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Chine – États-Unis. A la croisée des chemins, riposte et ouverture chinoises. Discrets présages d’une trêve

Au milieu des vindictes agressives, une discrète intention de pragmatisme.

La montée en gamme de la manœuvre de contournement de l’Amérique par ses alliés traditionnels, accompagnée par d’incessantes attaques verbales de Pékin accusant Washington d’endiguer la montée en puissance de la Chine en l’encerclant, a conduit certains analystes à estimer que Xi Jinping avait fait le choix que tout engagement avec les États-Unis serait inutile.

C’est sans compter sur la tendance de l’appareil à toujours se tenir à la croisée des chemins.

Quels chemins ?

Le premier est celui de l’affrontement. Il est directement lié aux relations entre l’appareil et l’opinion que l’appareil échauffe en jouant des leviers du retour de puissance, de la souveraineté nationale et des « caractéristiques chinoises  » séparées de celles de l’Occident.

L’alchimie du ressentiment et du rêve de puissance se cristallise autour des réminiscences souvent rappelées par Xi Jinping des humiliations infligées au XIXe siècle à l’Empire par « les huit puissances – Cinq européennes, la Russie, les États-Unis et le Japon -  ».

Dans le narratif de l’appareil, elles courent entre les premières guerres de l’opium (1839) et la prise du pouvoir par le parti communiste, le 1er octobre 1949, au terme de la longue guerre civile avec les « nationalistes » de Tchang Kai-chek » soutenus par les États-Unis.

Le fait est que les offenses de la visite à Taipei de Nancy Pelosi, celles de la réception de Tsai Ing-wen le 5 avril, à Los Angeles par le sénateur républicain McCarthy, son successeur à la Chambre des représentants, (lire : Ma Yin-jeou et Tsaï Ing-wen en quête du futur de l’Île) ne sont pas apaisées.

La blessure d’amour-propre de la destruction spectaculaire, le 4 février 2023 du « ballon espion chinois » par un chasseur F.22 Raptor au large de la Caroline du sud, non plus.

Avec Wang Yi, le plus connu des artisans du changement de ton de la diplomatie chinoise depuis 2013, entré en 2022 au 15e rang du Bureau Politique à 70 ans (lire : Membres du 20e Bureau politique), aujourd’hui à la tête de la Commissions des AE du Comité Central, l’offensive d’affirmation de puissance ripostant aux pressions de l’Occident contre la Chine n’aura pas de cesse.

Alfred Wu, professeur de sciences politiques à l’Université de Singapour prévoit que Pékin augmentera sa propagande ciblant les audiences des émergents et du « sud global », y compris par des applications directement connectées à l’effervescence vindicative des médias sociaux chinois.

Le mode d’action continuera de riposter pied à pied aux « provocations de Washington », dont la destruction du « ballon espion » et la visite de Nancy Pelosi à Taiwan sont de récents exemples ayant entraîné la mise à l’arrêt de toutes les coopérations avec Washington.

Outre l’annulation de la visite en Chine du MAE Antony Blinken initialement prévue début février, l’éventail des suspensions est vaste. Il va de l’arrêt des rencontres sur le climat, décidé en même temps que l’annulation des échanges téléphoniques et des rencontres entre les deux marines, jusqu’à la mise en sommeil des procédures de rapatriement des immigrants illégaux, en passant par l’interruption des échanges de coopération juridique sur le trafic de drogue et la criminalité transfrontières.

Les conditions de la modernisation et l’obligation de pragmatisme.

Le deuxième « chemin » toujours présent dans les arrière-pensées du Parti est celui qui garde un œil sur les moteurs de la croissance, condition de la stabilité sociale, dont les carburants s’alimentent à la fois des relations avec l’Occident et des exportations vers l’Europe et les États-Unis, sources de ses réserves de change.

En arrière-plan persiste la conscience que l’Amérique reste le creuset des innovations technologiques qui, avec les réformes de structures, fondent le socle du plan de modernisation défini par le projet « China 2030 » (document pdf).

Publié en 2012, le Plan avait été préparé par la Banque Mondiale et le centre de recherches du Conseil d’État chinois.

Marqué par une forte influence libérale, impliquant, sous la supervision de l’ancien premier ministre Li Keqiang, l’économiste Liu He, promu Vice-Premier ministre en 2018, diplômé en administration publique de la « Harvard Kennedy School  », le travail sensé paver la route de la modernisation du pays est sous-titré « Construire une société harmonieuse moderne et créative ».

En réalité, la voie proposée qui s’inspire du libéralisme et de l’obligation d’ouverture à l’Ouest, passage obligé des réformes de structures et de la réduction du rôle de l’État pour une innovation de meilleure qualité, s’exprime en dépit de puissants freins internes hostiles aux privatisations et aux restructurations et malgré le nationalisme anti-occidental de Xi Jinping.

Aujourd’hui, au sein du Parti, la tendance pragmatique anticipant que la rupture hostile avec l’Occident frappant déjà durement les microprocesseurs, cœur de tout l’éventail des hautes technologies, porte un risque de catastrophe, donne discrètement de la voix pour réclamer une trêve. Sans surprise, la correction de trajectoire est enrobée d’un discours moralisateur à usage interne.

Le 8 mai dernier, face à l’Ambassadeur des États-Unis, Nicholas Burns, le nouveau MAE Qin Gang qui, au moment de sa nomination lors de l’ANP en mars dernier, avait développé un discours très alarmiste sur les risques de conflit de grande ampleur, menaçant l’Amérique d’une réaction chinoise brutale en riposte à ses provocations, changeait de registre.

Il ne s’agissait certes pas d’une offre de paix. Ayant pris conscience que l’engagement sino-américain commencé il y a un demi-siècle empruntait une pente dangereuse, la Chine tenait à faire savoir à Washington que, pour sa part, elle était décidée à freiner la descente aux abimes de la relation.

Prenant soin d’attribuer la responsabilité de la dégradation aux « erreurs – en paroles en actions - des États-Unis qui avaient fait entrer la relation bilatérale dans une “zone glaciaire“, Qin Gang, expliqua que sa stabilisation était une des premières priorités de Pékin  ».

L’inflexion du discours qui répondait à une avance de Washington, avait lieu tout juste un mois après l’organisation du 11 au 28 avril par Washington et Philippines, de leur plus vaste exercice conjoint « Balikatan » depuis trente ans mettant en œuvre 17 000 hommes.

Organisé à la suite des démonstrations de force de Pékin autour de Taïwan, l’exercice marquait le retour spectaculaire de la connivence stratégique entre Manille et Washington après les tensions de la présidence Duterte (2016-2022). Féroce opposant à la présence américaine dans l’archipel, il avait d’abord tenté un rapprochement avec Pékin, avant de faire volte-face.

A ce sujet, lire l’article rappelant les pressions chinoises sur le haut-fond de Reed riche en hydrocarbures indispensables à Manille qui motivèrent le tête-à-queue de R. Duterte avant l’élection en 2022 de Ferdinand Marcos Junior, revenu sans ambiguïté dans le giron de Washington : Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.

Le discours tenu par Qin Gang à l’Ambassadeur Burns invitait Washington à « retrouver Pékin à mi-chemin » en cessant de menacer la souveraineté de la Chine, notamment par des actions qui « vident de sa substance le concept d’une seule Chine  » à Taïwan, dont Qin dit qu’elles confinent à apporter un soutien aux forces indépendantistes de l’Île.

L’angle de vue traditionnel du Parti passe sous silence plusieurs réalités :

1) Une partie des échauffements dans le Détroit tire son origine du blocage du logiciel de l’appareil communiste à la fin de la guerre civile en 1949, ignorant que l’Île a évolué vers un système démocratique, donnant la parole à une société civile qui, à une très forte majorité, réfute la réunification avec le Continent gouverné par la chape autocrate du parti communiste chinois ;

2) Pour la communauté internationale, la reconnaissance « d’une seule Chine » stipule que le projet de réunification ne peut pas se réaliser par l’emploi de la force, pourtant sans cesse brandie par le n°1 chinois, y compris comme le moyen de précipiter le rattachement en cas de réticence prolongée de l’Île ;

3) En 1979, reconnaissant la République Populaire, Washington avait assorti son choix du « Taïwan Relations Act », obligation de droit interne votée par le Congrès obligeant l’exécutif américain à ne pas rester inerte en cas d’agression de l’Île non provoquée par une déclaration d’indépendance.

Les termes exacts sont « Tout effort visant à déterminer l’avenir de Taiwan par des moyens autres que pacifiques, y compris par des boycotts ou des embargos, sera considéré comme une menace pour la paix et la sécurité de la région du Pacifique occidental et une grave préoccupation pour les États-Unis ».


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