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C.C.Eyes only. Pour les Conseillers du Commerce Extérieur confinés à Shanghai. Chapitre III

Dogg habitait une superbe maison carrée dans le centre du vieux Pékin, dans une étroite hutong, les étroites veinules qui irritaient la vieille ville, à l’intérieur des anciennes murailles…Son épouse, architecte, avait entièrement repensé la maison pour y aménager tout le confort moderne sans la couper de ses racines anciennes…

Grodègue avait averti de sa visite et Dogg l’attendait, confortablement assis dans un fauteuil en bois noir, emmitouflé dans une veste chinoise de soie bleue molletonnée…

Grodègue avait étudié son dossier… Ce n’était pas la moitié d’un con… Il était bardé de diplômes et sortait d’une Grande École de la République… Il était un des piliers de la communauté d’affaires française et possédait un impressionnant carnet d’adresse qui lui promettait des appuis au plus haut niveau, localement mais également en France… Grodègue avait senti qu’il serait difficile de le déstabiliser et qu’il risquait de se faire « balader » comme l’avait été Cassebourg… Il avait pesé le pour et le contre et avait finalement décidé de lui rentrer dans le chou… Une stratégie comme une autre… De toute façon, il lui aurait été difficile de jouer au gentil et au méchant flic, en étant tout seul… Il avait contacté son ami Weng, histoire d’obtenir un peu d’aide dans son entreprise de déstabilisation…

 Je suis venu vous parler de Monsieur Guy Yaume, attaqua Grodègue, bille en tête…

 Il est, d’après ce que l’on m’a confié, en confinement à Karamay, une ville du Xinjiang, lui répondit aussitôt André Dogg, sur un ton assuré qui ne laissait que peu de place au moindre doute…

 Si vous pouviez éviter de me prendre pour un con, cela nous ferait gagner du temps, à tous les deux et accessoirement vous éviter de gros ennuis…

Quitte à ne pas faire dans la dentelle, alors, autant secouer le cocotier… Et puis, lui aussi en avait, pour tout dire, un peu marre qu’on le prenne pour un imbécile, sans pouvoir avancer d’un pouce… Si Dogg était aussi innocent qu’il en prenait l’air, il allait devoir le prouver…

Dogg parut franchement surpris par l’agressivité de son interlocuteur et franchement outré par le ton menaçant employé à son égard…

 Mais je ne… ne vous permets pas ! Je vous dis ce que je sais, un point c’est tout ! Quant à vos… vos menaces, elles me paraissent fortement déplacées ! M’éviter de gros ennuis ! Je vais me plaindre à l’ambassade et auprès de vos supérieurs, soyez en sûr ! Je pense avoir répondu à votre question, alors, si vous n’en avez pas d’autres, je vous demanderai de bien vouloir quitter cette maison sur-le-champ…

 Ne le prenez pas de haut ! Vous voulez jouer au gros dur, à votre guise… déclara calmement Grodègue en bougeant pas d’un pouce de son fauteuil…

 Je ne veux pas… pas jouer au gros dur ! Je vous demande simplement de déguerpir de chez moi ! Mais pour qui vous prenez-vous ! C’est un comble… !

 D’accord, d’accord… lui rétorqua Grodègue, toujours aussi impassible et toujours sans bouger d’un poil… Pour vous montrer que je ne suis pas chien, je vous laisse quelques minutes de réflexions… A propos, on va sonner à votre porte… Je vous conseille de simplement leur dire que vous êtes avec moi et nous reprendrons ensuite notre conversation…

Dogg, déboussolé, le regardait en bouillant, en se demandant quelle attitude prendre… La tournure que prenait les évènements, le dépassait. L’ambassade l’avait prévenu qu’un policier venant de France souhaitait le questionner. Il ne s’était pas préparé à une telle provocation qui dépassait les bornes… Il n’allait pas non plus le sortir de chez lui, par la force… C’était ubuesque… Et maintenant cette histoire ridicule de coup de sonnette…

Dring…

On sonnait à la porte… Intrigué, Dogg alla lui-même ouvrir…Deux employés de la Sécurité d’État, en uniforme, lui présentèrent leurs papiers, lui signifièrent qu’il était en état d’arrestation et lui demandèrent de bien vouloir le suivre, jusqu’à leur siège, Place Tiananmen… Deux autres gorilles se tenaient de part et d’autre, empêchant toute velléité de s’enfuir… Une fourgonnette noire, aux vitres teintées, stationnait devant la porte, obstruant l’étroite ruelle… Deux véhicules de police, gyrophares clignotant, encadraient la fourgonnette en barrant la ruelle de part et d’autre…

Un cauchemar… Désarçonné, Dogg balbutia qu’il était en rendez-vous avec Monsier Grodègue, un policier venu de France… Le premier des agents, qui parlait un français parfait, le salua d’un petit mouvement de la tête :

 Parfait, nous reviendrons si nécessaire…

Et comme par enchantement, voitures et policiers disparurent de la hutong… Seuls subsistaient encore les regards suspicieux de quelques voisins curieux, balayant nonchalamment devant leurs portes…

 Mais, qui…qui êtes vous … ? Questionna Dogg, d’une voix chevrotante, en revenant d’un pas trainant, dans son salon…

 L’ambassade ne vous l’a pas dit ? lui répondit Grodègue, accompagné d’un sourire candide, complètement désarmant ; j’enquête sur la disparition de Monsieur Guy Yaume. Vous savez, votre président des CCE en Chine… A ce propos, il n’est pas à Karamay… Alors si vous voulez bien éviter de continuer de me prendre pour un imbécile, nous pourrions gagner, comme je vous l’ai déjà dit, un temps précieux et…

 Mais qu’est-ce que je vous ai fait ? Que me voulez-vous ? Vous êtes complètement fou ! La sécurité d’état, venant m’arrêter comme un vulgaire criminel, ici, dans ma maison ! Mais vous vous rendez compte ? Vous êtes inconscient…

 Pourquoi voulez-vous absolument me convaincre que Monsieur Yaume est en confinement à Karamay ?

 Vous ne me… me faites pas peur… Je n’ai rien à me reprocher… Je vais por… porter plainte et je vais demander une protection à l’ambassade ! Je connais bien l’ambassadeur ! Je suis connu et respecté … !

Dogg semblait à la fois perdu et remonté… hagard mais prêt à se battre…

Grodègue, en policier aguerri, connaissait bien cet état ; celui des cerfs ou des sangliers, coiffés par les chiens, au moment de l’hallali… Il se prépara pour la curée…
 Où est Guy Yaume ?-Mais laissez-moi tran… tranquille ! Je n’en sais rien ! On m’a dit qu’il était à Karamay !

 Qui ?

 Quoi qui ? Mais c’est vou… vous qui me demandez où est Guy Yaume… !
- Je vous demande « qui » vous a informé que Guy Yaume était à Karamay… ?
- Mais tout le monde…
- Précisez-moi qui est tout le monde…

 Nous faisons une visio-conférence, pour réunir le bureau des CCE tous les jeudis… Normalement, c’est Guy Yaume qui préside… Quelqu’un a dû demander pourquoi ce n’était pas lui… Franchement, ça arrive, cela n’a rien d’extraordinaire… Quelqu’un a dit qu’il était retenu en
confinement à Karamay, dans le Xinjiang et quelques collègues en ont profité pour faire des plaisanteries et on est passé à l’agenda du jour…

 Quelqu’un… Quelques… On… Cela ne vous ferait rien d’être un peu plus précis… ?

 Mais je n’en sais rien ! Ce n’était pas important ! Je me préparais à intervenir pour annoncer qu’une délégation du Comité France Chine allait être reçue à l’Assemblée Nationale, pour faire un point sur le COVID en Chine et les relations franco-chinoises, vue par des expatriés et que je ferai partie de cette délégation… Je n’ai donc pas porté grande attention à ces échanges anodins… Vous savez, c’est important, par les temps qui courent, de redresser l’image de la Chine ; tous les prétextes sont bons pour essayer de la diffamer et de la salir…

Une dernière tentative pour dévier la conversation, tout en rappelant ses relations… « reçu à l’Assemblée Nationale… » .

 Qui vous a dit que Yaume était à Karamay ?

 Je vous l’ai dit ! Je ne me souviens plus !

 Hé bien, faites un effort de mémoire…
- Mais… mais puisque je vous dis…

 Vous tenez vraiment à finir au trou… Cela ne tient qu’à vous… Je rappelle mes amis ? Le temps que l’ambassade soit prévenue, je vous garantis que vous serez au secret dans une geôle secrète, six étages sous terre…

 Mais vous… vous êtes cinglé… ! Vous… vous… Cela vous amuse de détruire ainsi les gens ? Jamais je n’aurais pu penser que ma propre administration, mon propre pays pourrait me faire cela ! Vous… vous êtes ignoble… !

 Qui vous a dit que Guy Yaume était à Karamay ?

Le ton employé par Grodègue était franchement menaçant… Complètement abasourdi, Dogg craqua…
-…C’était Hervé Croqueyesse et Jean Rard …

 Hé bien, voilà… Tout ça pour en arriver là…

 Ce sont deux personnes respectables… Ce ne sont pas des criminels ! Vous faites fausse route…

 Mais je ne vous ai jamais laissé penser que c’était des criminels ! Néanmoins, j’aimerais bien que vous m’expliquiez, si comme vous le dites la conversation était anodine, pourquoi c’était si difficile d’accoucher de ces deux noms…

 Parce que c’est une blague ! Et vous, vous menacez ma vie, ma famille, ma réputation… ! Je ne vais pas sacrifier cinquante ans de travail pour une plaisanterie…

 Expliquez-moi la plaisanterie, que je puisse rigoler un bon coup avec vous…

 Croqueyesse nous a expliqué en riant, qu’il était retenu à Karamay, pour une histoire de fesses… Il nous a expliqué que tout allait bien mais que c’était un peu compliqué pour le moment… Que Jean Rard pouvait confirmer… Rard a hoché la tête avec un visage hilare… Croqueyesse a continué en nous disant que Yaume comptait sur nous pour que cette information ne s’ébruite pas dans toute la communauté d’affaire… Il nous a donc demandé de nous en tenir à la version d’un confinement sanitaire… On aime tous bien Yaume ; on n’allait pas salir sa réputation avec ce qui pouvait rapidement devenir des ragots de caniveaux…

 Qui participait à cette visio-conférence ?

 Le bureau compte douze membres mais nous n’étions pas très nombreux au début… cinq ou six au début… Avec Bernard Rachnide et Annick Lelonbec, de Shanghai, et Jean-Michel Durjonc de Canton…

 Vous dites au début… D’autres se sont joints par la suite… ?

 Oui, Christine Thousand et Caroline Ruateau se sont connectées avec un peu de retard. Je m’en souviens car Ruateau a demandé des nouvelles de Yaume et on a tous éclaté de rires quand Jean Rard lui a répondu qu’il était en confinement à Karamay… Elles ont paru surprises par notre attitude… Mais personne n’a voulu les affranchir en détail… Détails que par ailleurs, on ne connaît pas vraiment… Je pense qu’inconsciemment, nous n’avons pas jugé utile de mettre trop de femmes dans la confidence… Les femmes sont moins sujettes à pardonner ce type d’escapades…

 Et donc, vous avez risqué tout ça, uniquement pour une histoire de cul… !

Dogg se crispa, sincèrement scandalisé par son attitude et par une expression aussi triviale…

 Je vous en prie ! Ne jugez pas sans savoir ! Je connais Yaume, c’est quelqu’un de bien, je vous assure… Et j’avais donné ma parole que je ne dévoilerais pas cette information et vos méthodes de soudard ne me poussaient pas à le faire ! Mais qui êtes-vous donc pour pouvoir faire intervenir ainsi les services de la Sécurité d’état ?

 Et vous auriez voulu que je fasse quoi ? Vous auriez préféré que je planque des documents confidentiels chez vous pour pouvoir vous accuser de haute trahison, histoire de vous attendrir ?

 Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi cynique que vous… ! déclara Dogg, en secouant la tête d’air sincèrement navré…

 Pas de compliments, je vous en prie… Le prochain coup qu’un policier vous interroge, essayez de ne pas trop mal mentir… Ça irrite…Et à propos, si un truc vous revenait ou si vous appreniez quelque chose de nouveau, informez-moi sur le champ… Ce la m’ennuierait d’avoir à revenir… Une dernière question… Connaissez-vous une certaine Rosée du Matin ? Ou une Rayon de Lune ?

Devant la mine atterrée de Dogg et l’incompréhension qui s’affichait sur son visage, il n’insista pas d’avantage…

Grodègue avait poussé jusqu’au Novotel de la Paix, juste un peu au Sud de la maison de Dogg… Pékin était un enchevêtrement de routes pour la plupart perpendiculaires, orientées vers les points cardinaux… On était toujours à l’Est ou à l’Ouest de quelque part et et au Nord ou au Sud d’un autre endroit… C’est vrai également pour la plupart des villes chinoises, Shanghai et Canton, mises à part… Pour s’orienter dans l’Empire du Milieu, il suffit de ne pas perdre le Nord…

Il était treize heures passées et il grignotait un vermicelle à la singapourienne, un xingzhou mifen des familles, à la coffee-shop de l’hôtel… Les menus de ces coffee-shops s’étaient standardisés au point que l’on trouvait aujourd’hui les mêmes plats sur les cartes dans toutes les cafétérias de Singapour à Séoul et de Oulan-Bator à Manille…

 Les indonésiens avaient contribué avec le nasi-goreng, la Thaïlande avec son Pad-thai, les italiens avec leurs pizzas, les américains avec leurs hamburgers et les français, surtout depuis qu’ils s’étaient faits piquer leur steak-frites par les belges, par leurs croque-monsieur…

Tout en boulottant son vermicelle, Grodègue repensait à son dernier rendez-vous… Pour lui, André Dogg était clean… Il l’avait vu passer par une impressionnante palette de couleurs, allant du jaune rosé au rouge fumant, pour finir sur cinquante nuances de gris pâle… Si Dogg lui avait menti, même par omission, c’est qu’il méritait d’être nominé pour la prochaine cérémonie des oscars…

Son enquête n’en était pas éclaircie pour autant… Dogg soupçonnait un motif quelque peu égrillard dans la disparition de Yaume mais rien pour le moment ne venait étayer cette hypothèse d’une bonne vieille histoire de fesses…

Et cela n’expliquait toujours pas ce que venaient faire les petites amazones tatouées dans cette affaire… Pour qui travaillaient-elles ?

Au bout du compte, Dogg avait confirmé le rôle de Hervé Croqueyesse et de Jean Rard dans cette histoire… Mais ce Croqueyesse semblait s’être volatilisé avec Belon à Shanghai… Ces deux là, ne perdaient rien pour attendre mais, dans l’immédiat, le plus urgent s’avérait de rendre une visite de courtoisie à ce Jean Rard, qui paraissait être encore sur Pékin… Il valait mieux faire vite car ses potentiels interlocuteurs avaient plutôt tendance à se carapater à son approche…

A peine cinq minutes s’étaient écoulées après son coup de fil à Weng l’informant qu’il aurait besoin d’une voiture, avant que celle-ci se gare sagement sur le perron du Novotel ; une belle Audi A4 noire, au vitres teintées… Un bijou pour apparatchik heureux…

 C’est une A4L FSI lui souffla le chauffeur, en lui ouvrant la porte… Elle a été un peu re-motorisée pour compenser le poids supplémentaire dû au blindage, ajouta-t-il avec un sourire complice… Il faut vous dire que l’on a complètement revu la carrosserie… Elle a été re-moulée et re-forgée en incorporant directement le blindage composite en uranium appauvri et en céramique, directement dans les moules… Bon d’accord, elle vous suce un petit soixante litres au cent, mais, franchement, elle est agréable à manier…

 Et où avez-vous appris à parler un français comme celui-là ? lui demanda Grodègue nettement plus impressionné par son niveau de français que par le blindage supposé du véhicule…

 A Belleville, comme tout le monde, lui répliqua-t-il, le plus sérieusement du monde… Je travaillais dans un magasin, ongles et bains de pieds…
- Vous étiez dans la manucure ?
- Grosso modo… On peut dire cela…

Grodègue préféra ne pas lui demander dans quel type de coupe d’ongles il excellait…

 Nous allons vers Mutianyu, lui indiqua-t-il, tout en fouillant dans sa sacoche pour lui fournir l’adresse exacte…

 Ne vous inquiétez pas… Je sais où nous allons…

Ce qu’il y avait de bien chez Weng, c’était son respect de l’intimité et son sens de la vie privé…
Grodègue somnolait… La voiture filait droit vers le Nord. Passé le cinquième périphérique, elle engagea sur la G45, la fameuse autoroute DaGuang, de 3500 km de long qui partait de Daqing dans la province du Nord-Est du Heilongjiang pour atteindre Canton dans le Sud de la Chine…


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