux Îles Salomon, un voyage de dix jours dans huit micro-États du Pacifique sud, avec l’intention d’y conclure aussi des accords de sécurité destinés à protéger les intérêts chinois.

L’élargissement de la trace chinoise vise Kiribati, les Samoa, les Fidji, le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle Guinée et le Timor Oriental. En arrière-plan, la Chine exprime la volonté de s’engager dans une région ayant traditionnellement conservé des liens étroits avec ses principaux rivaux que sont l’Australie et les États-Unis.

En même temps, alors que dans le Pacifique sud, les îles Marshall, Nauru (1400 et 1000 nautiques au NE des Salomon) et Palau (570 nautique à l’Est de Mindanao), restent fidèles à Taïwan, Pékin consolide ses liens avec les pays qui ont récemment tourné le dos à l’Île.

Kiribati est un exemple des fluctuations diplomatiques. Alors qu’en 2003, l’archipel de 32 atolls avait rompu ses relations avec Pékin qui dataient de 1980, pour établir des liens officiels avec Taïwan, il les renouées en 2019, suivant de peu les Îles Salomon.

Au total, la réaction américaine exprimée à Séoul et Tokyo exprime une posture de rééquilibrage stratégique et de freinage face à l’expansionnisme chinois. Alors qu’en Europe, « les couteaux sont tirés » entre Moscou et l’Occident, en Asie, le jeu reste encore limité aux postures d’influence entre les deux premières puissances de la planète, avec cependant, là aussi, un risque d’engrenage néfaste, souligné par Henri Kissinger au forum de Davos.

Le 24 mai, le vieux stratège qui, pour tenir à distance le risque d’engrenage catastrophique, conseillait à l’Ukraine de céder à la Russie des portions de son territoire, a aussi appelé Pékin et Washington à trouver des accommodements raisonnables pour préserver la planète d’un cataclysme.

En substance, très alarmiste, il énonçait que la relation hautement conflictuelle entre Pékin et Washington, aujourd’hui historiquement inédite, présentait l’un pour l’autre une menace existentielle. Dans ce contexte explosif, les deux devaient se convaincre de l’urgence d’un assouplissement politique face au risque qu’un conflit déclaré sans contrôle des armements et sans limites technologiques qui serait une catastrophe pour l’humanité.

En Chine et aux États-Unis, les responsables ont pris conscience du risque. L’ambiance bilatérale reste il est vrai très échauffée, mais les tensions ont baissé d’un cran depuis les brutalités de la rencontre d’Anchorage. Lire p.2 le § « La violence verbale des échanges publics ».

La fragile hypothèse d’une tentative d’apaisement.

Alors qu’en Europe la discorde avec la Russie a dérapé vers la guerre et un risque d’explosion générale, à Pékin on se demande s’il est encore possible de tourner le dos à l’hypothèse mimétique d’une réplique funeste en Asie.

En un mot, peut-on parier que, plus prudents, les esprits pourraient réfléchir à ne pas suivre ce nouvel exemple de suicide européen. Le 26 mai, le Japonais Katsuji Nakazawa, ancien correspondant à Pékin, faisait dans Nikkei l’hypothèse que Pékin aurait fait le premier pas d’un apaisement.

Au moment où les relations sino-américaines s’approchent de l’abime, le Président chinois, échaudé par l’exemple de conflagration en Europe et soucieux de tenir à distance une embardée stratégique catastrophique à huit mois du Congrès, a dépêché à Séoul son meilleur allié, le Vice-Président Wang Qishan.

Connu pour sa réactivité lucide et le pragmatisme efficace dont il avait fait preuve après la secousse politique de la mise à jour des mensonges de l’appareil, en 2003, lors de l’épidémie de SARS à Pékin, l’homme, aujourd’hui âgé de 74 ans, ancien chercheur de l’Académie des Sciences Sociales et historien de formation, est apprécié en Occident.

En Corée du sud cette fois, sa mission était, selon Nakazawa qui cite des sources proches des Américains, d’explorer la possibilité d’une reprise du dialogue au sommet avec Washington.

Le message porté par Wang qui représentait la Chine à un niveau inhabituel pour ce genre d’événement, a été transmis à la délégation américaine conduite par Douglas Emhoff, l’époux de la vice-président Kamala Harris, venue assister à la cérémonie d’investiture du nouveau président sud-Coréen Yoon Suk-yeol, le 10 mai dernier.

La mission discrète pourrait avoir porté ses fruits. Une semaine plus tard, lors d’un échange téléphonique entre Yang Jiechi et Jake Sullivan, Pékin et Washington ont évoqué des échanges de vues possibles sur la péninsule coréenne et sur le conflit ukrainien.

Deux jours après l’échange téléphonique, Jake Sullivan qui, le 19 mai, parlait à des journalistes à bord de l’avion présidentiel « Air Force One », en route vers Séoul, évoquait la possibilité d’une rencontre au sommet. « Je ne serais pas surpris si, dans les semaines à venir, le président Biden et le président Xi se parlaient à nouveau ».

Il est vrai que la déclaration de Biden sur Taïwan à Tokyo, bien qu’aussitôt corrigée, pourrait avoir détruit la perspective d’une rencontre, au moins à court terme. Il reste qu’à Pékin comme à Washington, une année après les féroces échauffourées verbales d’Anchorage, l’humeur est à la reprise du dialogue.

Au cours de la même conférence de presse où, par sa remarque sur Taïwan, il a ulcéré Pékin, Biden avait aussi considéré la possibilité de baisser les taxes punitives infligées à la Chine par D. Trump.

Objectivement Xi Jinping conscient que la levée des taxes soulagerait l’économie chinoise sérieusement mise à mal par les confinements, a aussi intérêt à l’apaisement. Sans compter que politiquement une aggravation des crispations sino-américaines à huit mois du Congrès donnerait l’occasion aux caciques du Parti de lâcher leurs critiques contre lui.

Note(s) :

[2La question de l’engagement de Washington pour défendre l’Île fait aussi débat à Taïwan où ceux qui doutent de l’implication directe de l’armée américaine ne sont pas rares. Lire : L’œil sur la crise en Ukraine, la querelle des concepts de défense. L’implication américaine en question.

Notons aussi que, contrairement aux dénégations de Washington, les États-Unis transgressent déjà les « Trois communiqués » y compris par des coopérations militaires directes ponctuelles dans l’Île.

Enfin, pour replacer la réflexion au bon niveau des risques, la vérité oblige à dire que dans la lutte d’influence que se livrent Pékin et Washington, si la Chine continentale s’emparait militairement de l’Île, la prévalence américaine, non seulement dans la zone Asie Pacifique, mais également ailleurs sur la planète, serait gravement compromise.


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