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Chine – États-Unis. A la croisée des chemins, riposte et ouverture chinoises. Discrets présages d’une trêve

Nous le savons depuis Kissinger, les hyperboles de rejet, des sanctions réciproques, des provocations et des menaces militaires portant un risque de cataclysme, Washington et Pékin sont, en dépit de leurs systèmes antinomiques condamnés à s’accepter l’un l’autre.

C’est le message sans ambiguïté adressé au monde par le premier ministre japonais Fumio Kishida. Au milieu des menaces d’emploi de l’arme nucléaire brandies par V. Poutine et des démonstrations de forces chinoises dans le détroit de Taïwan, cette année il réunit les chefs d’États du G7 à Hiroshima [1], la ville de son enfance, symbole de l’anéantissement nucléaire.

Depuis février 2022, les armes parlent en Europe. Elles réveillent le spectre de la mort et des destructions, au milieu de la contestation de l’ordre international par l’attelage stratégique entre Pékin et Moscou qui, comme au temps de la guerre froide, battent le rappel du « sud global  ».

Un demi-siècle après la visite de Nixon sur la grande muraille au moment où les relations entre Pékin et Moscou étaient au plus bas, les cartes se rebattent, à contrepied de la « realpolitik » de Kissinger et de Mao. Seulement réunis par leur aversion commune à la puissance soviétique, chacun ne voyait la bascule stratégique qu’à l’aune de ses intérêts.

Alors que leur « rivalité systémique » s’habillait déjà à la fois de leurs idéologies contraires et de l’ambition de les propager dans le monde, le machiavélisme stratégique du rapprochement sino-américain tirait déjà profit d’un «  ennemi commun  ».

Cité par Juliette Bourdin, dans « Porte ouverte et porte fermée » (2013, Presses Sorbonne Nouvelle), Brzezenski, maître de la manipulation stratégique, version dure de la pensée de Kissinger, le disait clairement.

En mai 1978, en pleine guerre froide, visitant la Chine en amont de sa reconnaissance par Washington qui allait tourner le dos à Taïwan, il déclarait aux Chinois communistes : « Nous avons été alliés avant. Nous devons coopérer à nouveau face à une menace commune. Car l’un des traits centraux de notre époque – un trait qui nous pousse à nous rapprocher – est l’émergence de l’Union soviétique en tant que puissance mondiale ».

Aujourd’hui, quarante-quatre ans plus tard, la volte-face stratégique du rapprochement Pékin-Moscou fait de l’Amérique et de l’Occident leur « menace commune  ». Alors que les philippiques anti-occidentales des discours de Vladimir Poutine voient l’Occident comme un défi existentiel, la « rivalité systémique » sino-américaine tenue sous le boisseau par Mao et Nixon, s’affiche sans nuance depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012.

Mise en valeur par les médias officiels du régime, la manœuvre avance sur plusieurs trajectoires complémentaires qui se soutiennent.

Les premières sont les initiatives de médiations et les coups de boutoir diplomatiques sur les plates-bandes de l’Amérique en Amérique du sud, au Moyen-Orient et en Europe.

Elles s’accompagnent du renforcement par Pékin des liens avec les alliés traditionnels de l’Amérique dont, par exemple, l’Argentine du président Fernandez (lire : Au sommet des Amériques à Los Angeles, l’ombre portée de la Chine) et le Brésil du Président Lula (lire : La force des symboles, le déclin de l’Occident et la montée en puissance du « sud global »), tous deux accueillis en grande pompe à Pékin.

On notera que lors de sa rencontre avec le Président Xi, Lula, s’est élevé contre la domination du dollar américain dans le commerce global et s’est rendu dans un centre de recherche du géant chinois des télécommunications, Huawei, qui fait l’objet de sanctions par les États-Unis.

Le deuxième volet de la manœuvre chinoise est la vaste stratégie d’isolement de Taïwan.

Depuis 1971, date de son entrée aux NU, Pékin grignote le tissu diplomatique de l’Île, à la fois en exerçant, contre tous ses appuis potentiels sommés de ne pas interférer dans un « problème intérieur chinois  », un chantage à l’accès à son marché au nom de la « politique d’une seule Chine » [2].

L’intimidation est appuyée par de récurrentes menaces militaires brutalement mises en scène par des salves balistiques dans les parages de l’Île, dont le but est de tenir à distance par la peur toute velléité d’émancipation. Il arrive que la stratégie créé un hiatus dans la perception de la réalité.

Alors que le prince Mohamed Ben Salman saluait « le rôle constructif  » de la Chine au Moyen Orient, les pressions chinoises ont récemment conduit le Président français, soucieux de ne pas apparaître comme le « vassal de l’Amérique  », à déclarer que la question de Taïwan n’entrait pas dans l’éventail des préoccupations stratégiques françaises, alors même que Paris tire fierté que les 7 millions de Km2 de son domaine maritime du Pacifique constitue « le socle de sa puissance maritime ».

Note(s) :

[1Hiroshima héberge depuis de longues années des conférences internationales de toutes natures à un rythme de quatre ou cinq par mois.

Mais, cette année, l’accueil du sommet des chefs d’État du G7 en pleine guerre en Ukraine en Europe et alors qu’en Asie montent les tensions graves en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, revêt une importance particulière rappelant les risques d’emballement catastrophique.

Le 25 avril, le sommet des jeunes du G7 à Hiroshima a été inauguré par le témoignage de Madame Keiko Ogura, rescapée de « la bombe  ». Dans la même veine, Le Premier ministre japonais Kishida a exprimé qu’Hiroshima était le lieu le plus approprié pour mettre en garde à la fois contre « les agressions militaires et les menaces d’utilisation de l’arme nucléaire » et les « tentatives de révision de l’ordre international portant un risque de conflit à potentiel nucléaire ».

[2Le statut de Taïwan recèle une ambiguïté de droit international rarement relevée. S’il est exact que la résolution 2758 du 25 octobre 1971 reconnaît l’admission de la Chine communiste à l’ONU à la place de Taïwan au rang de membre du Conseil de sécurité doté d’un droit de veto, en revanche il n’existe aucun texte onusien rattachant formellement l’Île de Taïwan à la Chine.

L’ambiguïté a une double racine :

1) En dépit des profonds bouleversements internes qui l’éloignent du Continent, l’Île s’appelle toujours « République de Chine », désignation cautionnée par Pékin qui la relie à l’histoire. Le, nom hérité de Sun Yat-sen date de 1912, a été perpétué par Tchang Kai-chek replié à Taïwan en vue du mythe aujourd’hui évanoui de la reconquête ultérieure du Continent.

2) Le nom a été conservé par la mouvance de rupture du DPP contraint par la menace de Pékin. Le hiatus s’exprime avec force quand les présidents issus du mouvement de rupture historique (Chen Shui-bian – 2000-2008 et Tsai Ing-wen 2016-2023) prêtent serment face au portait de Sun Yat-sen, alors que le narratif historique de leur Parti sur les relations avec le Continent est à l’opposé de celui du Guomindang (KMT) fondé par Sun Yat-sen.

Enfin quand, dans l’Île, Chen et Tsai prônent la liberté de choix politique face au Continent, un des dogmes politiques de principe du KMT, héritier de Tchang Kai-chek reste toujours « la réunification » avec cependant la variante que, repoussée aux calendes grecques, elle restera impossible tant que la Chine sera contrôlée par le Parti Communiste chinois.


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