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›› Taiwan

Branle-bas au KMT

Eric Chu avec son adversaire aux présidentielles Tsai Ing-wen, lors de la fête du Double Dix à Taipei.

Tout en la niant, le KMT ruminait la perspective depuis plusieurs mois, au milieu de fortes tensions internes. La décision formelle aux allures très peu démocratiques, a été prise le 8 octobre et mise en application le 17, lors d’un congrès extraordinaire du Parti, une semaine après la fête nationale. A moins de trois mois des présidentielles du 16 janvier 2016, Hung Hsiu-chu, l’actuelle vice-président du Yuan législatif, a perdu l’investiture du KMT par 891 voix sur 812.

Eric Chu, (朱立倫 – Zhu Lilun), maire du nouveau Taipei et Président du Parti la remplace, en dépit de la promesse qu’il avait faite à ses électeurs de ne pas briguer la succession de Ma Ying-jeou. Signe que le vieux parti nationaliste va mal, c’est la première fois dans l’histoire de la démocratie taïwanaise qu’une formation politique retire l’investiture à son candidat en amont du scrutin.

Hung paye ses erreurs de stratégie par lesquelles elle avait pris le contrepied de la ligne du Parti et de l’opinion, (lire notre article Présidentielles à Taiwan : nervosités à Pékin et ambiguïtés indépendantistes). Ses très faibles performances dans les enquêtes d’opinion – au dernier sondage 15,6% des intentions de vote, soit 8 points de moins qu’en août, contre 46,8% à Tsai Ing-wen, en hausse de près de 7 points - mettaient le parti nationaliste en difficulté, au point que certains de ses candidats aux élections locales préféraient s’inscrire comme « indépendants », plutôt que de risquer d’être catalogué comme « pro-Pékin » aux côtés de Hung.

A l’inverse, les candidats du Min Jin Dang s’affichent volontiers sur des photos avec Tsai qui, jusqu’à présent, mène une campagne sans fautes. La dégringolade de Hung arrivée dans certains sondages en 3e position derrière James Soong, faisait même courir le risque d’une déroute du KMT aux législatives.

Un sentiment d’urgence face à un possible désastre.

Le Parti en a tiré les conclusions dans un bref communiqué très explicite prenant la mesure des enjeux : « Les sondages et les enquêtes sur le terrain ont montré que le Parti devait réajuster sa stratégie pour repartir d’un bon pied. Il était impossible de rester sans réagir à un recul historique de ce niveau, qui risquait d’entraîner nos camarades vers la défaite. Le KMT lutte pour sa survie. L’heure n’est plus aux rivalités de pouvoir ou à la recherche de bénéfices personnels ».

Après son investiture, Chu n’a pas perdu de temps et s’est aussitôt mis en campagne en diabolisant le DPP. Le 17 octobre, il a mis en garde l’opinion contre les conséquences d’une défaite aux législatures qui semble être sa position de repli, comme si la victoire aux présidentielles lui paraissait hors de portée. Son combat, a t-il dit, visera à assurer l’équilibre démocratique des pouvoirs au Yuan Législatif.

Ajoutant que, si le KMT devenait minoritaire au parlement, ou pire, si le nombre de ses députés passait au-dessous de la barre des 30% des sièges, « personne ne serait en mesure d’imaginer ce que ferait le DPP ». Pour faire bonne mesure, Chu a surenchéri sur un mode catastrophiste : « si le KMT perdait la majorité au Yuan législatif, le futur du pays, ainsi que la paix dans le Détroit seraient en danger ». Comme le Min Jin Dang s’est précisément mis en ordre de bataille pour investir le parlement, la bataille sera rude.

Chu a aussi attaqué Tsai sur son refus de reconnaître le « consensus de 1992, d’une seule Chine » et l’a invitée à débattre de ce point et sur sa définition du statuquo, principaux handicaps de la ligne politique du DPP dans ses relations avec Pékin.

Il reste que peu d’observateurs estiment que Chu sera en mesure de combler l’écart creusé avec Tsai. Tout ce que le Parti espère est qu’il stoppera l’hémorragie et conservera la majorité au Yuan législatif. Dans les rangs du KMT monte l’angoisse d’un possible désastre que Ma Ying-jeou s’est ingénié à conjurer dans son discours du Double Dix.

Ma Ying-jeou et les contradictions des relations avec la Chine.

Ma Ying-jeou à la fête nationale, le 10 octobre dernier.

Revenant à sa manière sur l’anniversaire de la reddition japonaise il y a 70 ans, et prenant le contrepied du discours du Parti Communiste, le Président a rappelé que l’armée de Tchang Kai-chek fut en Chine le principal adversaire militaire des Japonais.

Puis il a brossé le bilan de ses 7 années de mandat dont chacun reconnaîtra, en dépit des vives critiques, qu’il est honorable, y compris dans la sphère socio-économique. Sans surprise, il est aussi revenu sur les spectaculaires changements des relations dans le Détroit depuis 2008. Alors que, depuis plus d’un demi-siècle, les deux rives étaient enfermées dans le cul-de-sac d’une très stérile guerre froide, aujourd’hui, 21 accords commerciaux ont été signés, les Taïwanais se rendent en Chine librement depuis 10 aéroports de l’Île qui desservent 71 destinations sur le continent, tandis-que les échanges d’hommes d’affaires, d’étudiants et de touristes se multiplient.

L’image du KMT ternie par les soupçons de connivence avec Pékin.

Mais le Président Ma et le KMT sont à la tête d’un pays particulier aux prises avec une sévère transe identitaire qui les éloigne de la Chine. Enfermés dans une puissante contradiction où se télescopent, d’une part, la force des liens avec la Chine imposés par la géographie et l’histoire dont les vastes opportunités portent l’espoir de progrès socio-économiques et, d’autre part, la crainte existentielle d’être purement et simplement avalés, précisément par les effets de la densification des liens, favorisant une réunification rampante et douce que très peu de Taïwanais, jaloux et fiers de leur système politique, cautionnent.

Et le discours du Double Dix avait beau insister sur la « dignité préservée » des Taïwanais, l’élargissement de l’espace diplomatique de l’Île et le refus d’engager des négociations politiques avec le Continent, rien n’y fait.

Le parti nationaliste, victime du succès de l’Accord Cadre, porte la marque d’un rapprochement avec Pékin qui, dans l’opinion, et en dépit de ses retombées économiques favorables, trace une route dont les Taïwanais ne veulent pas. Mais, contrairement à ce que laisse entendre Ma, l’image funeste ainsi diffusée n’est pas seulement imaginaire.

Elle s’est construite autour de faits concrets qui vont des menaces militaires et des nervosités chinoises exprimées dans certains discours des dirigeants du Parti Communiste eux-mêmes, jusqu’à l’exemple de mainmise politique que Pékin tente d’imposer à la R.A.S de Hong-Kong, en passant par l’attitude de certains hauts responsables du KMT eux-mêmes. Ainsi, une bonne partie de l’opinion taïwanaise a t-elle vivement critiqué la participation de Lien Chan, président honoraire du Parti, aux cérémonies martiales du 3 septembre à Pékin, commémorant la victoire sur le Japon.

Quant à Ma Ying-jeou, emporté par son projet d’apaisement, il a, on s’en souvient, donné l’impression de vouloir forcer la main du Yuan législatif, provoquant en mars et avril 2014 un retour de flamme d’une ampleur inédite. Le « mouvement du tournesol » animé par des étudiants, des intellectuels et des ONG avait investi l’assemblée, signalant un désaveu de la stratégie à marche forcée et sans concertation favorisant un rapprochement économique et commercial entre les deux rives qui, pour Pékin, doit conduire à un dialogue politique, puis à la réunification pacifique.

Pour les Taïwanais attachés à leur identité politique séparée, la perspective est d’autant plus pernicieuse que le parapluie défensif du « Taïwan Relations Act » américain serait sans effet. Un des meilleurs commentaires sur l’angoisse qui, à cette perspective, saisit parfois les Taïwanais, a été récemment proposé par par Kuo Chen-jung, journaliste vétéran travaillant pour le groupe « Daily-news », proche du KMT, affirmant que l’opinion de l’Île assimilait, « à tort ou à raison », la Chine aux trous noirs interstellaires dont la puissance de gravitation « absorbe tout, y compris Taïwan ».


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