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C.C.Eyes only. Pour les Conseillers du Commerce Extérieur confinés à Shanghai. Chapitre III

En réalité, depuis quelques décennies, la Chine s’est lancée dans une frénésie incontrôlée de construction d’autoroutes dans toute les directions… Tous ces tronçons, petit à petit, ont fini par s’interconnecter… Il suffit maintenant de prendre son stabilo pour tracer sur la carte, des routes interminables…

Comme dans ces jeux d’enfants où il faut trouver un chemin allant d’un point A à un point B, au milieu d’un dédale de fils… Le JingXin qui relie le Xinjiang à Pékin affiche ses 2500 km au compteur et il y a fort à parier que lorsque les chinois vont mettre bout à bout le G1 et le G6, qui vont de Pékin à Lhassa pour le G1 et de Pékin à Harbin, pour le G6, ce nouvel autoroute qui ira de Lhassa à Harbin, frôlera allègrement les 6000 km…

En fait, c’est assez drôle, pensa Grodègue, on assiste à un remake actualisé de la naissance de la Grande Muraille dans l’imagination collective… La Grande Muraille est un peu la copie originale de ces méga-autoroutes ; elle n’est en fait qu’un choix de murailles extérieures dans un lacis de murailles construites dans tous les sens par différents royaumes et différentes dynasties au fil des siècles…

La Grande Muraille existe bel et bien mais son concept est une fiction… une gigantesque arnaque… A l’image de ces super-autoroutes qui traversent la Chine de part et d’autre, elle n’est qu’un tracé de stabilo magique au travers d’un fouillis de murailles partant dans tous les sens…
Elle est au croisement des fantasmes occidentaux et du génie des chinois à reprendre ces chimères quand elle y trouve son compte pour se construire une identité…

Perdu dans ses pensées iconoclastes, Grodègue n’avait guère fait attention à la route… La voiture se faufilait maintenant sur une petite route de montagne. Elle finit par s’arrêter devant une vieille bâtisse

Un septuagénaire, portant beau mais l’air quelque peu exténué, l’attendait devant la porte…

 Jean Rard, enchanté…
- Grodègue, commissaire…
- Vous n’êtes pas enchanté ?
- Si, mais je suis également commissaire…

Jean Rard, le sourire aux lèvres, le fit entrer dans sa demeure… Celle-ci ressemblait à ces vieux manteaux chinois où la fourrure de vison était cachée dans la doublure de la redingote pelée… Une fois dedans, la ferme un peu en ruine se changeait en un manoir agréable d’où se dégageait une atmosphère de modernisme et de confort des plus délectables…

 Vous venez me demander si je sais où est Yaume… Vous allez être déçu parce que je n’en sais strictement rien… lança Rard à Grodègue qui marchait derrière lui vers le salon lambrissé de lattes de bois et en partie recouvert de livres…

 Ne vous emballez pas tout de suite, rajouta aussitôt Jean Rard, en se retournant vers lui, toujours le sourire aux lèvre… Dogg m’a raconté son entrevue avec vous… Rassurez-vous, vous n’aurez pas à me torturer ni à me soumettre à la question… Je vais vous dire tout ce que je sais… promis…
Dans le salon, deux personnes vautrées dans un divan, se relevèrent péniblement… Jean Rard fit les présentations :

 Éric Gobio, c’est le CCE le plus discret mais aussi l’un des plus fiables de notre petite communauté… Il dirige notre Groupe de Travail sur l’attractivité de la France mais c’est aussi le grand maître des procédures… Il essaie de nous tenir à flot, dans la tempête COVID où les directives d’un jour deviennent caduques le lendemain ou inopérantes dans la ville voisine… Et à ses côtés, Nicolas Agent… Il a roulé sa bosse dans tous les coins de Chine, du Nord au Sud, de l’Est en Ouest, de la production d’amidon de maïs au conseil pour les grandes entreprises… Et ils en savent autant que moi sur Yaume, je veux dire par là, qu’ils n’en savent pas grand chose non plus…

Les deux n’avaient pas l’air très frais…

 Mais asseyons-nous,… Autant prendre ses aises… Un whisky ?

 Si c’est pour noyer la vérité dans les alcools forts, je préfère une mirabelle ou un calva… Au moins, c’est de chez nous…

 Les stocks ont pas mal baissé ces derniers jours… Le tout-venant a été piraté par les mômes… On peut se risquer sur le bizarre… il doit me rester une poire Williams de dernière les fagots…
- Hé, bien… Allons-y pour la poire… !
- J’en suis… Rajouta Nicolas Agent avec une voix pâteuse…
-Moi, je vais rester au lait frais… susurra Gobio dont les paupières avaient du mal à se coordonner avec son élocution…

 Faites attention quand même à la poire… Allez-y mollo… Elle a du goût mais elle est artisanale… Elle doit approcher les 60°… Cela vous ennuie si je fume ? Demanda Rard, en s’éloignant du goulot de la bouteille et en exhibant un Cohiba long comme la main… Je ne fume pas souvent mais avec vous, je crois qu’il faut au moins ça…

 Faites comme chez vous, je vous en prie…

 Elle a le goût de poire… affirma Nicolas Agent en essuyant une larme qui lui coulait du coin de l’œil…

 Y en a aussi… Certifia Grodègue….

 Trop aimable… Bon… Je me doute que vous n’êtes sûrement pas venu jusqu’ici pour échanger des politesses avec nous… Vous voulez savoir ce que nous savons de l’absence de notre président bien-aimé… D’après ce que je crois comprendre, elle tient à la fois du roman d’espionnage et de la tragi-comédie…

 Vous auriez suggéré, lors de la dernière réunion du bureau des CCE Chine, que cela tenait plutôt d’une histoire de fesses…

 Vous ne pouvez même pas imaginer à quel point c’est aussi une histoire de fesses… Mais cela n’empêche pas la tragi-comédie et le roman d’espionnage…

 Expliquez moi… Je suis tout ouïe…

 Il y a une semaine, j’ai reçu la visite de Croqueyesse et de Belon… Deux autres CCE notoirement connus et respectés de notre communauté d’affaires en Chine. Ils étaient accompagnés de trois magnifiques jeunes chinoises qui parlaient un français parfait… Ils sont arrivés en coup de vent et ils m’ont demandé, de but en blanc, si je pouvais les héberger… Ils m’ont expliqué, de manière assez amphigourique je dois bien l’avouer, que c’était sans danger, que c’était une histoire compliquée mais que Yaume, notre président de la section CCE de Chine, avait pris les choses en main et que tout devait rentrer très prochainement dans l’ordre…

Et plus je tentais d’en savoir plus et plus les choses devenaient confuses… En gros, pour vous le faire court, ce que j’ai cru comprendre c’est que ces trois magnifiques jeunes filles rencontraient des problèmes avec leur employeur… Et ils n’ont pas souhaité m’en dire plus sur l’identité de cet employeur et je ne connais pas vraiment plus, non plus, sur la nature de ces problèmes… Autant vous l’annoncer tout de suite… Et je ne sais pas non plus en quoi consistaient les « choses » que Yaume était censé avoir prises en main…

Tout ce que je peux affirmer avec certitude, c’est qu’ils se sont enfuis dès qu’ils ont pu mais qu’ils m’ont laissé les trois petites ici, en me faisant promettre de rester le plus discret possible… Je me suis retrouvé, sans savoir vraiment pourquoi, père adoptif de trois petites orphelines dans la force de l’âge et belles à faire fondre même des blocs de granit…

J’ai tout de suite compris que cela allait dépasser mes forces… Faut dire qu’elles avaient la manie de se promener quasiment nues à toute heure du jour et de la nuit… En plus elles étaient, comment dire, insatiables… Comme vous pouvez le constater, je ne suis plus tout jeune… Franchement, j’ai crû mourir… J’ai donc appelé du renfort… D’où la présence de mes deux collègues et néanmoins amis…

 Lueur d’espoir…soupira Gobio, un sourire angélique aux lèvres…
- Qu’est-ce qu’il dit ?

 Ce n’est rien… Lueur d’espoir, c’était le nom d’une des trois petites… murmura Nicolas Agent, le regard, également, légèrement embué dans ses souvenirs…

 Je ne vous demande pas si les petites, elles avaient un tatouage Ying et Yang en haut de la cuisse ?
- Tu quoque fili mi… ? Jean Rard le fixait, un rayon de paradis sur le visage…

 Ha ! Vous voyez… ! Je l’avais bien dit que nous n’avions pas rêvé… ! Elles ont vraiment existé… insista Gobio…

 J’en conclus donc qu’elles portaient bien des tatouages…insista Grodègue qui ne cherchait qu’une confirmation de principe à une apparente évidence…

 Des tatouages mais pas grand chose d’autre, renchérit Nicolas Agent… J’ai complètement reconsidéré ma conception du Yin et du Yang…

 Oui pour les tatouages mais ce ne sont pas eux qui m’ont épuisé… souligna Jean Rard… Deux jours de plus et j’y passais… Mon cœur n’aurait pas supporté… Je ne sais même pas comment elles ont réussi à me faire accomplir de telles prouesses…

Mais elles sont finalement parties… Sur le coup, j’ai fredonné Libéré… Délivré… Sauf que je commence déjà à les regretter… C’est pire que des drogues dures… On devient vite accro… D’ailleurs, on a vite pris l’habitude de les appeler par leur tatouage… On avait Ombrelle, Fleur de Lotus et Mets-ta-carpe…

 Et à propos… Où sont-elles passées ?

 Croqueyesse a débarqué en coup de vent ce week-end pour enlever nos Sabines… Sauf qu’à la différence du tableau de Poussin, je ne saurais pas vraiment dire si c’était un romain qui enlevait les Sabines ou si c’était les Sabines qui commandaient la Légion…

 Il vous a dit où il comptait les emmener…

 Lui, il avait l’air certain de partir pour Shanghai… Mais connaissant nos petites, allez savoir où elles vont atterrir…Elles peuvent être n’importe où en Chine, à l’heure actuelle… Ou encore plus loin peut-être…

 Tout à l’heure, vous avez évoqué de possibles problèmes avec leur employeur ?

 C’est Belon qui a lâché cette information, par inadvertance je pense, parce que Croqueyesse l’a aussitôt incendié avec un regard réprobateur… Les gamines ne m’en ont pas dit plus mais Gubio qui parle bien le chinois, les a souvent entendu parler d’un « Laoban » et d’une « Mama
san » quand elles étaient entre elles…

Grodègue se tourna vers Eric Gubio.

 Vous pouvez m’en dire plus ?

 J’ai eu l’impression qu’elles respectaient leur « Laoban ». Elles l’appelaient leur Rimpotché et elles en parlaient toujours avec révérence… Moi, j’ai toujours fait attention pour qu’elles ne réalisent pas que je les comprenais plus ou moins… assez souvent plutôt moins que plus, d’ailleurs… Elles avaient un jargon bien à elles, truffé de jurons et de mantras bouddhiques… Encore une fois, je ne sais pas ce qu’elles avaient comme problèmes avec leur laoban mais, en tout cas, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’elles ont bien le même employeur… Avec un peu de recul, on s’aperçoit qu’elles ont reçu la même formation… Par exemple, elles pratiquaient toutes, des techniques assez peu courantes, comme celles du casse-noisettes, de l’hélicoptère ou de la langue fourrée aux sucions vagi…

 Mais vous n’avez pas une idée sur qui pourrait être cet employeur ou cette Mama san ? se dépêcha de l’interrompre Grodègue, qui sentait le souvenir de sa Rosée du Matin lui réveiller tous ses chakras…

 Il dut pourtant attendre quelques minutes, le temps que, « Fleur de Lotus » cesse de faire
« hélicoptère » ; que Lueur d’Espoir, l’Ombrelle, daigne redescendre d’un cochon pendu à réveiller même les morts et que l’atmosphère explosive s’apaise…

 Mama san, cela fait plutôt allusion à une tenancière de bordel mais c’est à mille lieues de ces petites qui respirent l’innocence et la pureté…

 N’exagérez quand même pas… Si on pouvait garder un minimum d’objectivité…

 Quant à l’employeur, leur Laoban, encore une fois, c’est un mystère… Je pencherais pour un grand maître bouddhiste ou pour un oligarque du parti mais ne me demandez pas pourquoi, je serais incapable de vous expliquer ce qui me fait penser cela… Pourquoi rigolez-vous ?

 C’est votre expression « oligarque du Parti Communiste »… Ça fait un peu antinomique…

 Mon bon monsieur, vous touchez là du doigt la plus grande contradiction à laquelle est confrontée ce pays ! La Chine, aujourd’hui, s’écartèle sous la tutelle de deux entités diamétralement opposées ; d’une part une oligarchie de ploutocrates uniquement préoccupés par l’argent et le pouvoir et de l’autre côté par un parti communiste qui veut l’égalité pour tous et la dictature du prolétariat… Jusqu’à présent, c’était plutôt comme un chalut que l’on ramène à bord… Chacun tirait sur le filet et se partageait les poissons… Mais, depuis quelques temps, l’angle des cordes s’est écarté et cela devient de plus en plus comme un tir à la corde, il va bien arriver un jour où l’un des camps va tirer plus fort que l’autre…

 Et votre pronostic ?

 Officiellement, je n’en ai pas… Officieusement, je dirai que comme il s’agit d’un jeu de cons, je pencherais plutôt pour le Parti… En matière de cons, il a plus de réserve…

 Vous reprendrez bien un petit verre de poire ? Lui proposa Nicolas Agent.

 Juste une lichette, alors… Faut avouer que c’est une boisson d’homme… Pendant que j’y suis, vous m’avez dit avoir appelé une des petites « Mets-ta-carpe » ?

 Oui, confirma Nicolas Agent… Elle avait deux petits poissons tatoués sous le symbole du Yin et du Yang…

 Et son nom chinois, vous vous en souvenez ?

 Rayon de Lune,… Déclara Eric Gubio… Elle adorait déposer des petits morceaux de poissons crus sur son tatouage… Elle nous obligeait à les gober sans l’aide de nos mains…

Gobio était une nouvelle fois reparti dans ses souvenirs… Grodègue lui réfléchissait à l’information qu’il venait d’apprendre… Il était peu probable que deux petites aient le même tatouage. Cela signifiait donc que Rayon de lune était vraisemblablement la même sirène qui avait approché Cassebourg et qui avait séjourné chez Jean Rard…

Une bonne heure et quelques verres plus tard, Grodègue, vautré dans les coussins de sa limousine, le cerveau quelque peu embué par des vapeurs d’alcool, tentait de réfléchir aux avancées de son enquête… Il avait, certes, assemblé quelques pièces du cadre de son puzzle ; il restait à finir complètement le tour et à remplir l’intérieur, pour avoir l’image intégrale… Et là, il était encore loin du compte ;.… Pour le moment, il n’avait encore que de vagues indices pour tenter de découvrir l’image à reconstituer… Il lui manquait encore trop de pièces… Il s’enfonça confortablement dans les fauteuils de cuir.

C’est à ce moment, qu’il perçut le bruit des premiers grêlons…

 Je crains que nous soyons suivis et que l’on soit en train de nous tirer dessus… l’informa calmement le chauffeur en se penchant pour ouvrir sa boite à gants…

Il en retira un pistolet à la taille impressionnante… Dans le même temps, une plaque d’acier épaisse montait lentement du coffre pour protéger la vitre arrière… quelques instants plus tard,

Grodègue entendit distinctement une explosion puis la plaque redescendit s’insérer dans le coffre. Au loin, des flammes s’élevaient d’un véhicule éventré et en feu…

 Ceux-là ne nous ennuieront plus… Des amis à nous viennent de leur balancer un gros pruneau, lui lança le chauffeur hilare, en freinant à mort… Puis, il effectua un demi-tour et rajouta : je pense qu’il est plus prudent de changer notre itinéraire… Ceux-là n’étaient peut-être que des rabatteurs… Cela serait dommage de foncer tête baissée vers un comité d’accueil…

Grodègue jeta un coup d’œil sur ses agresseurs lorsqu’il passa le long de leur voiture… Ils avaient franchement une sale mine et dégageaient une forte odeur de cochons brulés…

Danjou ne lui avait pas menti quand il lui prédisait qu’il aurait une mission à la James Bond… Il avait déjà eu droit aux James Bond girls… Maintenant à la voiture de 007… Il ne lui restait plus qu’à trouver un stylo qui tue ou une ceinture de chasteté à rayons LASER pour effacer les tatouages…


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